Critique Joker #1 [2019]
Avis critique rédigé par Bastien L. le samedi 12 octobre 2019 à 00h20
La valse du pantin
Alors que le Marvel Cinematic Universe poursuit son insolente domination du box-office mondial et que le DC Extended Universe s'avère globalement décevant, malgré quelques succès, Warner et DC Comics tentent une nouvelle approche. Une approche plus auteurisante, plus sombre, plus risquée artistiquement et surtout moins cher avec Joker actuellement dans nos salles.
Pour beaucoup, l'annonce de ce film avait été accueillie avec pas mal de perplexité avant que l'excitation et l'attente nous gagnent petit à petit jusqu'à sa sorte. D'abord la perplexité car si le projet était dans les cartons depuis un moment, il avait quand même de quoi surprendre. D'abord parce que on proposait un film sur un personnage issu de DC Comics en dehors du DC Extended Universe donc complètement déconnecté des Batman v Superman et autres Justice League avec un autre interprète (Joaquin Phoenix) que Jared Leto ayant récemment repris le rôle du Joker dans Suicide Squad. Ensuite, l'annonce du réalisateur Todd Phillips augmentait notre surprise tant l'homme est surtout connu pour des comédies peu sérieuses comme Road Trip (2000) et la trilogie des Very Bad Trip (2009-2013) quand bien même il amorçait un virage plus sérieux avec le film War Dogs (2016) sur des trafiquants d'armes. Il est par ailleurs scénariste et producteur (aux côté de sa star de Very Bad Trip Bradley Cooper) d'un film qu'il a finalement initié. Ce qui explique aussi notre attente puisque Todd Phillips souhaitait réellement proposer une nouvelle approche de l'adaptation d'un personnage de comics en étant plus réaliste et surtout plus sombre. Le tout ayant comme inspiration, parmi d'autres, la filmographie de Martin Scorsese (un temps envisagé comme producteur) tout en s'entourant de comédiens talentueux comme Joaquin Phoenix et Robert De Niro. Warner lança pour de bon cette production en 2018 suite résultats jugés insuffisants de Justice League avec un budget modeste (pour le genre d'adaptation de comics) entre 50 et 70 millions de dollars. L'attente devint ensuite excitation et impatience quand les premières images prometteuses furent dévoilées, que la presse commença à plébisciter un film qui remporta le Lion d'Or au festival de Venise... Un film qui est d'or et déjà un succès commercial au moment où ces lignes sont écrites.
Le film se déroule à Gotham City en 1981 et suit la lente descente aux enfers d'Arthur Fleck (Joaquin Phoenix). Cet homme vivant seul avec sa mère (Frances Conroy) est employé dans une agence de clowns alors qu'il a des rêves de grandeur voulant devenir artiste de stand-up tout en vénérant l'animateur de Late Show Murray Franklin (Robert De Niro). Malheureusement, le sort semble s'acharner sur lui alors que la ville connaît une fracture sociale importante, une montée de la criminalité, une grève des éboueurs et une campagne municipale notamment menée par le richissime Thomas Wayne (Brett Cullen). Ce dernier est d'ailleurs l'ancien employeur de la mère d'Arthur à qui elle envoie fréquemment des lettres pour lui demander un soutien financier sans que son fils ne comprenne son espérance. Arthur est par ailleurs passé à tabac par des jeunes voulant juste se défouler ce qui va accentuer ses problèmes psychologiques dont des crises de rires incontrôlables s'avérant souvent handicapantes pour lui. Le tout accompagnée de névroses comme d'une dépression l'obligeant à toujours augmenter ses doses de médicaments. Peu soutenu par son employeur, Arthur se laisse convaincre par un de ses collègues (Glenn Fleshler) de prendre une arme à feu pour se défendre. Ce qui peut s'avérer un piège pour lui à moins qu'il ne réussisse à remonter la pente en s'accrochant à ses rêves ou en découvrant l'amour auprès de sa voisine (Zazie Beets)... Mais à Gotham City, le ver semble être définitivement dans le fruit pour Arthur Fleck.
Autant le dire rapidement, si ce film n'était pas lié à l'univers du super-héros Batman, il n'aurait pas sa place sur ce site. Malgré une légère inspiration du côté du Killing Joke d'Alan Moore, le scénario de Todd Phillips (accompagné de Scott Silver) se veut réaliste et seulement centré sur la manière dont un homme devient l'iconique Joker sans aucun super-héros à combattre ni autre vilain fantastique. Le film est ainsi présenté comme un thriller psychologique pour ne pas dire un drame social. Une œuvre qui va présenter la lente et douloureuse descente d'un homme qui tombe dans la folie comme la violence. L'histoire est intéressante car elle permet de confronter Arthur Fleck à tout ce qui peut le relier à la réalité (la famille, l'amour, le travail, l'accès aux soins, la poursuite de ses rêves) et qui vont s'effondrer petit à petit comme autant de barrières l'empêchant de tomber dans un précipice mental dont il aura du mal à sortir. Un scénario qui met finalement en parallèle la manière dont une société comme un homme sombrent dans la folie voire l'anarchie quand les circonstances semblent les y pousser. Une histoire assez bien écrite qui ménage correctement des péripéties chocs avec de bons dialogues. On mettra surtout en avant un personnage principal dont la progression est bien retranscrite à l'écran et dont chaque relation avec les personnages secondaires et tertiaires agissent comme des électrochocs sur sa santé mentale défaillante.
L'histoire n'est malheureusement pas exempte de défauts à commencer par le sentiment qu'Hollywood a encore du mal à vraiment assumer le fait d'avoir un méchant en tant que personnage principal. Non pas que le personnage soit édulcoré mais il y a une trop grande accumulation de circonstances atténuantes... On a le sentiment qu'Arthur Fleck rencontrent toutes les raisons possibles capables de faire de lui un dangereux psychopathe. Cela permet néanmoins d'aborder le thème classique de la place de la société et du libre-arbitre pour expliquer les actions de tels psychopathes. Le film oscille beaucoup entre les deux faisant que j'ai personnellement du mal à adhérer à son message notamment parce que le Joker ici présenté ne correspond pas totalement à l'idée d'agent décomplexé du chaos que je m'en fais. On ne peut pas dire que la vision de Todd Phillips soit une trahison tant l'homme personnalise vraiment son approche du personnage tout en utilisant plutôt bien la mythologie de la licence Batman avec un bon fan service (personnages, histoire, apports visuels...). Le cinéaste livre ici un film puissant sur l'aliénation sociale comme mentale et se joue parfois de nous comme nos attentes avec une grande force. On peut néanmoins regretter que le message social du film soit fait avec autant de gros sabots mais le film prend le parti de vraiment rester concentré sur Arthur Fleck. Le métrage est évidemment violent mais finalement pas au point de déclencher de petites polémiques car c'est finalement assez banal pour ce genre de films à l'ambiance lourde voyant un personnage devenir aussi violent que la société dans laquelle il vit. En tout cas, le film aborde des sujets permettant de soulever des débats démontrant que Todd Phillips a au moins réussi un pari : livrer une adaptation de comics de super-héros atypique loin du spectacle souvent plaisant mais fade auquel on a globalement le droit.
Une des plus grosses réussites du film est son ambiance qui renvoie finalement aux grands classiques du Nouvel Hollywood et ce n'est pas pour rien qu'il se déroule en 1981. On pense évidemment au cinéma de Martin Scorsese à travers des films comme Mean Streets, Taxi Driver ou La Valse des Pantins (avec un Robert De Niro inversant ici son rôle d'alors). Le film aurait très bien pu se passer dans le New-York de l'époque qui sert de principale inspiration à cette nouvelle version de Gotham City de par sa violence palpable et son aspect peu accueillant. Le travail sur les décors est par ailleurs incroyable permettant de donner un véritable poids au parcours d'Arthur Fleck. On apprécie aussi de voir à quel point l'accoutrement et les cheveux verts iconiques du personnage s'intègrent parfaitement dans cette quasi reconstitution historique des grandes villes américains d'il y a 40 ans. On plonge ainsi dans une atmosphère lourde pour donner vie à un personnage perdu dans une métropole à laquelle il ne pourra jamais appartenir. Les couleurs froides et le travail sur une lumière souvent blafarde comme défaillante sont à propos pour donner corps à un film qui monte petit à petit en puissance pour finalement offrir un final qui démontre complètement la qualité de cette production.
Le film permet aussi de révéler Todd Phillips en tant que réalisateur. Si on le savait capable d'être efficace et de mener des productions conséquentes via ses comédies, on découvre ici qu'il a plus d'une corde à son arc. Son utilisation d'une caméra souvent fébrile pour mettre en scène son personnage principal sert bien son propos tout comme la manière dont il le fait apparaître grossièrement à l'image (souvent écrasé par le cadre ou les décors) témoignant du décalage qui existe entre un Joker en devenir d'un côté, la réalité et la société de l'autre. Phillips sait correctement ménager ses effets en mettant en scène un malaise souvent lancinant et donner l'impact qu'il faut à des scènes violentes vécues comme assez réalistes (notamment la séquences finale). On pourra certes lui reprocher la petite gourmandise de souvent répéter ses bonnes idées comme les danses d'Arthur fait pour se canaliser. A ce titre, Joaquin Phoenix (Gladiator, Le Village...) livre une prestation époustouflante aidé par une perte de poids le rendant souvent méconnaissable. Il incarne parfaitement la folie de son personnage et la palette d'émotions qu'il traverse sachant se montrer désespéré, résigné, hystérique comme implacable... Pour proposer une incroyable transformation finale le mettant sans problèmes aux côtés de Jack Nicholson et d'Heath Ledger tout en occultant un Jared Leto déjà oublié... A ses côtés, Robert De Niro (Taxi Driver, La Valse des Pantins...) démontre une nouvelle fois son immense talent tandis que Zazie Beets (Atlanta, Deadpool 2...) s'en sort bien dans le peu de scènes où elle apparaît. Bref, les comédiens sont vraiment bien dirigés du début à la fin.
La conclusion de Bastien L. à propos du Film : Joker #1 [2019]
Joker est une approche aussi audacieuse que salutaire dans le genre des adaptations de récits de super-héros. Le film de Todd Phillips oscille entre le thriller psychologique et le drame social offrant une puissante plongée dans la folie comme la violence de son personnage principal. Une adaptation du personnage du Joker qui ne plaira pas à tous mais qui joue plutôt bien avec la mythologie Batman. Une œuvre qui consacre, si besoin était, Joaquin Phoenix comme un des meilleurs acteurs actuels tout en nous faisan découvrir le talent de Todd Phillips tissant de fortes ambiances et adaptant parfaitement sa mise en scène au parcours intérieur de son personnage. Néanmoins, les messages portés par le film ne sont pas toujours convaincants.
On a aimé
- Une adaptation audacieuse
- Une prestation hallucinante de Joaquin Phoenix
- Mise en scène intéressante offrant une atmosphère inoubliable
On a moins bien aimé
- Une vision du personnage faisant débat
- L'accumulation de malheurs un peu exagérée pour le personnage principal
- Un message social peu subtile et une justification de la violence parfois maladroite
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