Critique Pocahontas, une légende indienne [1995]

Critique de la version française

Comment succéder à un des plus gros succès de tous les temps et un des meilleurs films d'animation jamais créé ? Même quand on s'appelle Disney, la réponse n'est pas évidente et apparaissait comme un pari impossible pour Pocahontas, une légende indienne.

L'idée de départ de Pocahontas vient d'un de ses deux réalisateurs, Mike Gabriel. Après avoir terminé le très sympathique Bernard et Bianca au pays des kangourous (1990), on lui demande de se pencher sur un nouveau projet qu'il proposa fin 1990 : une adaptation de l'histoire de l'amérindienne Pocahontas lors de l'arrivée des premiers colons britanniques sur les côtes des actuels Etats-Unis au début du XVIIème siècle. L'écriture du film (comptant pas moins de 15 scénaristes) fut très compliquée car outre les évolutions et changements normaux pour un tel projet il y avait le fait de parler de personnages historiques et surtout d’événements assez violents comme pouvant facilement tomber dans la controverse jusqu'au racisme... Le scénario oscille donc entre grosses libertés historiques avec une ambiance Disney et la volonté de dépeindre au mieux les Amérindiens de les tribus des Powathans ainsi que leur culture. Mike Gabriel fut rejoint par un autre réalisateur Eric Goldberg occupant pour la première fois ce poste après avoir démontré ses talents d'animateur notamment sur le Génie d'Aladdin (1992). Le projet fut considéré comme un futur très gros succès par les patrons de Disney dans la veine de La Belle et la Bête (1991) dont le compositeur Alan Menken fit aussi parti de l'aventure. Le film fut entièrement produit et animé dans les studios californiens de la firme aux grandes oreilles avec une telle confiance que l'autre projet en parallèle, Le Roi Lion, fut un peu plus déconsidéré. Il eut pourtant les honneurs de sortir en premier en 1994 raflant un succès jamais atteint auparavant ni depuis pour un film animé traditionnellement. Pocahontas, une légende indienne sortit donc l’année suivante mondialement doté d'un budget de 55 millions de dollars pour un résultat certes positif au box-office mais en dessous des dernières productions de ce calibre avec en plus un accueil critique plus tiède. Il est même parfois considéré comme un ralentissement dans la période dorée de la Renaissance Disney.

Pocahontas se déroule en 1607 alors qu'un navire anglais débarque dans l'actuelle Virginie sur le territoire du la tribu amérindienne des Powathans. Les Anglais comptent dans leur rang l'explorateur célèbre John Smith avide de découvertes comme d'aventures mais surtout le Gouverneur Ratcliffe et ses folies de grandeur. Il pense découvrir d'immenses trésors et n'a que faire des locaux qui ne sont que des sauvages à éliminer dans ses yeux de raciste. En parallèle, on découvre la jeune et belle Pocahontas, fille du chef Powathan qui est éprise de liberté en étant en totale communion avec la nature. Elle ne voit d'ailleurs pas d'un bon œil que son père souhaite la marier à un grand guerrier car elle a depuis quelques temps des rêves à propos d'un autre grand amour. Elle va ainsi faire la rencontre de John Smith et les deux étrangers sont attirés l'un vers l'autre malgré les préjugés de l'Anglais. Malheureusement, cette idylle naissant va être mise à mal par une escarmouche entre les deux camps les faisant entrer sur le chemin de la guerre. Pocahontas et John vont devoir tout faire pour empêcher un funeste destin des deux côtés. 

Comme dit plus haut, Pocahontas est une adaptation très édulcorée, comique, musicale et romantique d'histoires vraies et légendes du contexte peu reluisant de la colonisation des Amériques. Le scénario n'élude pas vraiment ce problème car les Anglais sont dépeints comme racistes en ayant une mentalité colonialiste bien affirmée. Disney embrasse donc les problématiques violentes de cette époque et réussit à les transposer dans un divertissement familial sans trop de casse. Le principal problème à mes yeux à ce niveau est cette volonté surtout dramatique de mettre face à face les Anglais et Amérindiens comme si les deux étaient également responsables de la situation à la fin du film alors que bon...Néanmoins, malgré cet écueil, le scénario est une d'une grande solidité tout à fait dans le genre du divertissement familial à la Disney avec une construction efficace, une bonne montée des enjeux autour de personnages attachants pour un final très satisfaisant. Le personnage de Pocahontas est une héroïne positive et libre qui nous embarque avec bonheur dans son monde afin de mettre en avant les principaux thèmes du film qui sont la tolérance (notamment en opposition au complexe de supériorité européen), le pacifisme (même si un peu naïf) avec une petite point d'écologie. Cela fonctionne très bien notamment aux yeux du jeune public même si on peut trouver Ratcliffe un poil grotesque ou alors quelques passages flirtant avec le « mythe du bon sauvage »...

Néanmoins, Pocahontas l'emporte sur tout le reste car c'est un cocktail d'aventure, de romance, d'humour et de musique qui fonctionne du début à la fin. Toutes ces composantes sont bien traitées avec cet amour impossible cher aux Disney de l'époque (La Petite Sirène, La Belle et la Bête...) façon Roméo & Juliette ou un humour très cartoon symbolisé principalement par les animaux. Ils permettent quelques saynètes qui font astucieusement retomber la pression mais forment aussi une parabole sur le monde animal restant pur à l'ombre de la folie des êtres humains. Ils appuient aussi le côté fantastique du film avec des comportements proches des humains même si le surnaturel vient surtout du personnage de grand-mère feuillage, arbre qui parle et conseille Pocahontas. Inspiré de légendes amérindiennes, le film met en scène des sortes d'esprits qui interviennent notamment via le vent et portant les volontés de Pocahontas. Si le film fonctionne aussi bien c'est grâce à sa sublime direction artistique qui mélange parfaitement un certain classicisme Disney avec une stylisation faisant notamment penser à La Belle au bois dormant dans les décors ou les personnages dont les visages semblent avoir été coupés à la serpe. Les décors naturels sont magnifiques et on aime y perdre notre regard pour notamment profiter de magnifiques jeux de lumière. La nature y est certes idéalisée comme un paradis sur terre mais c'est tellement beau... Pour ce qui est musiques, elles participent grandement à la magie du film avec un Alan Menken très inspiré (bien servi par une bonne traduction française) avec des chansons telles que « L'air du vent » et « Des sauvages » pour ne citer que les plus marquantes.

Pour que tout cela fonctionne il faut évidemment un travail d'animation exceptionnel et c'est évidemment le cas à l'époque des années 1990 où la domination de Disney à ce niveau était insolente. Que cela soit les humains, les animaux ou les différents éléments (notamment l'eau comme les effets du vent sur la flore) tout est réalisé de main de maître. Et avec une telle fluidité comme une réelle ambition d'en mettre plein la vue. Les équipes d'animation semblent bien mieux maîtriser l'animation par images de synthèse qui s'intègrent de manière plus harmonieuse que les précédentes productions. On en ressort comme d'habitude, avec Disney à cette époque, émerveillés. La cerise sur le gâteau est que la mise en scène est plus soignée que d'habitude avec Mike Gabriel et Eric Goldberg qui enchaînent les bonnes idées notamment pour caractériser les personnages (un rat qui accompagne l'introduction de Ratcliffe) ou leurs évolutions (Pocahontas face à deux ruisseaux aux courants inégaux) sans oublier quelques techniques appréciables comme des surimpressions notamment lors de la chanson « Des sauvages ». Tout cela est bien soigné donnant plus de force au film. Enfin, le casting vocal français est très satisfaisant notamment Mathilde May pour doubler Pocahontas et au niveau des « star talents » on a le droit à Annie Cordy en grand-mère feuillage ou Elie Semoun en serviteur lèche-botte de Ratcliffe et qui commençait ici une longue carrière dans l'animation.

On vous le conseille si vous aimez La Petite Sirène, La Belle et la Bête, Roméo et Juliette...