Paris 2119, la nouvelle bande-dessinée rétrofuturiste de Zep !
L'interview des artistes

Le 23 janvier 2019 sort chez rue de Sèvres, la nouvelle bande dessinée de Zep (Titeuf entre autres) et Dominique Bertail. Futuriste, cette oeuvre se pose la question de comment vivrons-nous dans 100 ans !

Le pitch :

Paris, 2119. La Ville Lumière n’est plus qu’une cohabitation de quartiers délabrés face à un Paris musée transformé par un art brut qui a mal vieilli. Les clones, les drones et les hologrammes envahissent les espaces privés et publics. Pourtant, quelques éléments du XXIe siècle perdurent encore, tel que le métro, essentiellement squatté par les laissés-pour-compte. Désormais, la plupart des gens se déplacent via le Transcore, cabine individuelle de téléportation proposée à chaque coin de rue. Tristan Keys vit dans ce monde dont il rejette la déshumanisation. Tel un marginal, il continue à prendre le métro, à marcher dans les rues, contrairement à sa compagne Kloé, adepte de la téléportation intercontinentale. Dans cette ambiance rétrofuturiste, des faits inquiétants surviennent. Une femme, en particulier, émergeant hagarde d’un Transcore, éveille les soupçons de Tristan. Que leur cache-t-on ? Quels intérêts plus sombres le Transcore sert-il sous couvert de la téléportation pour tous ?

L'interview :

Pourquoi Paris, et en 2119 ?

ZEP : C’est dans cent ans. J’avais envie d’écrire un scénario d’anticipation, un genre que j’adore dans la BD et le cinéma. Cette histoire m’est venue en me promenant dans Paris, un jour où il pleuvait. Je me suis demandé comment serait la ville dans cent ans. Il y a un côté éternel dans Paris. Certains quartiers n’ont pas bougé depuis très longtemps, et on imagine mal qu’ils puissent changer au cours des cent prochaines années. On retrouve donc toujours ce côté assez médiéval presque mêlé à un mode de vie moderne…

Dominique Bertail : Dans l’album, Paris est un peu divisé en deux parties ; des parties abandonnées et un Paris muséal qui est protégé par un champ magnétique qui repousse la pluie, où tout est retapé. J’ai d’emblée aimé l’idée d’avoir à dessiner Paris. Je n’y vis plus mais j’ai longtemps habité cette ville. Je suis retourné dans tous les endroits où j’avais vécu et que j’avais aimés, pour essayer de faire une petite compilation de tous les quartiers que j’avais envie de dessiner : Montmartre, le 8e, les Champs-Élysées, la tour Eiffel… Paris 2119 est un peu un portrait de mon Paris, même si le lecteur ne le verra pas.

Un Paris sans grand monde dans les rues…

ZEP : Est-ce qu’on se déplacera encore dans cent ans ? Moi, je suis un adepte du télétravail. Je suis persuadé que c’est une solution pour la société d’arrêter de se déplacer, de faire cette espèce d’exode le matin et à 17 heures. Je trouve cela atroce. Je pense qu’on se dirige vers cette nouvelle organisation et que le vrai renversement dans l’album, c’est la téléportation.

Dont l’invention part d’une bonne intention, mais…

ZEP : Le progrès part toujours d’une bonne intention, mais il y a aussi toujours des dommages collatéraux qui vont bien au-delà de ce que l’on a pu imaginer. Je pense que ceux qui ont inventé l’automobile ne se disaient pas : « C’est génial, on va pourrir toute la planète. » On trouvait cela super au début. On ne se disait pas qu’on allait rendre notre environnement irrespirable. Je trouve que la science-fiction a un peu ce rôle-là : développer des histoires autour de ces dommages. Annoncer : attention, là, ça pourrait mal tourner !

Dans cet album, on voit que la situation se complique pour un personnage ayant abusé d’une nouvelle drogue et qui semble coincé dans un film…

ZEP : L’immersion virtuelle, c’est déjà complètement acquis. Je crois que chez les moins de vingt ans, c’est une réalité. Si on pouvait accéder au monde virtuel avec une pilule qui coûte moins cher qu’un casque, tout le monde le ferait. Nul doute qu’il y aura des dérives, des addictions. Il existe déjà des sessions de désintoxication pour des gens accros aux jeux vidéo, parce qu’il y en a qui n’arrivent pas à vivre en dehors du monde virtuel. Ce que je décris est juste une projection futuriste. 

Avec notamment des outils pour nous « faciliter » la vie…

ZEP : Oui, on devient de moins en moins fonctionnels. Des physiciens, au CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire), ont obtenu une bourse pour reconstituer un cerveau humain numérique. C’est incroyable ! Cela veut dire que l’on pourrait décider de se connecter à ce cerveau. Il n’y aurait plus besoin d’apprendre. Évidemment, si on demande à quelqu’un s’il préfère aller à l’école pendant vingt ans pour apprendre péniblement à parler trois mots d’allemand et deux mots d’anglais ou bien charger un programme en douze minutes qui fait parler vingt-quatre langues… Qui choisira la première option ? Personne. Mais cela veut dire que l’on sera des humains augmentés par des machines, mais humainement diminués. C’est ce que disent les anthropologues, qui ont une vision plus large du monde : l’humain d’aujourd’hui sait faire beaucoup moins de choses que l’humain d’il y a dix mille ans. J’adore le film Seul au monde avec Tom Hanks. Il y a cinq cents ans, l’homme sur une île déserte savait faire du feu, construire une cabane, planter du blé… Moi, je ne sais rien faire. Plus on développe notre cerveau annexe qu’est l’ordinateur, plus le nôtre diminue. Et je pense qu’on ne va pas forcément vers une humanité très brillante.

L’humanité, dans cet album, c’est Tristan et Kloé…

DB : J’ai aimé l’idée qu’un couple soit au cœur de cette histoire. Tristan est nostalgique du XXe siècle, un peu rock’n’roll, rebelle. Kloé est belle, puissante, hiératique, sans être dominante. Le fait qu’elle soit noir ébène était une envie de dessin. J’ai mis du temps à la dessiner, parce que j’avais peur de la rater. J’ai donc d’abord fait toutes les séquences dans lesquelles elle n’apparaissait pas, en gardant pour la fin toutes les pages où elle était présente. Tristan et elle, c’est une espèce de yin et de yang. 

Vous seriez comme le personnage de Tristan, nostalgique du XXe siècle, méfiant ?

ZEP : Oui, mais beaucoup moins radical. Si la téléportation existait, je l’utiliserais sans doute. J’aurais envie d’aller instantanément à l’autre bout de la Terre et, en même temps, j’ai un côté nostalgique, donc je continuerais également à prendre le métro…

DB : Quand on a quarante, cinquante ans, on a un côté un peu nostalgique quoi qu’on fasse.

Comment créer graphiquement cet univers, quelles influences graphiques ?

DB : L’influence de Mœbius est constamment là. Celle de Bilal aussi ! En faisant cet album, je me suis rendu compte à quel point La Foire aux immortels et La Femme piège m’avaient marqué. Il y a très peu d’éléments de science-fiction, mais il y a une ambiance très particulière. Pour l’architecture, je suis pas mal allé piocher dans l’art contemporain. Il y a beaucoup de modules de Sol LeWitt ou de Xavier Veilhan qui ont mal vieilli dans cet album, et des drones qui surveillent la ville. J’ai essayé d’imaginer plusieurs strates d’urbanisme pour rendre ce Paris crédible. Au départ, je voulais une tonalité très années 80, cold wave, art minimal, puis les couvertures d’Art Press me sont revenues en tête, avec cette esthétique un peu rude. J’avais aussi en tête les commandes publiques des années 80 et 90. La présence de Buren, par exemple, qui était franchement intrusive. J’ai imaginé un futur où il y aurait eu un super Buren ! Après coup, je me dis que cela crée un futur qui répète le passé. Cela devient une espèce de boucle qui devient claustrophobique, et qui enferme les personnages dans cette ville.

Les premières images

Auteur : Nathalie Z.
Publié le mardi 8 janvier 2019 à 09h24

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