La Vieille Anglaise et le continent en BD - interview de sa scénariste Valérie Mangin
L'amour de la nature au-delà de sa mort... Quelques planches de la BD et une photo exclusive de Valérie Mangin dans son bureau

La Vieille Anglaise et le continent est depuis ce mercredi une superbe BD de 80 pages, tirée du roman engagé et éponyme de Jeanne-A Debats ! On trouve au dessin et aux couleurs le talentueux Stefano Martino et au scénario la prodigieuse Valérie Mangin que nous avons eu la joie, l'honneur d'interviewer (cf ci-dessous son interview complète) !

Le pitch de la BD

Ann Kelvin, héroïne mourante, a passé toute sa vie dans des combats pour l'écologie, parfois en usant sans hésitation la violence. Au crépuscule de sa vie, un ancien amant et élève, actuel scientifique de renom lui propose la migration de son esprit dans le corps d'une baleine. Cette migration ne lui permettra qu'un bref sursaut et prolongement de sa "vie". Mais elle pourra mener un ultime combat pour sauver les baleines. Elle ne se fait pas prier et accepte. Ann part en croisade sous sa nouvelle forme de cétacé et elle va chercher à contaminer ses anciens semblables avec une maladie bénine pour les baleines mais mortelle pour les Hommes qui mangeraient leur viande...

En tout juste 80 pages pleines couleurs, ces 2 artistes passent en revue: l'amour, la lutte pour de nobles causes (ici sauver baleines et cachalots) quitte à s'engager ou choisir la voie de la violence, le féminisme, les rencontres, l'amitié, l'identité des genres, la parole donnée, ou encore le transhumanisme et ses déviances ! Son intrigue est riche et dérangeante car elle questionne son lecteur sur l'avenir écologique catastrophique qui nous attend sous peu. Une BD qu'on a adoré chez SciFi-Universe.

L'interview de la scénariste Valérie Mangin pour SciFi-Universe 

Nurthor pour SFU : Bonjour Valérie, merci de te présenter en quelques mots à nos lectrices et lecteurs qui ne te connaitraient pas.
Valérie Mangin (VM) :
Je suis une scénariste de Bande dessinée avec une solide formation d’historienne. J’écris surtout de la science-fiction et des récits historiques. Mon grand plaisir est de mixer les deux comme dans Le Fléau des dieux, l’adaptation en space opera de la lutte d’Attila contre l’empire romain. Aujourd’hui, mes albums les plus connus des lecteurs sont peut-être les développements que j’ai apportés à l’univers antique de Jacques Martin sur Alix et Alix senator. Rien à voir avec la SF donc, même si le fantastique n’est jamais bien loin derrière le peplum.

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SFU : Comment est venue l’idée de mettre en BD le roman de Jeanne-A. Debats ? Qui est à l’origine de cette idée ? Et Comment es-tu venue travailler sur ce projet ?
VM :
L’idée en revient à Christophe Arleston, le directeur éditorial de Drakoo. C’est un vieux copain. Nous avons longtemps été auteurs chez Soleil tous les deux, j’imagine que c’est pour ça qu’il a pensé à moi. Je lui ai tout de suite dit « oui ». J’ai lu le roman à sa sortie dans les années 90 et il m’avait beaucoup marqué à l’époque. De plus, Jeanne-A. Debats est aussi une vieille amie. Ça me plaisait de rendre ainsi hommage à son œuvre.

SFU : Le titre de la BD est l’éponyme de celui du roman ? C’est un hasard, une volonté ou le résultat d’une longue discussion ?
VM :
Ça a été une évidence. Ce titre est parfait pourquoi le changer ? J’aime surtout qu’il fasse référence au fameux  Le vieil homme et la mer  d’Ernest Hemingway. Ce roman décrit la lutte acharnée entre un pêcheur et un énorme poisson légendaire. Il se place du point de vue du pêcheur, bien sûr. L’homme gagne sa dignité en étant vainqueur du poisson. Dans La vieille Anglaise, c’est exactement l’inverse à tout point de vue : le cachalot prouve sa détermination en mettant en échec des baleiniers.

SFU : Comment s’est fait le choix du dessinateur et coloriste ? As-tu participé à sa « nomination » dans le projet ?
VM :
Oui, j’en ai discuté avec Christophe. C’est lui qui m’a présenté Stefano : ils travaillent ensemble depuis un moment déjà sur Les Forêts d’Opale. Stefano avait envie d’autre chose, d’une occasion d’expérimenter un autre type de dessin que celui des Forêts justement. J’ai tout de suite été séduite par sa proposition de faire des pages très gravure, toutes en hachures et en ambiance.

SFU : As-tu déjà œuvré en BD avec lui et si oui sur quels BD ?
VM :
Non, c’est notre première collaboration.

SFU : Comment as-tu travaillé avec Jeanne-A. Debats ? A-t-elle eu son mot à dire sur le scénario ? Et sur les dessins ? Jeanne-A. Debats a un fort caractère, un peu comme l’héroïne de son roman d’ailleurs, « l’entente » entre vous sur la création de la BD, n’a pas été trop « rude » ou « dure » ? Ou au contraire vous avaient été très complices, voir « intimes », Stefano Martino et toi ayant rapidement « sentis » son œuvre et « facilement » compris la sensibilité du roman pour la transposer en BD ?
VM :
En fait, ça a été très facile car Jeanne n’est pas intervenue sur notre travail. Elle est elle-même en train d’adapter Les Chroniques de la Lune noire en roman. Elle sait combien l’exercice de passer d’un medium à un autre est délicat. Nous lui avons envoyé les pages par paquet et elle n’a quasiment pas fait de commentaires. Elle nous a juste dit que cela lui plaisait et elle nous a encouragé à continuer. C’était très motivant de sentir une telle confiance de sa part. On ne voulait pas la décevoir en faisant un mauvais usage de la liberté créative qu’elle nous accordait.

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SFU : As-tu respecté intégralement le roman ? Ou as-tu déformé, adapté, transformé une ou des parties du livre, Lesquels et pourquoi ? Ou au contraire as-tu ajouté des morceaux d’histoire de ta composition pour passer le roman au 9e Art ?
VM :
J’ai quasiment respecté l’intégralité du roman de Jeanne. J’ai juste supprimé un personnage secondaire, une jeune femme que rencontrait Marc, l’ancien élève d’Ann, pour garder l’intrigue centrée autour d’elle. Pour le reste, j’avais tellement aimé lire le roman que j’aurais eu du mal à en faire « autre chose ». Je pense qu’il traite des thèmes très actuels (engagement politique, féminisme, écologie…) d’une façon très actuelle. Ça aurait été dommage de passer à côté ou de déformer l’ensemble.

SFU : Comment as-tu œuvré avec Stefano Martino ? Es-tu très précise sur tes demandes envers le dessinateur/coloriste ? Lui fais-tu des storyboards très détails ? Comment travailles-tu avec lui ?
VM :
Stefano vit en Espagne et moi en Normandie. Nous avons donc essentiellement travaillé à distance par mail et visio. Je n’envoie jamais de story-board aux dessinateurs : ça peut facilement devenir castrateur pour eux. J’ai donc envoyé à Stefano un découpage de l’album à la page avec la description des cases et les dialogues. Pour ceux que cela intéresse, on voit mon découpage de la première page de l’album dans le cahier supplémentaire à la fin de celui-ci. Stefano a beaucoup respecté mon travail. Il lui a été très fidèle. Il m’envoyait ses avancées page à page et je lui donnais mon avis. 95% du temps, on était d’accord tout de suite. Je suis vraiment très contente du résultat.

SFU : Quelles furent tes difficultés ou erreurs sur ce projet d’adaptation du roman en BD ?
VM :
Des difficultés, j’en ai eu assez peu. Le plus dur a peut-être été d’humaniser le cachalot : il fallait bien faire sentir son côté « vieille Anglaise » non seulement par les dialogues mais aussi par ses actions, ses expressions faciales, ses mouvements, ses rapports physiques avec le monde qui l’entourait… Heureusement, Stefano était le dessinateur idéal pour ça.
Quant à mes erreurs, je vous laisse en juger.

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SFU : Comment définirais-tu le roman de Jeanne-A. Debats ?
VM :
C’est une fable écologique et féministe sur l’importance de l’engagement pour donner un sens à sa vie (et à sa mort).

SFU : Quels sont les messages du roman que tu as voulu conserver et passer dans la BD ?
VM :
Bien sûr, j’ai conservé l’engagement écologiste radical que Jeanne avait attribué à Ann, son féminisme, ses idées sur le changement de genre…  Mais j’espère y avoir ajouté une certaine poésie. Tout cela en vaut la peine car le monde dans lequel nous vivons tous est très beau, tout simplement.

SFU : Sans divulgâcher l’intrigue, la Vieille Anglaise est un conte futuriste terriblement noir et à la fois un sombre reflet de notre humanité, notamment vis-à-vis de ce qu’on fait vivre aux baleines et cachalots. Cette vengeance sur l’Homme qui consomme ces grands mammifères volontairement contaminés d’une mortelle maladie par d’autres Hommes, est tout autant terrible ! Quel regard portes-tu sur l’avenir de ces grands animaux et leur prédateur qui n’est autre que l’Homme ? Et sur la relation de l’Homme avec la Nature qui l’entoure ?
VM :
Beaucoup d’espèces animales sont encore actuellement menacées par l’homme ou les conséquences de ses actes (le changement climatique par exemple). Mais j’ai l’impression que la prise de conscience du problème a augmenté, surtout chez les jeunes générations. On sait maintenant tout ce que l’on a perdre à porter atteinte à la biodiversité. Les grands media s’en font les échos un peu partout dans le monde. Bien sûr, la partie est loin d’être gagnée mais l’écologie est un vrai sujet pris au sérieux et qui reçoit de plus en plus d’écoute. 

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SFU : L’objet final est une magnifique BD qui nous bouscule et pousse à nous interroger sur notre inaction vis-à-vis de tout ce que nous causons comme dommages, parfois irréversibles, à la Nature ! Ou que nous laissons passivement faire. Si tu avais une et une seule recommandation à faire envers dame Nature, laquelle serait-ce ?
VM :
Il y aurait tellement de choses à dire. Aucune recommandation ne se suffit à elle-même. Les petits gestes à faire à la maison, je crois qu’on les connaît tous (trier les déchets, baisser le chauffage, manger moins voire pas de viande…). Maintenant, je crois  qu’il faut passer à la vitesse supérieur et inciter les législateurs à imposer des normes beaucoup plus strictes aux grands acteurs de l’économie : sans changement majeur au niveau de l’industrie par exemple, jamais on arrivera à résoudre le problème de la pollution ou celui des déchets…

SFU : Merci Valérie pour ces riches échanges et souhaitant de nombreuses lectrices et lecteurs à La Vieille Anglaise et le continent dans sa version BD !

Vous trouverez, depuis ce mercredi 30 août 2023, cette belle BD engagée dans toutes les librairies.

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Auteur : NURTHOR
Publié le vendredi 1 septembre 2023 à 07h30
Source : Drakoo et Nurthor

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