PIFFF 2012 : jour 9
The Body et Clive Barker
Après le scénariste de L'échine du Diable passé à la réalisation avec Blind Alley (d'ailleurs projeté au PIFFF en 2011), c'est au tour de Oriol Paulo, scénariste des Yeux de Julia, de réaliser son premier long métrage, ce The Body (El Cuerpo) au pitch énigmatique qui peut à priori faire penser au(x) Veilleur de nuit d'Ole Bornedal : le corps d'une femme (Belen Rueda) décédée depuis quelques heures disparaît mystérieusement de la morgue. L'inspecteur Jaime Peña (José Coronado, très populaire en Espagne et vu dans les polars GAL et Box 507) est chargé de l'enquête et porte ses soupçons sur le mari (Hugo Silva), qui n'a pas l'air très perturbé par la mort récente de sa femme.
The Body est un pur film de scénariste, c'est-à-dire qu'il repose plus sur ses artifices d'écriture certes malins que sur ses effets de mise en scène. C'est une démonstration scénaristique qui se consacre à surprendre le spectateur. Pour le coup c'est plutôt réussi, puisque Oriol Paulo balade son spectateur de rebondissement en rebondissement en lui laissant croire qu'il a deviné le dénouement, jusqu'à un climax révélateur effectivement surprenant et mené avec une certaine maestria, mais en contrepartie ça devient assez grotesque (quoique pas plus que ce qu'on pensait avoir deviné).
Très bavard et explicatif comme tout bon film de scénariste, The Body maintient cependant l'attention, malgré une musique envahissante qui lui confère des airs de téléfilm, du moins au début. Les échanges tendus entre le suspect et l'inspecteur sont captivants. Le flic joué par José Coronado apparaît comme beaucoup moins sympathique que le personnage principal qui est pourtant un beau salaud, mais les révélations finales en donneront une explication. The Body évoque le giallo (certes moins fortement que Les Yeux de Julia) et Alfred Hitchcock (en particulier Soupçons). Comme dans tout bon film noir, le "héros" est ici malmené, baladé et forcé d'accomplir des choses dégueulasses (cf. la scène dans les toilettes). Par ailleurs, Oriol Paulo aime décidément aborder de purs thrillers psychologiques et pervers sous un angle fantastique, brouillant ainsi les pistes et écartant certains clichés.
Star en Espagne et fantasme de MILF, Belen Rueda (L'Orphelinat, Les Yeux de Julia, Mar Adentro et...Spanish Movie !) tient un second rôle fascinant, une « morte-mais-peut-être-pas » insaisissable (cf. ses mauvaises farces), n'existant que dans les flashbacks quand elle n'est pas maquillée en cadavre (quel gâchis). Superbement éclairé par le chef opérateur de L'Orphelinat, des Yeux de Julia et de The Impossible (et encore de Spanish Movie, mais c'est moins classe), The Body manque pourtant de style et souffre de sa propre mécanique d'efficacité instantanée. Il ne devrait pas rester dans les mémoires en dépit de la bonne tenue de l'ensemble. Notons un beau boulot sur les maquillages SFX (le cadavre, le visage déchiré par l'accident...) signés David Marti et Montse Ribé, qui ont eux aussi œuvré sur L'Orphelinat. Jonathan C.
La projection était suivie d'un questions/réponses entre le public et le réalisateur Oriol Paulo :
Par la suite, comme l'année précédente, nous avons découvert la cuvée 2012 de la compétition des courts métrages français. C'est à Erwan Chaffiot qu'a été confiée la tâche de sélectionner 8 courts-métrages sur, certainement, plusieurs centaines de reçus.
Nous avons pu voir dans l'ordre suivant : Autopsy des délices d'Aurélia Mengin, Nostalgic Z de Karl Bouteiller, Maximilien de Lewis Eizykman, Alice et Lucie de Xavier Ournac, Le Baiser du vampire de Romain Lambert, Food Elle de Corentin Quiniou, Spaghetti Man de Eve Dufaud et enfin La Mort du loup de Cédric Bourgeois (à noter que ce dernier avait bénéficié de l'aide de la région d'Auvergne et de France 3 entre autres pour se faire). À la vision de l'ensemble, il en ressort une impression d'avoir vu plus des films de chefs opérateurs et de monteurs que des oeuvres de réalisateurs apportant une âme à leur court-métrage. Une bonne partie de la sélection démontrait une recherche visuelle fortement intéressante, une démo technique certainement pertinente, mais par moment on avait du mal à lire de la passion à travers des sujets souvent ennuyeux, avec une certaine couche de prétention. C'est pour cela qu'un trio nous a semblé particulièrement se distinguer du lot. Tout d'abord, il y a Alice et Lucie qui, en plus d'être visuellement très agréable à regarder, réussit sur ses 20 minutes à raconter vraiment quelque chose (avec un sujet grave) tout en n’oubliant pas qu'il est avant tout un thriller qui se doit d'avoir un certain rythme. L'ambiance instaurée y est de plus palpable (Psychose n'est pas loin) et la direction d'acteur apparait comme au-dessus du lot (Sonia Joubert offre une prestation qui lui fait particulièrement honneur). Ce court-métrage réalisé et écrit par Xavier Ournac est clairement notre favori dans cette compétition.
Les deux autres métrages qui ont réussi à nous faire passer un bon moment sont plus léger. Le premier, Nostalgic Z, n'est pourtant pas en premier lieu celui auquel on aurait facilement apporté notre affection. En effet, son scénario tourne autour d'une sempiternelle histoire de zombies (sujet un peu trop représenté ces derniers temps) et le sujet semble propice à cette mode de la caméra-reportage. Pour autant le film de Karl Bouteiller fait rire sur toute sa longueur et on se laisse très facilement entraîner dans cette farce anti-capitaliste - certes assez caricaturale - débordante d'énergie. Une énergie et une bonne humeur qu'on touve aussi sur Spaghetti Man, avec pour le coup aucune thématique de fond et un sujet apparaissant de base ridicule. Mais cette histoire surréaliste est conduite par une mise en scène inventive (l'introduction et le générique valent particulièrement le détour), des situations surprenantes et amusantes puis ce côté "bis" et "monstre original" nous a touché. Richard B.
La nuit Clive Barker proposait de (re)découvrir, sur grand écran et dans de superbes copies, les films cultes que sont Cabal (ici dans sa version longue encore inaboutie et présentée par Russell Cherrington, directeur de restauration et superviseur du nouveau montage) et Hellraiser réalisés par Clive Barker, ainsi que Hellraiser II, les écorchés de Tony Randall (projeté dans sa version unrated) et le chef d'œuvre Candyman de Bernard Rose, et en bonus un court métrage expérimental réalisé dans les années 80 par Clive Barker.
Ce n'est pas Noël, mais c'est pas loin de l'être ! Pour cette deuxième édition le PIFFF nous a fait l'incroyable cadeau de nous projeter Nightbreed: The Cabal Cut. Un peu dans la lignée de la rubrique de Mad Movies que nous adorons qui s'intitule "Mad cut", nous avons pu, devant nos yeux ébaillis, contempler une multitude de séquences inédites de ce film culte. Car Cabal est jusqu'ici bel et bien le film de monstres ultime (on n’en aura jamais vu autant dans un film). Certes la copie proposée par Russell Cherrington fut désastreuse, avec 3 sources différentes, dont l'une est issue d'une VHS, mais c'était aussi une sorte de Saint-Graal, puisque pour l'instant les bobines originales sont perdues (quelque part dans un des studios hollywoodiens) et qu'elles sont recherchées maintenant depuis plus de vingt ans. Mais l'espoir de voir enfin le film monté comme nous l'avons vu hier soir - mais dans des conditions de visualisation optimale - devient plus proche que jamais, Russell Cherrington ayant découvert que ce serrait certainement la Twenty Century Fox qui posséderait les droits de Cabal, et serait déjà en négociation ave eux pour obtenir une vraie restauration du film dans sa version director's cut.
Qu'apporte ce nouveau montage ? Déjà, en terme de durée,le long-métrage de Clive Barker passe de 102 à 144 minutes. Ensuite, les monstres de Midian (citée souterraine cachée dans un cimetière) prennent une place encore plus prédominante dans l'intrigue et apparaissent encore plus comme démunies et amicales face à l'homme. Le personnage de la "copine" du héros (interprétée par Anne Bobby) prend désormais une place bien plus importante dans l’histoire et participe à l'action. De ce fait, le machiavélique et charismatique Dr. Philip K. Decker (David Cronenberg) n'est plus l'objet thématique principal du film, mais le déclencheur de quelques situations qui conduisent le personnage de Boone (Craig Sheffer) à devenir Cabal, sorte d'élu (à l'instar d'une fresque comme Dune) qui découvrira que sa mission est de conduire ce peuple de Midian vers un nouvel Éden (durant le Q&A on apprend ainsi que Barker envisageait bien une trilogie autour de ses monstres). Originalement, le film conduit par la grandiose musique de Danny Elfman et son bestiaire incroyable possédait déjà une ampleur assez impressionnante, désormais ce nouveau montage amène Cabal à devenir une fresque épique, un "autant en emporte le vent" du film de monstres comme le décrit si bien Russell Cherrington. Il ne reste plus qu'à croiser les doigts pour que 2013 soit la résurrection de Cabal et qu'il brille de mille feux à travers un nettoyage digne de ce nom pour rendre enfin parfaitement hommage à un film déjà bien attirant, mais charcuté en son temps, qui ainsi prendra sa place parmi les plus grands, car nous en avons eu la preuve ce samedi 24 novembre 2012. Richard B.
À noter que durant cette soirée Russell Cherrington était accompagné de l'acteur Nicholas Burman-Vince qui interprète le personnage de Kinski dans Cabal ou qui est le second lieutenant de Pinhead (celui qui claque des dents) dans la franchise Hellraiser. Une séance de dédicaces était même organisée.
Clive Barker décide de réaliser Hellraiser après avoir vu Transmutations et Rawhead Rex , deux adaptations de ses romans qu'il trouve complètement ratées (ça reste néanmoins des séries B très fréquentables de George Pavlou). Véritable chef d'œuvre d'horreur graphique et psychanalytique, Hellraiser dégage une puissance viscérale toujours aussi impressionnante (comme ses effets spéciaux, saisissants), même 25 ans après sa sortie. Les apparitions des quatre traumatisants Cénobites (dont le célèbre Pinhead) sont de grands moments de mise en scène/prod design baroque. Connu justement pour sa musique des deux premiers Hellraiser, Christopher Young traduit avec intensité l’intrusion des ténèbres et l’immersion dans cette dimension démentielle. Ce premier opus d'une longue franchise qui régresse au lieu d'évoluer (suffit de découvrir le catastrophique Hellraiser: Revelations pour s'en rendre compte) était un film d'épouvante plus intimiste, puisque se déroulant au sein du foyer (en un sens, c'est une sorte de home invasion movie fantastique), là ou se matérialise les fantasmes cauchemardesques de la superbe MILF Clare Higgins (toute droit sortie d'un giallo), tout au long d'une lente progression traversée de fulgurances d'une violence stupéfiante qu'on ne retrouve plus dans les films d'horreur actuels. Jonathan C.
En guise d'introduction à la projection de Hellraiser, le pacte, Pascal Laugier et Alexandre Bustillo sont venus sur scène pour parler de leur expérience quand ils avaient respectivement été abordés par Hollywood pour réaliser un remake de Hellraiser. Les anecdotes ne manquent pas (notamment sur Bob Weinstein) :
Cette fois réalisé par Tony Randel, artisan de l'écurie Roger Corman auquel on doit notamment Ken le survivant avec Gary Daniels ou Ticks, Hellraiser II, les écorchés embraye directement après le film de Clive Barker et semble d'abord se calquer dessus, avant de s'en éloigner pour instaurer un univers étendu et une véritable mythologie, le Pinhead (Doug Bradley) devenant dés maintenant une star monstrueuse (c'est sur lui que s'ouvre le film), succédant à Sean Chapman/Frank dans le premier film (l'oncle Frank fait cependant une apparition ici, harcelant de nouveau sa nièce). Pourtant guère apprécié par Clive Barker, Hellraiser II s'avère être un monument de baroque gore (là ou le premier était plutôt gothique) en même temps qu'une pure série B d'exploitation : violence graphique très BD, effusions sanglantes parfois dignes d'un Uncut Movie (en mieux foutu), galerie de freaks étendue (la créature que devient le docteur est délirante), idées barges à la pelle, décors ambitieux et fantaisistes, punch-lines et délires/imagerie SM encore plus poussés. C'est ce qu'on attend d'une bonne suite : un spectacle encore plus généreux qui développe l'univers exposé dans le premier film. Hellraiser II expose des visions infernales et fantasmatiques tout droit sorties de L’Enfer de Dante et évoquant du Silent Hill avant l’heure. La première partie, dérangeante, fait écho au film de Clive Barker (superbe et sulfureuse résurrection de Clare Higgins), tandis que la deuxième partie dans le labyrinthe infernal tape plus dans le bis, tout en enrichissant l'imagerie Hellraiser. La dimension psychanalyse/sexuelle n'est pas amoindrie (c'est particulièrement corsé entre Julia et le Dr. Channard), et cet opus est probablement le plus gore de la saga (surtout en version unrated). Jonathan C.
Lire la critique (moins enthousiaste) de Hellraiser 2
Enfin, le grandiose Candyman, un des plus beaux films d’épouvante jamais réalisés (en tout cas le meilleur des années 90) et probablement la plus fascinante représentation/exploration/définition de la légende urbaine, avec toute la dimension psychanalytique que ça implique. Il s'en dégage une vraie puissance graphique et quasiment contemplative (le cinéaste a réussi à mettre en images les descriptions glauques de Clive Barker sans tomber dans la surenchère ou le grand-guignolesque). En plus du contexte social inédit dans le genre et qui accentue l’angoisse et la paranoïa, une forte connotation symbolique traverse tout le film, fascinante mise en abyme sur la croyance et sur les mythes, sur la réalité et l'illusion (un peu comme dans Freddy - Les griffes de la nuit), sur comment sont nourries les légendes. Fascinants aussi sont les liens passionnels et troublants entre le croque-mitaine et sa victime Virginia Madsen (figure angélique pervertie). Ambiance urbaine inquiétante et oppressante (des décors insalubres à la fois morbides et artistiques, le film reste notamment hanté par ses graffitis), visions horrifiques traumatisantes (c’est gore et onirique tout en restant réaliste), rythme lancinant, réalisation inspirée du mésestimé Bernard Rose (ancien clipeur et réalisateur du poétique Paperhouse, des historiques Ludwig Van B. et Anna Karenine, et du film d’horreur Snuff-Movie), partition envoutante magnifique de Phillip Glass, Virginia Madsen dans son meilleur rôle (et quelle beauté !), et Tony Todd dans la peau du plus grand boogeyman des années 90 et l'un des plus originaux du cinéma d'épouvante, malgré deux suites médiocres. Plongée dans la folie mentale et exploration du désir sous toutes ses formes, Candyman est un film d’horreur d'une vertigineuse richesse (tant visuellement que thématiquement). Et 20 ans après sa réalisation, c'est toujours aussi efficace (on sursaute encore !). Rien que pour revoir une telle merveille au cinéma, ça valait le coup de faire la nuit. Jonathan C.
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Publié le dimanche 25 novembre 2012 à 23h57
Fiches de l'encyclopédie de la SF en rapport avec l'article
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