PIFFF 2014, la soirée d'ouverture
Le nouveau film de Takashi Miike
C'est parti pour une nouvelle tournée du PIFFF !
Après le désormais traditionnel discours d’ouverture (plus bref que d’habitude) fut projeté Tempête sur Anorak, un court-métrage plus qu’original réalisé par Paul Cabon et qui mêle romantisme, mysticisme, amitié et voyage dans le temps dans une étrange cambrousse bretonne ou l’on croise des sorcières ou des moutons possédés. Le décalage total du graphisme et des doublages (qui sonnent volontairement faux) donne vraiment l’impression d’être dans une autre dimension, d’autant plus que les situations sont complètement surréalistes, voire incompréhensibles. Ça ne manque pas de charme et c’est assez drôle, en tous cas c’est inclassable et donc parfait pour lancer cette quatrième édition du Paris International Fantastic Film Festival, qui met en avant des films marginaux, métissés, hybrides et hors du commun. Et ça tombe bien, car le film d’ouverture est le nouveau Takashi Miike !
Alors que ses 5 ou 6 derniers films (dont le film de fantômes Over your dead body et le thriller d'action Shield of Straw, présentés dans plusieurs festivals dont celui de Cannes) ne sont toujours pas sortis en France, l'électron libre Takashi Miike, touche-à-tout aussi prolifique qu'imprévisible, sort de sa poche magique ce The Mole Song : Undercover Agent Reiji, un de ces films de cinglés dont il a le secret et comme il n’en avait pas livré depuis un bon moment. L'agent Reiji, c'est d'abord un flic incompétent, impulsif et parfois stupide mais résolument intègre qui est chargé d'infiltrer un des plus puissants clans yakusa du Japon. C'est par une succession de coups de chance (et de miracles) qu'il y parvient, s'attachant même à son "frère" yakuza qui se fait appeler Le Papillon (car il est passionné par les papillons)...
Adaptant de nouveau un manga, Miike exploite et explose les codes du film d'infiltration et du film de yakusa, même si le plus virtuose Sono Sion est déjà passé par-là avec Why don't you play in hell et surtout Tokyo Tribe. Le cinéaste fou prend un postulat de base classique pour le maltraiter, le triturer et le transformer en un sac de nœuds jubilatoire, à coups de fulgurances absurdes, d'éclairs de violence, de rebondissements invraisemblables, de digressions délirantes et d'inventions visuelles (notamment les petites animations en stop motion au début). Armé d'un budget très confortable, il dynamite les genres tout en assurant le spectacle avec de l'action (bastons, fusillades, explosions...) et même de l'émotion (certaines scènes sont étonnement touchantes, notamment avec le Papillon ou la girlfriend), souvent désamorcées par de l'humour. Il y a toujours un décalage permanent, même dans les moments plus dramatiques, mais les personnages se révèlent attachants, que ce soit l’improbable héros gaffeur Reiji (sorte d’inspecteur Clouzot à la sauce japonaise donc barrée), le Papillon ou les trois supérieurs hiérarchiques de Reiji (dont l’excellent Kenichi Endo, le boss du clan japonais dans The Raid 2, déjà dirigé par Miike dans Crows Zero ou Visitor Q...).
Si le film démarre très fort avec une succession de séquences hilarantes (dont les "tests") et de délires graphiques, il semble devenir peu à peu plus sérieux, au fur et à mesure que le personnage principal évolue, loser débile devenant un vrai héros dont les principes d'intégrité sont mis à rude épreuve au fil d'une aventure qui gagne en intensité ce qu'elle perd en rythme et en humour (reste tout de même des passages très drôles et des idées démentielles : la "première fois" du héros, la cérémonie yakuza, les chiens-nageurs transportant de la drogue, les super-jambes du Papillon...), car il faut bien avouer que 2h10 c'est un peu trop long pour un tel trip et que ça aurait pu être condensé.
Ce qu'on peut également constater depuis quelques années, avec des films comme Over your dead body, Hara-Kiri : mort d'un samouraï ou Shield of Straw, c'est que Takashi Miike est devenu bien plus appliqué sur le plan esthétique et narratif : ses films sont formellement classes, fluides dans le récit, solidement construits et non torchés à l'arrache. En dépit de son mauvais goût assumé, The Mole Song : Undercover Agent Reiji est un bel ouvrage.
Takashi Miike n’avait pas concocté un film aussi déglingué depuis un bail. Mais si celui-ci est savoureux, cartoonesque et délirant, mêlant bon goût et mauvais goût avec une certaine maestria, il n’est pas vraiment trash (peu de gore et encore moins de sexe, étonnant de la part de Miike) et reste même assez sage par rapport à ce qu’a pu faire le cinéaste autrefois.
Jonathan C.
Vous pouvez aussi lire la critique de Richard B. : Critique The Mole Song : Undercover Agent Reiji
Publié le mercredi 19 novembre 2014 à 12h55
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