Interview d'Eli Esseriam
La jeune auteure nous parle d'Apocalypsis... mais pas que.

Eli Esseriam est une romancière française. Elle est auteure de la série Apocalypsis, chez Nouvel Angle, un tableau en cinq volets qui nous présente sa vision, assez originale, de l’Apocalypse, puisque orchestrée par des adolescents. Elle a gentiment accepté de nous en dire plus au cours de cette interview.

Quand avez-vous commencé à vous passionner pour la littérature? Quel est l'ouvrage qui a marqué le plus votre vie de lectrice?
J’ai toujours aimé le livre, d’aussi loin que mes souvenirs remontent. Je me souviens très clairement de la sensation que j’ai eue quand j’ai compris que je savais lire. C’était merveilleux : j’avais l’impression que le monde s’ouvrait à moi. Sans doute le moment le plus grisant de ma vie toute entière !
Le livre le plus fondamental dans mon histoire, c’est incontestablement « L’insoutenable légèreté de l’être », de Kundera. Dans ma vie de lectrice, il y a l’avant et l’après Kundera. Et il y avait surtout le « pendant », où j’ai ingurgité l’intégralité de son œuvre. C’était une période d’émulation intellectuelle sans pareille, de croissance philosophique, de questionnements constructifs. Bref : exaltant.

Cavalier Blanc marque votre passage à l'écriture? Qu'est-ce qui vous a poussé à franchir le pas? Y a-t-il eu un élément déclencheur?
Non, Cavalier Blanc ne marque pas le passage à l’écriture, il signifie simplement l’accès à l’édition. J’ai toujours plus ou moins écrit. Je crois que l’écriture va de paire avec la lecture. Les bons livres donnent envie d’écrire, font émerger des idées, des métaphores, des licences poétiques, des allitérations. Ils permettent de tomber amoureux des mots et c’est une passion qui meurt rarement.
Pour cette série-ci, ce n’est pas quelque chose mais quelqu’un, qui m’a poussé à franchir le pas. En l’occurrence, Fred Ricou, l’inventeur génial du site leshistoiressansfin.com et mon grand ami, au passage. J’écrivais des textes destinés aux albums mais lui me répétait souvent qu’il avait envie de me lire sur un autre format, un récit pour les adolescents. Je n’en avais aucune intention. C’est un genre que je n’aimais pas beaucoup, parce que le peu que j’en voyais ne me plaisait pas.  Et puis, l’idée d’Apocalypsis s’est offerte à moi, aussi je ne l’ai pas refusée.

Est-ce qu'Apocalypsis est le résultat d'une certaine attirance pour la théologie? Le Nouveau Testament fait-il partie de vos lectures?
Une attirance, oui, et puis une éducation et un parcours, surtout. Comme tout le monde, j’ai eu ma petite quête spirituelle personnelle. D’obédience catholique, je me suis convertie au protestantisme dans mon adolescence tardive mais avant ça, je me suis « penchée » sur les autres religions, les formes de foi diverses et variées. J’aime beaucoup ces questions. Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que la religion est l’opium du peuple, point barre. Tout me fascine, dans la théologie. J’essaie de lire tout ce que je peux sur l’Islam, le Judaïsme, mais aussi de comprendre le phénomène des sectes. Il y a des raisons à la piété, la dévotion, le fanatisme, l’incrédulité, le scepticisme ou l’athéisme. Et ça m’intéresse de les connaitre. Donc, oui, le Nouveau Testament, et la Bible plus globalement, sont des textes que je connais bien. Il y a des passages sublimes, tout comme dans le Coran et la Torah, des citations merveilleuses, des brûlots aussi. Il faut avoir lu le Cantique des Cantiques, la première épitre aux Corinthiens, la Genèse. Et connaitre les personnages de Samson, David, Jacob, Caïn, Ezéchiel, Jean-Baptiste, Jonas, Judas Iscariote, Saul de Tarse… Les livres saints sont des prodiges littéraires.

Actuellement sont disponibles les deux premiers tomes d'Apocalypsis (Cavalier Blanc: Alice et Cavalier rouge: Edo), comment vous est venu l'idée de traiter ainsi l'un des plus célèbres textes bibliques, en faisant des Cavaliers de l'Apocalypse des adolescents et en leur consacrant un livre à chacun ?
Aucune idée ! C’est très bizarre de devoir expliquer quelque chose d’aussi flou et abstrait… Je connais la prophétie des Cavaliers depuis toujours. Je suppose que le contexte pré-apocalyptique a fait ressurgir cette histoire. Je déteste cette atmosphère de prétendue fin du monde. Peu de choses me font autant sourire que les reportages sur ces américains bedonnant et ultra préparés qui équipent des grottes ou des bunkers, font des réserves d’eau et de nourriture, cumulent les munitions pour leurs fusils (puisqu’il faudra se défendre contre les survivants affamés, évidemment…). C’est tellement délirant, voire débile, que j’ai probablement eu envie d’en rajouter une couche. La mienne.
J’ai choisi des adolescents parce que ce sont des héros improbables. En toute bonne logique, la fin du monde risque d’être perpétrée par des politiques grisonnants, des quinquagénaires égotiques pour lesquels le mot « jeunesse » sollicite des capacités mnésiques importantes. Autrement dit, l’inverse parfait de mes Cavaliers. J’aime les personnages inachevés, en devenir, incertains. Ceux sur lesquels on ne s’attarde pas, à tort. J’avais plus envie de raconter Alice, Edo, Max et Elias en tant que tels que de parler véritablement des Cavaliers de l’Apocalypse selon la Bible. Il me fallait un tome pour chacun, tout simplement parce que chacun me parait important, singulier et différent. Je les voulais indépendants les uns des autres. Ils se suffisent à eux-mêmes, contrairement aux Dalton qui n’existent qu’à travers la fratrie. Je ne voulais pas que l’un d’eux soit un Robin ou un professeur Tournesol : juste un faire-valoir, des personnages certes intéressant mais toujours dans l’ombre du héros.
Certains m’ont dit que le fait que les héros soient des adolescents les avait rebutés, au premier abord.  Pourtant, Shakespeare précise que sa Juliette Capulet n’a pas encore quatorze ans, Italo Calvino choisit un enfant pour son « Baron perché », sans parler du « Petit Prince » de Saint-Exupéry, qui est tout sauf une histoire gentillette pour bambin sage. Jane Eyre (Charlotte Brontë), Cosette (Hugo), Charlie Bucket (Roald Dahl),  Mathilde et Manech (Japrisot), Michael Berg (Schlink), Anne Frank, voilà, parmi tant d’autres, des enfants et des adolescents, qui sont des personnages centraux d’ouvrages majeurs lus par des adultes.
La vraie question est donc : comment faire autrement que choisir des adolescents pour incarner les Cavaliers de l’Apocalypse ?

Les interprétations de textes bibliques sont assez rarement rencontrées dans la littérature fantastique destinée à la jeunesse. On y trouve plus souvent des histoires construites à base de dragons et de nécromanciens. S'engager dans une sorte de «digression religieuse» pouvait apparaître comme une entreprise risquée, non?
Personnellement, le mot « dragon » évoque plus le folklore chinois ou quelques personnalités féminines de mon entourage qu’une source inépuisable de récits fantastiques. Je crois qu’en dépit de ma foi ou de mon attrait pour l’irréel, j’aime les rêves probables. Il me faut quelque chose de possible, de tangible, de potentiellement crédible. J’ai adoré Harry Potter parce que son histoire regorge d’êtres fantastiques mais je ne sais pas faire ça. Mais alors pas du tout ! Je préfère les héros ordinaires qui voient leur normalité s’effondrer d’un coup d’un seul. Des gens qui nous ressemblent, qui ont les mêmes peurs, envies, idéaux, références culturelles, repères, névroses et aspirations.  La Bible, avant de parler de Dieu, parle d’hommes qui connaissent des épreuves, des tourments, des cas de conscience. Des êtres lâches, orgueilleux, faibles, perfides qui tuent leurs frères, commettent l’inceste, se vautrent dans la luxure. Des gens qui n’ont rien de surhumains mais qui, à un moment précis de leur existence, vont avoir un choix à faire. Que ce soit celui du Bien ou du Mal, de l’opulence ou de l’inconfort, du sacrifice ou de la réserve,  peu importe au final. La Bible parle du choix et du libre-arbitre. Apocalypsis parle du choix et du libre-arbitre. Est-ce une entreprise risquée ? Peut-être, mais là encore, il fallait bien choisir…

«Alors, on leur donna pouvoir sur le quart de la terre, pour exterminer par l'épée, par la faim, par la peste, et par les fauves de la terre». Ceci est un extrait de l'Apocalypse. Pas très gai pour de la littérature jeunesse, non?
Vous trouvez le monde actuel plus joyeux ? A moins de vivre sous LSD et cloitré au Parc Astérix, je crains que la réalité dépasse la prophétie… On vit dans un pays où les retraités volent dans les poubelles des supermarchés pour se nourrir, avant de se décomposer quatre mois dans leur appartement avant que quelqu’un constate leur décès. On cherche les enfants de sans-papiers dans les écoles primaires pour les renvoyer dans un pays qu’ils ne connaissent plus, où ils n’auront ni sécurité ni perspective d’avenir. On se souvient que la maladie existe une fois par an, lors du Téléthon, et encore, on zappe parce que vraiment, ça fait mal au cœur tout ça. On préfère les animaux aux humains, on a presque plus de peine pour les grosses mouches qui se posent sur les petits africains squelettiques. On porte aux nues des gens comme Mickael Vendetta ou Zahia, on se gave d’émissions plus absurdes qu’un roman de Queneau. Les plus vieux nous répètent qu’il nous faudrait une bonne guerre mais on l’a, à notre façon, je crois. Et puis, réveillons-nous : les adolescents sont des personnes extrêmement curieuses, intelligentes et très au fait des réalités géopolitiques. Ils sont sensibles, incisifs, informés et durs. Ils ont un avis sur la société, ses dirigeants, l’avenir du monde. Ils ne sont pas passifs et débiles, crédules et niais. L’adolescence est une transition sombre, dépoétisée, pleine de désillusions, puisque c’est celle de l’enfance à l’âge adulte. On passe de Oui-Oui à Michel Fourniret. Ce n’est pas rien. Alors, si on peut leur proposer autre chose que des cailloux magiques et des vampires amoureux, je pense qu’ils seront preneurs.

Après un début en douceur, dès Cavalier Blanc, le ton employé est assez inhabituel pour ce type de littérature jeunesse avec une Alice qui vit l'enfer. N'aviez-vous pas peur que l'on trouve vos romans trop «durs» pour le lectorat ciblé?
Non. Pour toutes les raisons évoquées précédemment. Les adolescents adorent Dexter, qui est tout de même un tueur en série obséquieux et parfaitement psychorigide. Ils gloussent devant le cynique Docteur House, ils aiment les Desperate Housewives qui sont une belle bande de cinglées aux propos et idées politiquement incorrectes. Ils aiment les histoires de gentil prof qui monte son propre labo de méthamphétamine, de mère de famille inoffensive qui deale du cannabis, d’infirmière accros aux antalgiques puissants, d’épouse aux personnalités multiples, etc. Alors moi, à côté, je suis soft, non ? Mais vous ne connaissez pas encore Max et Elias : ils réservent des surprises, eux aussi, et pas toujours heureuses, vous vous en doutez…

Votre vision de Dieu, froid et calculateur, risquait fort de déplaire à certains. Tout comme l'héroïne du premier tome, qui pourrait apparaitre comme antipathique. Pourquoi ces choix risqués?
Je n’ai pas du tout le sentiment d’avoir fait de Dieu un personnage froid et calculateur. Il est omnipotent et décisionnaire. Voilà tout. Il aime Alice. Est-ce que, pour autant, Il la ménage ? Non, évidemment. Aimer et respecter quelqu’un, selon moi, c’est attendre beaucoup de sa personne, avoir de l’ambition pour lui et des exigences à la mesure des espoirs qu’on fonde sur son potentiel. De la même façon, je ne trouve pas Alice particulièrement antipathique. Elle est un Cavalier de l’Apocalypse ! Je ne pouvais pas lui donner la personnalité de Sœur Emmanuelle, la voix douce de Laeticia Halliday et les belles intentions d’une candidate à Miss France. Elle est faite pour détruire le Monde et non pour ouvrir une maison de retraite pour chevaux de course ou un parc à écureuils. Il faut être cohérent.  J’aurai pu la rendre bien plus dure, amère et cruelle. Croyez-moi…

Des personnages centraux, qui sont destinés à exterminer l'humanité, peuvent être vraiment être considérés comme des héros?
Toute la question est là… A vous de juger, j’ai envie de dire. Je crois qu’ils ne le sont pas, au début, des héros. Mais peut-être vont-ils le devenir…
Mais vous introduisez ici les notions de Bien et de Mal, en suggérant que c’est très vilain d’exterminer l’humanité. Cela étant, tout est relatif. Que penser d’une race qui s’échine, depuis le début du monde, à s’entretuer, s’humilier de la pire façon, se blesser et se nuire ? Qui a accouché un Hitler, un Pol Pot, un Mao, un Richard Ramirez, un John W. Gacy, un Marc Dutroux? Est-ce réellement un dommage, de supprimer ceux qui ont inventé les concepts de génocide, de viol, d’inceste et de pédophilie, d’esclavage et de cannibalisme, de perversion et de destruction, de cuisine vapeur et de musique techno ? Je soulève la question, ce n’est pas là mon avis personnel. Je me contente d’essayer de regarder les choses sous un « nouvel angle ».

Et si l'on vous disait que la structure de l'intrigue d'Apocalypsis évoque un peu celle de Heroes, avec ces surdoués aux destinées torturées?
Je vous dirai : peut-être, oui. Je ne connais pas bien cette série mais je crois qu’on n’invente rien, jamais. Des dons surnaturels, il n’y en a pas cent. L’invincibilité, l’indestructibilité, l’invisibilité, l’omniscience, la télépathie et consort, tout ça a été raconté mille fois, déjà, depuis les personnages de Marvel. Heroes a repris des choses aux Comics et les a accommodées à sa sauce. Comme moi. Soyons réalistes et humbles : aucune idée n’est toute neuve. D’ailleurs, inutile de confesser que je n’ai pas inventé le concept des Cavaliers de l’Apocalypse…

Est-ce que cette œuvre retranscrit des éléments de votre expérience personnelle?
Ah… La question inévitable. Oui, il y a de moi dans Alice. Mais aussi dans Edo, dans Max et dans Elias, je vous rassure. Alice a un peu de mon histoire familiale, si vous voulez tout savoir. J’ai mes propres Barbara et Paul Naulin. J’ai eu un Virgile aussi, et une Marie Létang, un Eric… mais ça, c’est bien plus ordinaire. Alice a beaucoup de la personnalité de l’adolescente que j’étais. Elle évolue dans un lycée qui ressemble au mien, peuplé de personnages que je me suis souvent contentée de décrire… Elle a mon cynisme, mon phrasé. C’est quelque chose que mes proches me disent, en tout cas. Je ne la renie pas, elle me plait assez. Si la question subsidiaire est « Eli Esseriam a-t-elle subi un viol ? », je vous réponds « non ». Et je n’ai pas non plus un super don d’influence, des cheveux blonds et un oméga tatoué sur le poignet. Non, pas sur le poignet…

Quelle est votre méthode d'écriture? Par exemple, sur Apocalypsis, avez-vous travaillé énormément en amont, avec la mise en forme d'un découpage précis du roman, voire de la tétralogie, ou êtes-vous de ceux qui créent au fil de leur plume?
Je suis quelqu’un qui anticipe et construit, structure. J’aime les choses carrées, peut-être trop, alors j’ai tendance à faire des plans de découpe, à donner des articulations, à vouloir apporter une colonne vertébrale au récit. Mais souvent l’histoire contrarie mes idées premières. Et c’est une très bonne chose. Il faut savoir être à  la fois discipliné et flexible, je pense. Donc, un peu des deux, j’imagine. Après, chaque tome était différent à envisager, travailler et élaborer. Alice a été très facile à écrire. Tout coulait de source, sans trop d’efforts à fournir. Edo, c’était jouissif. Je m’amusais réellement. C’était le tome libérateur : je m’autorisais tout ou presque. Max m’a à la fois beaucoup amusée et inquiétée, j’oscillais entre une légèreté feinte et une gravité permanente, avec lui. Quant à Elias, c’est celui qui m’a le plus passionné... J’ai beaucoup lu, cherché, creusé, pour lui. Ils m’ont fait vivre des choses très différentes. Et j’espère que ce sera exactement ce que les lecteurs en retiendront : la diversification de l’émotion.

Quels sont vos projets futurs?
Surprise ! C’est ce qu’on dit généralement quand on ne sait pas trop, je crois. On verra… Je vous tiendrai au courant, d’accord ?

 

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Le troisième tome d'Apocalypsis - Cavalier Noir: Maximilian - est annoncé pour mai 2012, aux éditions Nouvel Angle, collection du Matagot.

Le site Apocalypsis

Auteur : Nicolas L.
Publié le samedi 24 mars 2012 à 12h23

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Commentaires sur l'article

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    J'aimerais bien qu'Eli Esseriam m'explique, nous explique, ce qu'il y a d'absurde dans les romans de Raymond Queneau.
    Souris_Verte, le 24 mars 2012 17h05
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    C'est juste un courant dont il se revendique dans les années 50 : http://www.evene.fr/cinema/films/a-comme-arithmetique-6678.php
    FR, le 25 mars 2012 19h44
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    super
    derter, le 20 décembre 2012 15h50

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