Critique Utopiales 2009 [2009]

Avis critique rédigé par Nicolas W. le mercredi 13 janvier 2010 à 17h22

A la recherche de mondes meilleurs

"En agglomération, le ciel est gris et vierge comme une ardoise, et légèrement lumineux: on dirait un feu d'ordures qui couve. Les quelques corps célestes qu'on parvient à voir briller malgré la pollution sont à peu près aussi excitants qu'un poisson échoué sur la plage. Mais en s'éloignant assez de la ville, on voit encore le ciel de la même manière que nos ancêtres le voyaient, comme un abîme au-delà du bout du monde dans lequel les étoiles évoluent, aussi implacables et aussi inabordables que les âmes des morts d'antan."

Après Mnémos et l'anthologie Rois et Capitaines pour les Imaginales, c'est au tour d'actuSF de nous livrer une anthologie pour le festival des Utopiales sobrement intitulé Utopiales 09. Ainsi le festival Nantais donne l'occasion de rassembler 7 auteurs, français ou anglais, pour ce court recueil de 184 pages en 6 nouvelles et une préface. Arrive-t-il à faire aussi bien que son prédécesseur chez Mnémos ?

Dès après la couverture désuète et du meilleur goût de James Gurney, et comme pour tout recueil qui se respecte, Utopiales 09 s'ouvre sur la préface d'Ugo Bellagamba "Où sont passés nos mondes meilleurs ?". Déjà auteur du génial Tancrède, il nous livre une préface remarquable en tout point. Au cours de celle-ci, il disserte sur la dualité monde réel/monde virtuel et monde idyllique/monde infernal mais aussi et surtout de la place de nous autres, lecteurs et simples humains dans ce paradigme. Tout en allant au fond des choses, il ouvre une dernière voie, celle de la culture, celle qui peut changer les choses et véritablement nous démontrer qu'il existe des mondes meilleurs. Remarquable par l'intelligence du propos et par le style, la préface est aussi remarquable par sa cohérence avec le recueil. Cohérence sera d'ailleurs le maître mot de l'anthologie.

S'ensuit la plus longue nouvelle du livre, celle de l'auteur de Spin et Axis, Robert Charles Wilson. Les Perséides raconte l'histoire de Michael et de sa passion pour l'astronomie qui va le conduire à rencontrer Robin. Au décours de leur relation, il fera la connaissance de l'ami de celle-ci, Roger, étrange individu charismatique qui se revendique comme le concepteur de quelques théories novatrices, dont cet énigmatique concept de gnososphère... Cette nouvelle brasse tous les thèmes chers à l'auteur américain : Les étoiles, l'amour, le contact avec une autre civilisation, la psychologie humaine et le religieux. Sorte de concentré de ces romans, le récit s'avère non seulement être un très bon texte, tour à tour passionnant, poétique et sensible, mais aussi être en parfaite continuité avec la préface de Bellagamba. C'est une bien belle porte d'entrée sur ce recueil et sur l'œuvre de Wilson.

Catherine Dufour est la seconde à se joindre à cette assemblée avec Un temps chaud et lourd comme une paire de seins. Ulalee, notre héroïne, est une inspectrice qui a gravit à la dure les échelons de la hiérarchie policière tout comme elle a franchit les étapes de sa vie. Fasciné par le meurtre des femmes à l'encontre des hommes, elle décide de décrypter les motifs et les enjeux de tels crimes. Mais son carnet de notes déjà bien rempli va devoir faire face à l'histoire d'une écrivain à la conscience un peu chargée...Coutumière du fait, et participant déjà à Rois et Capitaines, Catherine Dufour nous livre un texte de son cru. Dans son style inimitable, entre blague et noirceur, elle nous décrit la vie d'une femme dans un milieu d'homme, dans la police et l'univers terrible du crime et de l'odieux dans un futur proche. Au travers du prisme d'Ulalee, Dufour se permet de savoureuses remarques sur notre société tout en dressant un catalogue d'horreur impressionnant. C'est d'ailleurs cet aspect trop catalogue qui reste le talon d'Achille du texte. Pourtant par son style, par son ironie persistante et par son talent tout simplement, le récit de la française ne démérite pas.

C'est en compagnie d'un chanteur de rock que se poursuit notre périple avec l'hommage à propos d'un petit garçon dont le frère jumeau est décédé mais qui continue à communiquer avec lui. Ce petit garçon devient bien vite une star immense de la musique pendant la Guerre froide aux Etats-Unis. Un parcours extraordinaire pour un homme extraordinaire, Jessie Garon Presley. Walter Jon Williams, l'auteur de Câblé, imagine une uchronie où Elvis serait mort à la place de son frère jumeau. Pourtant, Jessie devient vite une icône comme l'aurait été son frère. Mais au-delà de l'aspect musical qui n'est en fait qu'effleuré, c'est l'aspect de l'engagement politique de Presley qui est mis au cœur du récit par Williams. Un engagement pour les travailleurs et contre les inégalités sociale. Un Elvis de gauche. C'est bon, parfois très bon, et sacrément bien imaginé. Même si l'on pensera fortement que les fans du King et de la musique en général porteront un plus grand intérêt à cette nouvelle que les autres, il n'en reste pas moins un bon texte.

"Nous refusons ce qui est et privilégions ce qui devrait être; autrement dit, nous lâchons la proie pour l'ombre, la réalité pour l'idéal, nous courons après des chimères, nous nous lançons en quête de lendemains et d'ailleurs improbables, inexistants."

Pierre Bordage est un des autres participants des deux anthologies Utopiales et Rois et Capitaines. Cette fois, avec De ma prison..., il disserte sur la pensée et sur l'intelligence humaine, sur ses souffrances et sur ce qui l'emprisonne. Mais surtout que faire pour se libérer de ces prisons mentales ? Magnifique nouvelle d'une intelligence remarquable et qui prolonge encore une fois la préface du recueil, De ma prison... surclasse largement la nouvelle parue dans Rois et Capitaines. Il serait malheureusement imprudent de vous en dire trop sans en dévoiler les idées et les développements. C'est juste bien pensé, bien mené, très bien écrit et surtout c'est un texte qui ouvre à la réflexion sur la nature humaine et la façon pour nous de la conjuguer avec le meilleur ou le pire. Un petit bijou.

Bien que pour le moment relativement sérieux, ce recueil accueille également un texte de Stephen Baxter qui vient renforcer son aspect comique à l'instar de Catherine Dufour. George et la comète suit la renaissance de Phil Beard dans le corps d'un...lémurien. Qui plus est, celui-ci se retrouve sur un monde constitué en tout et pour tout de deux arbres et d'un sol recouvert de feuille. Bienheureusement pour lui, il n'est pas seul puisque les Bâtisseurs ont également ramené à la vie Georges dans la peau d'un second lémurien. Drôle et réjouissante, cette nouvelle improbable permet l'exploration du monde après le monde en imaginant un futur où la Terre n'est plus. Nous n'y apprendrons pas qui sont les Bâtisseurs, laissant le soin au lecteur de s'imaginer le pourquoi de cette histoire abracadabrantesque. L'auteur se concentre sur les deux lémuriens, et notamment sur Phil, le narrateur. Par ses états d'âmes et ses réflexions mais aussi pas les théories de George, le texte est un plaisir de lecture. Pour couronner le tout, Baxter prouve ici qu'il a de l'humour et qu'il sait bien s'en servir. Une très bonne surprise.

Pour clore, ce recueil, c'est cette fois le grand gagnant des Imaginales qui nous sert de guide, Jean-Philippe Jaworski. C'est la Préquelle d'un grand chef de guerre que choisit de nous raconter le français dans un texte médiaval-fantasy comme il en a le secret. Zanticos désire bâtir un monde meilleur, un monde unifié où la Cimmérie serait unie. Pour se faire, il a besoin d'un symbole, d'une épée magique ou sacrée que seul un forgeron d'exception, Babaï, peut lui confectionner. Mais personne ne peut impunément manipuler les forces magiques pour sa propre soif de pouvoir. Laissant une impression d'inachevée volontaire ,Préquelle est le meilleur texte du recueil avec celui de Pierre Bordage. Comme à son habitude, Jaworski déploit une langue raffinée et travaillée au service d'une intrigue à consonance fantasy (qui ne se passe d'ailleurs pas dans le Vieux Royaume mais dans notre monde). Avec un sous texte intelligent, un sens de la mise en scène sans faille et doté d'une chute aussi délicieuse que frustrante, Utopiales 09 se conclut en apothéose.

"Je suis Zanticos, fils de Scylurus. Je suis le vent sur la steppe, je suis l'aigle dans la bataille, je suis le roi des Roxolans, et je proclame: mon trône, je l'ai conquis de haute lutte sur mes frères et sur mes ennemis. Mais toute cette gloire est vaine, car la Cimmérie est faible. Nous autres, Sarmates, nous épuisons nos forces dans des querelles sans fin. Nous sommes comme un cavalier pris de démence, au cœur de l'orage, qui tire ses traits en tous sens pour défier la foudre. C'est assez de cette folie."

Le volume est disponible à la vente ici.

La conclusion de à propos du Recueil de nouvelles : Utopiales 2009 [2009]

Auteur Nicolas W.
85

Sans un seul texte faible ou anecdotique, Utopiales 09 honore le festival nantais de la plus belle des façons. Présentant 6 mondes meilleurs par le prisme de 6 auteurs différents et profitant d'une cohérence de propos simplement remarquable, le recueil des éditions actu SF ne fait pas qu'accueillir de grands noms, il accueille aussi de grands textes. Etonnante surprise que de voir Rois et Capitaines se faire battre sur tous les plans au profit de ce petit livre des éditions Trois Souhaits, étonnant mais surtout réjouissant. Car dans ce combat, nul perdant, nul vainqueur si ce n'est le lecteur bienheureux de pouvoir explorer le possible de ces mondes meilleurs au gré des pages du recueil. Bravo.

On a aimé

  • La cohérence du recueil
  • La qualité globale
  • Préquelle et Dans ma Prison...
  • La préface
  • L'initiative d'ActuSF

On a moins bien aimé

  • Rien à dire

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