Critique La Rose pourpre du Caire [1985]

Avis critique rédigé par Nicolas L. le vendredi 4 juillet 2008 à 14h54

Un ticket pour le rêve

Une petite ville du New-Jersey, durant la grande dépression. Cecilia est employée dans un café. Empêtrée dans un mariage malheureux, avec un mari chômeur et ivrogne, elle mène une vie morne et pénible. Sa seule lumière, ses seuls moments de joie, elle les trouve dans ce petit cinéma de quartier. Là, après le travail, calée dans son fauteuil, un petit sachet de pop-corn dans les mains, elle quitte le monde matériel pour pénétrer dans l'univers magique du cinéma. Hors, un soir, alors qu'elle assiste pour la énième fois à la projection de La Rose Pourpre du Caire, une chose incroyable se produit...


Woody Allen est reconnu comme étant un homme généreux dans son cinéma. Ses films, souvent des comédies acidulées mais optimistes, riches en messages et en clins d'oeils cyniques sur lui-même et le monde qui nous entoure, possèdent en général - à la manière d'un signe particulier - une certaine nonchalance, une douceur ouatée qui correspond au caractère même de leur créateur. Hors, aujourd'hui, avec le recul (le film date de 1985), l'on se rend compte que la Rose Pourpre du Caire est l'oeuvre la plus aboutie de Woody Allen, avec un scénario plus calculé que d'habitude, une narration d'une grande précision, et affichant une thématique amenant bon nombre de questionnements très sérieux sur la puissance de l'image.
Cecilia est une personne de condition modeste, elle incarne cette Amérique qui rame au quotidien pour joindre les deux bouts. Son échappatoire, elle le trouve à travers les comédies romantiques (aujourd'hui, cela serait le monde virtuel et les jeux vidéo). La Rose Pourpre du Caire - qui n'a d'ailleurs rien d'un film de grande qualité - lui apporte cette sensation d'évasion pour un univers où tout n'est que paillette, champagne et romantisme. Un univers où nul n'est insignifiant, avec un rôle à jouer, même la camériste de couleur. Mais elle ne se rend pas compte que ce monde est aussi celui de la superficialité, de la conventionalité et de la monotonie. Des aspects que ne supporte plus Tom Baxter, l'un des personnages du film. Aussi, en pleine projection, Tom Baxter sort de l'écran, prend des couleurs, et s'enfuit de la salle en emmenant Cecilia avec lui. Commence alors une romance improbable entre ce personnage fantasmé et la petite serveuse de fast-food.

Avec un tel sujet, La Rose Pourpre du Caire aurait pu être un spectacle terriblement mièvre et sucrée, mais cela aurait été compter sans le talent et la malice de Woody Allen. Pour agrémenter la mise en place de sa vision sur le pouvoir du fictif (et en même temps, jeter un regard très critique sur le milieu du cinéma), il choisit d'emprunter le ton de la comédie légère mais non dénuée de cette acidité qu'il affectionne tant. Tout d'abord, il ne se contente pas de construire son histoire romantique comme une discrète escapade. Non, bien au contraire, la sortie de l'écran se fait devant tout le public qui, abasourdi, n'en croit pas ses yeux. Immédiatement, les studios sont alertés et la panique s'empare des responsables de la RKO. En effet, que se passerait-il si "les personnages décidaient de quitter tous les écrans et, surtout, qui serait responsables de leurs agissements dans la vie réelle?". En fait, personne ne remet en cause l'impossibilité de cet évènement, tous s'inquiètent sur les conséquences financières (on achète même les journalistes pour s'assurer leur silence). Un comique par l'absurde qui fonctionne parfaitement.
Mais cela n'est pas tout, car les personnages restés à l'écran ne restent pas sans réaction. Ils se prennent aussi à s'animer d'une vie propre, mais de manière désordonnée. Privé de Tom Baxter, qui ne peut plus leur donner la réplique, ils se retrouvent sans fonction ni consigne. Ils s'adressent au public, manifestent leur mécontentement, tous en gardant le profil psychologique étroit que leur a dressé le scénario (ils ne réalisent donc pas qu'ils sont en pleine émancipation). Désœuvrés, un peu perdus (leur construction psychologique ne les a pas équipé des moyens intellectuels pour résoudre cette crise par eux-mêmes), ils passent même le temps en organisant des parties de cartes. Du coté de la mécanique humoristique, il n'y a rien à redire, c'est très subtil, élégant et surtout très drôle.

Pendant ce temps, Tom Baxter, modèle idéalisé de l'aventurier romantique, découvre le monde réel, ce qui bien entendu, amène son lot de gags vu que tout ce qui le concerne n'est que facticité. Il va payer le restaurant avec des billet des Monopoly, prendre des coups de poing sans en garder aucune marque, et même faire fondre de plaisir une équipe de prostitués par ses propos concernant sa vision de l'amour et des affaires sentimentales. Puis, toujours en jouant sur la dualité réalité / fiction, Woody Allen va amener la confrontation entre Baxter et son créateur, le comédien Gil Shepherd . Prise entre les deux, Cecilia ne sait plus trop à qui s'abandonner. Entre l'homme parfait, mais fictif, et le comédien hollywoodien charmant, elle va finir par opter sur la sécurité et les chimères d'Hollywood, promises par un homme qui, s'il n'est pas faux, en tire cependant son gagne-pain. Une fin douloureuse, qui prend complètement à contre-pied le spectateur, et qui l'encourage - s'il le désire - à remonter le fil du récit pour en soutirer tous les messages cachés sous cette comédie faussement innocente.
Au niveau de l'interprétation, Mia Farrow est tout simplement craquante. Compagne de Woody Allen, elle se montre d'une grande complicité et cette femme de fort caractère fait apparaître ici une grande sensibilité et une innocence très touchante. La séquence où elle quitte le domicile conjugal, une simple valise à la main, est très forte; la jeune femme se retrouve paumée dans la rue, erre un moment, et finit par retourner chez elle la tête basse. Mais la révélation, c'est Jeff Daniels. Déjà connu pour son habileté dans les films romantiques (Tendres Passions), il prend ici deux rôles importants, sans trop en faire, avec une bonne perception des nuances. Même sur la fin, son pathétique personnage de Gil Shepherd inspire plus la tristesse que la haine, ce qui reste bien dans le ton du film. A noter aussi les présences remarquées de Danny Aiello (dans le rôle du mari de Cecilia) et Diana Wiest (une des actrices préférées de Woody Allen) dans le rôle d'un prostituée.

La conclusion de à propos du Film : La Rose pourpre du Caire [1985]

Auteur Nicolas L.
85

La Rose Pourpre du Caire est assurément l'un des tous meilleurs films de Woody Allen. Comédie romantique dotée de plusieurs niveaux de lecture, elle lance de manière élégante - et sans aucun parti pris - le débat sur la force du fictif à gérer notre existence (que cela soit sous la forme de générateur de fantasme ou sur sa simple capacité cathartique) mais il porte aussi un regard critique sur Hollywood, un univers de tromperie et de conventionnalisme. A cela, il ne faut pas manquer d'ajouter l'interprétation hors pair d'un casting de grande qualité.

On a aimé

  • Comédie sentimentale très réussie
  • Plusieurs niveaux de lecture
  • Réalisation très élégante
  • Interprétation de qualité

On a moins bien aimé

  • Probablement trop fleur bleue pour certains

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