Critique Les Enfants Loups, Ame et Yuki [2012]

Avis critique rédigé par Jonathan C. le samedi 4 août 2012 à 19h16

teen wolf

Nouveau prodige en passe de devenir maitre du film d’animation japonais, Mamoru Hosoda s’est pourtant fait connaitre avec les Digimon (il réalise plusieurs épisodes de la série animée ainsi que le long métrage), rejetons high-tech des Pokémons (et des Tamagotchis). Mais c’est avec La Traversée du Temps, Summer Wars et maintenant Les Enfants Loups, Ame et Yuki qu’il impressionne et devient un auteur important et passionnant (il est d'ailleurs devenu, dés Summer Wars, son propre scénariste). Après avoir développé des variantes originales du voyage dans le temps et des réseaux sociaux virtuels, Hosoda s’inspire cette fois du mythe des loups-garous, bien qu’il ne soit pas vraiment question de lycaons dans Les Enfants Loups, qui ne révèle d'ailleurs pas grand-chose de cet étrange phénomène (mais peu importe). Il y a toujours une part de fantasme geek chez Hosoda, surtout sous la houlette du studio Mad House (qui a produit les films de Rintaro, de Katsuhiro Otomo, de Yoshiaki Kawajiri et de Satoshi Kon).

Dans Les Enfants Loups, Ame et Yuki, Yuki adulte raconte son enfance pas comme les autres, la rencontre de sa mère avec un mystérieux homme-loup, la mort prématurée de ce dernier, sa propre naissance et celle de son frère Ame, leur enfance d’enfants-loups en ville puis à la campagne, leur scolarité compliquée, ses premiers émois amoureux…
Déroulant son histoire sur plusieurs années, au fil des souvenirs racontés par le personnage de Yuki, Mamoru Hosoda suit pas à pas les difficultés d’une mère à élever seule deux enfants-loups, essayant tant bien que mal de cacher ce secret tout en voulant leur offrir une belle enfance et une éducation honnête. C’est pourquoi elle décide de quitter la ville pour s’installer en pleine campagne, où ses enfants pourront grandir en toute quiétude. Le récit dérive petit à petit et logiquement (puisqu'il y est question d'héritage et de transmission) de la mère aux deux enfants-loups et se pose devant leur quotidien complexe, au cours duquel chacun des deux optera pour une orientation différente (Yuki décide de s’assumer en tant qu’humaine et tente d'avoir une vie « normale », Ame veut rester loup et retourner dans la forêt). Cette ambivalence humain/loup sera autant le déclencheur de gags (pour soigner un enfant-loup : clinique vétérinaire ou hôpital ?) que de drames (le coup de griffe au garçon) tout au long d'un récit d’enfance naviguant entre joies et peines, entre extase et mélancolie, avec même quelques frayeurs (Ame dans la rivière), passant sans transition du mélodrame existentiel à la comédie de moeurs.

Dans un rythme contemplatif se succèdent les saynètes-souvenirs drôles et touchantes, Mamoru Hosoda déployant une nouvelle fois son génie de l’ellipse, sans jamais avoir recours à un quelconque « 3 ans plus tard ». Parce qu’il est un conteur génial, Hosoda est un véritable maitre du temps ; il ne se sert pas du temps, il le dompte et il le raconte. La narration très succincte ne cesse d’avancer droit devant (car avec du recul, l’enfance est toujours trop brève, résumée par des souvenirs précis, comme les bribes d'une vie antérieure). Le cinéaste instaure pourtant une atmosphère paisible et sereine évoquant, une nouvelle fois après ses deux précédents films, le feel-good movie. On se sent bien dans les films de Mamoru Hosoda, presque comme si le réalisateur nous invitait chez lui (d’autant plus qu’il situe l’histoire dans sa région natale) et nous intégrait dans son cercle intime. Si Les Enfants Loups, Ame et Yuki berce autant, c’est aussi par sa construction très musicale, ce lent crescendo dans l’euphorie parsemé de silences, de flottements et d’instants méditatifs, à l’instar de la magnifique bande-son, qui semble discontinue malgré ses pauses. Parfois, la mélodie du bonheur s’emballe pour atteindre des cimes à donner des frissons, dans un vent de liberté galvanisant et épique, par exemple la course dans la neige ou la virée avec le « maitre ».

Il n’y a pas d’intrigue clairement définie ici, mais des enjeux forts se dessinent progressivement, notamment lorsque la double-nature des enfants menace l’équilibre des valeurs traditionnelles. Pour Mamoru Hosoda, les coutumes, l’héritage, la transmission et le culte de la famille sont essentiels, et donc prédominants dans son œuvre. C’est pourquoi ses histoires se déroulent dans le Japon rural (si on voulait faire une comparaison absurde, on pourrait dire que Mamoru Hosoda est un peu le Jean Becker nippon), symbole de l’enfance, des souvenirs, donc des souvenirs d’enfance. Tous les films du réalisateur reviennent d’ailleurs sur l’enfance. Les Enfants Loups met en avant les bienfaits (mais aussi les difficultés) de l'éducation à la campagne et du contact formateur de l'enfant avec la nature (c'est l'apprentissage par soi-même). Autre point commun avec Hayao Miyazaki, la nature a ici un rôle important et offre au film son charme bucolique et apaisant (à noter que le directeur artistique des Les Enfants Loups est aussi celui de Kiki la petite sorcière). Si Hosoda commence à être comparé à Miyazaki, c’est plus dans le fond que dans la forme. Les films de Mamoru Hosoda sont à priori plus adultes, plus ancrés dans une réalité géographique et sociale (là ou Miyazaki vise clairement le fantastique pur, le picaresque, l’heroic-fantasy et la mythologie), moins cartoonesques et moins fous (encore que Summer Wars est une perle de fantaisie). Excepté pour les Digimon qui l'enfermaient dans une charte à respecter, Hosoda met de coté sorcellerie, créatures étranges, design steampunk et réflexion écolo, même quand il aborde un mythe fantastique et en explore autant l'humanité que l'aspect sauvage. Hayao Miyazaki illustre le fantasque, tandis que Mamoru Hosoda traite du fantasme.

Les choix de vie (rentrer dans le rang ou revenir à l’état sauvage ?) et l'éducation (en ville ou en campagne ?) sont également des thèmes/dilemmes récurrents dans l’œuvre de Mamoru Hosoda (on peut même dire que l’éducation est une préoccupation majeure du cinéma japonais), en particulier à travers ses personnages féminins forts et courageux qui englobent tout un cycle de vie. Les Enfants Loups voit passer la maternité, l’enfance, l’adolescence et la maturité, et c’est pourquoi les relations parents-enfants sonnent si juste dans les films du cinéaste. Hana est une superbe incarnation de l’instinct maternel, de l’amour d’une mère et de ses sacrifices (la mère devient une héroïne romanesque et iconographique, cf. l'affiche). Dans une structure cyclique toujours aussi maitrisée, le cinéaste montre comment la fille devient l’image de sa mère et comment le fils devient l’image de son père. « Comment devient-on adulte ? » est une question à laquelle Hosoda donne une réponse différente à chaque nouveau film, exploitant le fantastique pour la démonstration de l’initiation. Ce sont des films adultes qui parlent de l’enfance, des responsabilités, des quêtes du bien-être et de la paix intérieure mais aussi des quêtes identitaires ; dans les films de Mamoru Hosoda, les héros sont toujours doubles, ils ont une double-nature, un alter-ego ou un avatar (et qui dit double dit choix). Ses personnages finissent toujours par trouver leur voie et ses récits sont des élévations spirituelles menant autant à la maturité tranquille qu’à l’extase du bien-être. Malgré la prédominance du passé, des souvenirs et des réminiscences, les fins de ces films ne sont pas des conclusions mais des ouvertures, des prologues, des fenêtres donnant sur l’avenir. Ce sont des films solaires et positifs.

La douceur des images, la beauté des plans et la magie du cadre composent un enchantement de chaque instant, le cinéaste s’arrêtant parfois pour contempler les nuages comme il le faisait quand il était gosse ou pour se promener dans la nature, ou apprécier simplement de longues plages muettes et musicales. Sans jamais trop en faire, la mise en scène s’élève en même temps que ses personnages, s’adapte à leur environnement, à leur état d’esprit ; à ce titre, la formidable séquence de la course dans la neige est surprenante dans sa mise en scène et son accélération soudaine. La simplicité du graphisme rend l’ensemble agréable, pur et accessible. Les Enfants Loups est fluide, coloré, débordant de vie et en même temps très posé.
Le nouveau studio Chizu, créé pour l'occasion par Mamoru Hosoda et avec Takaaki Yamashita aux commandes, fait des merveilles dans l’animation ; il suffit de brefs mouvements (et d’un gros travail sur le son) pour insuffler de la vie à l’environnement, aux personnages, ou même aux conditions climatiques. L’homogénéité des films de Mamoru Hosoda, l’évolution de son style et la cohérence de son œuvre tiennent aussi du fait qu’il travaille toujours avec ses fidèles collaborateurs, qu’il s’agisse du scénariste Satoko Okudera (auteur également du Kaidan d'Hideo Nakata et du pas franchement réussi Samourai Resurrection), du character designer Yoshiyuki Sadamoto (connu aussi pour son travail sur Evangelion, Les Ailes d’Honnéamise et Nadia et le secret de l'eau bleue) ou de Takaaki Yamashita à l’animation (comme sur Steamboy, Perfect Blue ou la séquence animée de Kill Bill).

La délicatesse et la finesse de Mamoru Hosoda sur Les Enfants Loups, Ame et Yuki, c’est par exemple comment suggérer une scène d’amour entre une jeune femme et un loup sans virer aux allusions zoophiles ou à la vulgarité, comment en dire autant avec si peu de mots, comment contourner l’écueil du pathos avec un tel sujet. C’est aussi des moments de poésie sublime (Yuki qui confie son secret au garçon devant la fenêtre à la lumière de la lune), et il y a même quelque chose de Yasujiro Ozu ici (les valeurs traditionnelles et familiales, le ton apaisant, le mélodrame du quotidien...), ainsi que des similitudes avec le Colorful de Keiichi Hara et le cinéma de Douglas Sirk (le mélodrame social et psychologique teinté d'étude de moeurs).
Les personnages sont tous attachants, des gamins forcément craquants et hilarants (Yuki est impayable) au vieux fermier grincheux en passant par le garçon amoureux. Mamoru Hosoda continue de mettre en scène des marginaux, des héros coincés dans leur bulle ; l’enjeu sera justement de sortir de cette bulle sans renier leurs valeurs, de lier l'affirmation de soi à l'intégration sociale (ou sauvage). Tout en étant des divertissements grand public à la fois geek et populaire (d'ailleurs Les Enfants Loups a cartonné au box-office japonais et devrait recevoir un bel accueil en France) et aussi bien destinés aux adultes qu'aux plus jeunes (de 7 à 77 ans, comme on dit), les fables de Mamoru Hosoda sont aussi des analyses psychologiques qui, bien que complexes, coulent de source, sont toujours justifiées et ne ralentissent jamais la mécanique ludique. Les Enfants Loups est un spectacle complet mêlant humour, réflexion et émotion, ce qui fait qu'on ne voit pas passer ces deux heures qui trottent ensuite longtemps dans la tête.

La conclusion de à propos du Film d'animation : Les Enfants Loups, Ame et Yuki [2012]

Auteur Jonathan C.
80

Très ancré dans ce mélange de réflexion et de poésie typique du studio Mad House, dans la lignée d’un Satoshi Kon mais en plus simple (en apparence), Les Enfants Loups, Ame et Yuki est un film d’animation ambitieux et subjuguant qui se sert de son postulat fantastique et fantasmagorique pour illustrer autant un contexte social que le cycle de la vie. Souvenirs, choix de vie, éducation, spiritualité : tout ce qui fait le cinéma de Mamoru Hosoda atteint ici une forme de beauté épurée et apaisée. Véritable magicien du temps, le réalisateur de Summer Wars et de La Traversée du Temps confirme, affirme et affine une impressionnante virtuosité formelle et surtout narrative. Sa fable est belle, riche, drôle et émouvante. Entre des suites bruyantes pour pas grand-chose (Madagascar 3, L'Âge de glace 4) et du Pixar décevant, Les Enfants Loups vient relever le niveau d’un cinéma d’animation en manque d’inspiration (à retenir : Les Pirates ! Bons à rien, Mauvais en tout ou la bonne surprise du Lorax) et se pose comme le meilleur film d'animation de l'année.

On a aimé

  • Une richesse thématique exceptionnelle
  • Une impressionnante maestria narrative
  • Une ennivrante pureté tant spirituelle que graphique
  • Une bande-son immersive et envoutante

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