Chronique sur La Colline a des yeux
Un regard par dessus La Colline

« Le premier monstre qui se doit d’effrayer le public d’un film d’horreur est le réalisateur lui-même »


La Colline, de loin
Les meilleurs films d’horreur sont ceux qui leur époque à travers un miroir déformant. Au-delà des créatures et forces du mal, ces films transcendent les zones d’ombres et transforment leurs sources les plus profondes et les plus noires en de véritables cauchemars.
Les années 70 ont marqué l’apogée des films d’horreur modernes. La Guerre du Vietnam, la corruption (de l’affaire) du Watergate et la lutte continue pour l'égalité des droits ont créé des sentiments d’aliénation parmi des personnes de tous âges, races et croyances. Il s’agissait clairement d’une période de lutte où le sentiment que le statut quo pouvait s’effondrer à tout moment prédominait.
Quand Wes Craven a pour la première fois travaillé sur un script basé sur l’idée que rien n’est plus sacré de nos jours, il n’avait pas idée qu’il touchait la crainte la plus répandu de l’époque. En 1977, La colline a des yeux donne chair à cette crainte, créant un chef d’œuvre (symbolique) qui trouve encore un écho de nos jours.
Chapitre 1 : Aux pieds de la colline :
« Dans la Colline a des yeux, j’ai examiné la part d’ombre de la famille Américaine. »
Le milieu des années 70 marque un tournant dans la carrière de Wes Craven. Son premier film, La Dernière Maison sur la Gauche, fut un succès fracassant qui lui conféra une notoriété immédiate. Malheureusement ce genre de notoriété mettait à l’écart l’élite culturelle et les dirigeants décontenancés d’Hollywood.
Craven s’acharna, écrivant des scénarios et organisant des réunions, sans pouvoir s’empêcher d’avoir le sentiment qu’il manquait de plus de plus de possibilités.
Les choses changèrent lorsque le producteur Peter Locke suggéra à Craven de réaliser un autre film d’horreur, lui proposant de le produire lui-même. A l’époque la femme de Locke travaillait aux alentours de Las Vegas, lui insufflant l’idée de se servir de l’effet effrayant de ce décor désertique.
Les réticences auxquelles était assujetti Craven s’estompèrent lorsque l’argent coula à flots, et peu de temps après, il sillonna la bibliothèque de New York à la recherche d’inspiration. Il fut intrigué par l’histoire de Sawney Beane et sa famille, un clan de consanguins cannibales qui terrorisait la campagne Ecossaise dans les années 60. Quand les membres de la famille Beane furent capturé par la police locale, il furent torturés et exécutés de telle façon que leurs crimes passèrent pour des jeux d’enfants.
« J’ai enquêté quelques temps sur le meurtre et la mutilation en général, et j’ai parcouru l’histoire de cette étrange famille qui vivait en Ecosse au XXVIème siècle. C’étaient des cannibales vivant dans une caverne donnant sur l’océan, et qui s’attaquaient aux voyageurs qui s’égaraient entre Londres et Edinbourg. Les environs furent dès lors considérés comme hantés, à cause de ces voyageurs qui ne revenaient jamais. Au final, un couple fut attaqué sur le chemin de leur maison, la femme trépassa mais son mari parvint à s’enfuir après avoir vu le clan. Il retourna à Londres pour demander de l’aide. Ils découvrirent la caverne et ses 25 habitants, ainsi que des cuves de corps inanimés marinant dans l’eau de mer. Cette famille sauvage et démente fut capturée et extradée à Londres, puis exécutée de la manière la plus bizarre et incivile qui soit. C’était le point de départ de la famille des collines. »
La famille Beane a payé sa sauvagerie, leurs ravisseurs civilisés étant encore plus brutaux, a incité Craven à écrire son propre récit, celui de deux familles. Les premiers étaient les Carters, une famille tranquille de banlieue voyageant dans le désert à destination de la Californie. Alors que leur RV tombe en panne, ils sont attaqués par leurs exacts opposés : un clan de cannibales primitifs et sociopathes, dirigés par l’effrayant Père Jupiter. Après quelques pertes, les Carter regroupent les outils qu’ils ont sous la main afin de préparer une vengeance vicieuse. A la fin, on se rend compte que ces familles en apparence très différentes, peuvent adopter un comportement similaire dans leur coté obscur et primaire. Les deux familles partagent le même sentiment d’amour et d’honneur, et toutes deux adhèrent fortement à leur code moral, bien que ce code soit très différent d’une famille à l’autre.
« J’étais bien plus intéressé par cela – les similitudes entre les deux familles, leur coté obscur et leur coté plus léger. Chaque famille a sa propre intégrité, ses propres valeurs. Même les bandits hurlent lorsque les leurs se font tuer, et la famille Carters devient de plus en plus perverse. »
A la manière des grands ouvrages littéraire Sa majesté des mouches et Orange Mécanique, La colline a des yeux étudie la nature de la société, la morale, et la base des rapports humains, mais dans un contexte particulier.
« Le corps de cette histoire résumait ma pensée concernant la civilisation, car d’un coté, la sauvagerie effrénée rode autour de la civilisation et l’attaque, et celle-ci en retour devient complètement bestiale et incivile et montre à son tour son coté macabre. »
Chapitre 2 : Gravir la Colline
« Nous avons tourné pendant cinq semaines. Nous tournons toujours en 16mm, mais nous avions recours aux effets spéciaux, avec plein d’explosions, ce qui était très excitant pour nous. Nous avions des animaux, nous avons tournés des scènes d’actions pour lesquelles nous avions embauché un cascadeur. On a vraiment fait des choses sympas. »
Les préparations pour La colline a des yeux commencèrent en Août 1976. A partir d’une carte topographique de la Californie, Craven et Locke choisissent Apple Valley comme lieu de tournage. Cette ville anodine s’avéra être située dans un désert austère et inhospitalier : chaud et étouffant le jour, et glacial la nuit. Pas vraiment l’endroit idéal pour tourner un film dans des conditions confortables, mais la froideur des lieux aida à la fois les réalisateurs et les acteurs à vendre l’intrigue du film avec une réelle authenticité.
Les fonds budgétaires réunis par Peter Locke avoisinaient les 250.000 $, quasiment le triple du budget de 90.000$ qu’avait Craven pour La dernière maison sur la gauche. Afin de capturer la tension de cette frénétique histoire, Craven et Locke embauchèrent un vétéran du cinéma : Eric Saarinen, un documentariste ayant plusieurs productions avec Roger Corman à son catalogue. Ils choisirent de tourner en 16mm, principalement pour des raisons pratiques : commodité et facilité d’utilisation. Le tournage caméra en main, et l’effet de lumière clairsemé obtenu sont les principaux facteurs de l’atmosphère graveleuse et moite qui définit bien La colline a des yeux.
Craven a réuni un casting impressionnant, combinant acteurs expérimentés (La star de « Huit ça suffit » Virginia Vincent et un familier des westerns John Steadman) et nouveaux talents qui montent (Michael Berryman, dont le regard distinctif fut utilisé pour l’affiche, et Dee Wallace-Stone, qui fit ses débuts dans La colline a des yeux.). Dee Wallace-Stone devint plus tard célèbre en jouant la mère d’Eliot dans E.T. et pour d’autres rôles dans des films d’horreur tels que Hurlements ou encore Cujo.
Le casting et l’équipe du film bouclé, Craven et Locke tournèrent La colline a des yeux en Septembre et Octobre 1976. Le tournage fut laborieux, l’équipe travaillant en moyenne 12 heures par jour, six jours par semaine, pour mettre le film en boite. Non seulement les acteurs étaient fatigués et perturbés par les conditions du tournage, mais ils devaient en plus composer avec certains imprévus, le pire étant quand un serpent venimeux qui s’échappa lors de l’installation des cameras. Le serpent fugitif fut par la suite capturé par un dresseur, laissant à l’équipe du film un souvenir angoissé pour les années à venir.
« Il y avait pas mal de façon de se blesser sur le tournage. Tout était épineux, piquant et blessant. La nature à l’état brut. On pouvait facilement perdre son pied ou encore plus simplement se faire des fractures ouvertes. »
Contre les coups du sort et serpents facétieux, le casting et l’équipe étaient inspirés de la même façon par la vision de Craven et s’allièrent pour terminer le film. Locke fut un exemple pour les autres : non seulement il conduisait l’ensemble de l’équipe sur le plateau, mais en plus il interprétait le personnage de Mercury, l’un des membres de la famille du désert. Ils découvrirent le sens du « Show must go on », travaillant tous ensemble à l’écran, et souvent les acteurs effectuant leurs propres cascades pour plus d’authenticité.
« Je sais qu’il y avait une expression qui circulait entre les acteurs et l’équipe technique : si vous tuez le bébé, nous partons. »

Chapitre 3 : Au sommet de la colline
« Avec La colline a des yeux, nous savions qu’il y aurait des critiques après nous : ‘Voici donc un autre film sorti de l’esprit perturbé de ce type, Wes Craven »
La colline a des yeux reçu un X rating aux US et fut soumis à la MPAA (Motion Picture Association of America) et a du être réédité plusieurs fois afin d’obtenir le R rating. C’était extrêmement frustrant pour le réalisateur même si cela témoignait du puissant impact de leur film. Cette puissance n’a pas diminué d’un pouce. La colline a des yeux possède toujours cette capacité à choquer, même sous des critères d’audiences plus modernes, parce que le film profite des opportunités et génère de l’inattendu, se démarquant des films d’horreur conventionnels de son époque. C’est le genre de films où les mères se font tuer devant leurs enfants, où les gens se font dévorer après avoir été brulés vivants, et où les héros doivent utiliser le corps d’un des leurs pour attirer leurs ennemis. Rien n’est sacré dans ce film, et cette idée provoque une peur concrète et palpable qui perdure chez le spectateur, jusque longtemps après le générique de fin.
De plus, il y bien plus d’éléments dans La colline a des yeux que l’efficacité puissante du choc. En ayant parfaitement cerné la dynamique de la famille, Craven confère aux deux familles du film une évidente authenticité. Craven s’est appuyé sur ses propres expériences afin de générer ce sentiment de crédibilité : Bob et Ethel Carter furent inspirés par un vrai couple marié qui fréquentait sa mère alors qu’il était enfant, et la plupart des dialogues politiquement incorrects de Bob viennent des propos qu’utilise celui-ci dans la vraie vie. Craven met en avant la symbiose évidente qui existe entre les deux familles et qui amène les deux familles à adopter l’archétype primitif de la structure familiale dominée par le père.
Les noms des divers membres de la famille cannibale répondent à la même stratégie derrière laquelle se cache la démence. Les noms de planètes qui furent attribués aux hommes correspondaient aux traits de leur personnalité : Jupiter est la plus grande des planètes, Mars est « le Dieu de la guerre » et Pluton la plus jeune, et moins connue des planètes. Rubis a obtenu son nom car elle symbolisait le seul rayon d’espoir de sa famille et était de ce fait leur bijou.
Pour conclure, Craven s’est servi de son inspiration venant de faits divers, et de critères artistiques plus classiques pour ajouter un autre niveau de lecture à son histoire. L’intolérance et la cruauté que dégagent Jupiter et sa famille à l’encontre de la famille Carter étaient inspirées par la colère de certains pays du Tiers Monde envers les Etats-Unis. Craven tira aussi son inspiration des mythes Grec et Romain, car ces récits sont primaires, violents et relatent la base des rapports humains qu’il voulait explorer. Une source exceptionnelle de ses inspirations vient du peintre Goya, auteur du célèbre Cronos dévorant ses enfants, qui inspira les séquences de cannibalisme du film.
L’habile combinaison de ces influences apporte beaucoup à ce film comparé à une décharge électrique de 10000 volts. Certaines personnes de l’équipe du film furent témoins de cet impact lorsqu’ils assistèrent à une projection promotionnelle du film à Détroit. Une mère accompagnant son fils adolescent se leva en plein milieu de la projection et dit : « Ce film est malsain et dépravé !». Son intervention fut accueillit par une tape sur l’épaule. Elle se retourna et vit le visage de Pluton lui-même, Michael Berryman. Sa réponse : « Vous avez sacrément raison madame. »

Chapitre 4: la colline devient légende.
« Cela m’a apporté beaucoup de considérations. Je pense que quelque part les gens prirent du recul et virent qu’un réalisateur était derrière tout cela. Ce n’était pas juste ‘Oh, tranchez un millions de gorges et cela fera un bon film d’horreur.’ Nous parlions de quelque chose. » La colline a des yeux sortie en salles en Juillet 1977. Le film fonctionna bien la première semaine, et fit même des entrées record dans certains cinémas. Malheureusement, ses marges de profit furent rapidement diluées avec la sortie d’un autre film: Cours après moi Shérif !. L’engouement populaire autour de ce film sorti des petits films comme La colline a des yeux hors des programmations des cinémas. Cependant, La colline a des yeux continua d’être projeté en salle pendant des années. Dans les années 1980, le film atteint une nouvelle audience au travers de la télévision, du câble, ainsi que de la location de vidéos. Il gagna une nouvelle légion de spectateurs et permis à Craven de tourner une suite au film: La colline a des yeux 2.
De nos jours, la popularité du film entre dans une nouvelle ère grâce au remake d’Alexandre Aja, réalisateur et coscénariste du film d’horreur international Haute tension. Comme les meilleurs remakes, La nouvelle version de La colline a des yeux ne fait qu’accentuer certains éléments de la version originale, particulièrement le thème de l’ère atomique sous jacent au film original.
Les fans de films d’horreur seront aussi heureux d’apprendre que le remake de La colline a des yeux est produit par Wes Craven. Cela nous assure qu’une touche de la vieille école sera présente dans le film d’Aja. Après tout, l’art du film d’horreur est mieux préservé quand on reste dans le cercle familial…
» La critique en avant-première de La Colline a des Yeux

Auteur : David Q.
Publié le samedi 6 mai 2006 à 05h42

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Commentaires sur l'article

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    Ce film était super !
    Un peu flipant, mais bon normal j'ai 12 ans & demi et c'est déconseiller au moin de 16 ans !
    Il était super ce film, j'ai adorer !
    Merci d'avoir fait ce film !
    C'est un film que je n'oublirer jamais !
    Estelle, le 24 mai 2009 16h46
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    Le film original -comme c'est toujours le cas- est bien meilleur que celui d'Aja, qui ne fait maintient la peur que par des litres d'hémoglobine. Craven est un maître de l'épouvante, l'ambiance est glauque, et la peur monte crescendo. Parfait, a voir d'urgence !
    LENI, le 15 juillet 2009 22h49

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