Critique Nuit noire, étoiles mortes [2012]

Avis critique rédigé par Nicolas L. le samedi 7 avril 2012 à 14h06

Horreur ordinaire…

Stephen King s’amusera toujours à surprendre ses fans. Alors qu’ils attendaient des nouvelles de Doctor Sleep, séquelle annoncée de Shining, le célèbre romancier leur offre un inattendu recueil de nouvelles. Une démarche qui, finalement, suit une logique entamée depuis quelques temps, depuis qu’il a cessé de faire dans l’étude introspective (les réussis Duma Key et Histoire de Lisey). En effet, si Juste avant le crépuscule est un recueil de nouvelles qui ne manque pas, par sa structure, de rappeler Danse Macabre, si Dôme évoque les romans chorals qui ont fait, dans les années 80, la réputation de l’auteur dans le domaine de la construction narrative, Nuit noire, étoiles mortes se pose comme une sorte de relecture de l’un de ses plus beaux ouvrages : Différentes saisons... Avec un aspect sombre bien plus affirmé.

Nuit noire, étoiles mortes est composée de quatre longues nouvelles (seule Extension claire fait moins de 100 pages) qui exploitent un même thème : les agissements d’une personne ordinaire qui, plongée dans une situation extraordinaire, se voit agir à l’encontre de sa conscience et de ses valeurs morales – d’où un déchirement psychologique. Les quatre textes sont durs (suffisamment, du moins, pour que Stephen King s’en explique dans une postface) car ils se déroulent dans le quotidien des lecteurs – le fantastique est quasiment absent - et ne s’appuient sur aucun héroïsme, juste sur du réactif. Ceux qui reprochent à Stephen King de faire trop souvent dans le « happy end » et les dénouements moralisateurs pourront se faire une autre opinion de l’auteur en lisant ces quatre nouvelles.

J’ai sauté sur elle comme un amant passionné et je l’ai plaquée sur son oreiller gorgé de sang. D’autres grondements rauques sont montés des profondeurs de sa gorge mutilée. Ses yeux roulaient dans leurs orbites, ruisselants de larmes. J’ai passé ma main dans ses cheveux, renversé sa tête en arrière et tranché une nouvelle fois sa gorge. .. (Extrait de 1922)

1922, avec ses 170 pages, ouvre le recueil.  Cette nouvelle se présente comme les souvenirs d’un homme qui a assassiné, avec la complicité de son fils, une épouse détestable. Un homme qui, miné par un sentiment de culpabilité et de dégout de lui-même, va se construire un univers de cauchemar qui va le mener à sa perte. Dans ce texte, Stephen King décrit une partie douloureuse de l’Histoire de l’Amérique, qui voit l’agriculture passer au stade de l’industrialisation et à l’ère des grandes exploitations. Wilfred James fait partie de ces petits propriétaires terriens qui décidèrent de résister à ce changement, et il est près à tuer pour cela. 1922 parle donc de perte d’identité,  d’explosion de la cellule familiale paysanne, de mœurs et, bien sûr, de meurtre (particulièrement horrible).  Plutôt bien ficelée, l’intrigue se laisse découvrir avec un certain plaisir. On est particulièrement amusé par l’omniprésence des rats, l’obsession de Wilfred, qui n’est que la projection de son âme tourmentée, et le cynisme de la situation. Seuls son classicisme et quelques facilités scénaristiques (inhabituelles chez l’auteur) gênent un peu aux entournures.

Elle avait examiné le quartier de Ramona sur Google Earth, et c’était exactement à ce qu’il ressemblait quand elle y arriva. Jusque là, pas de problème. Brewster était une petite bourgade de Nouvelle-Angleterre, le passage de la Dentellière se trouvait à la périphérie, et les maisons étaient à bonne distance les unes des autres. Tess dépassa le numéro 75 à une vitesse modérée de zone résidentielle, trente kilomètres à l’heure, observa que les lumières y étaient allumées et qu’un seul véhicule – un Subaru d’un modèle récent qui proclamait quasiment « Bibliothécaire ! » était garé dans l’allée… (Extrait de Grand chauffeur)

Grand Chauffeur, deuxième nouvelle présentée dans ce recueil, me pose un petit problème. Ce texte d’environ 150 pages est bien écrit, expose une héroïne que l’on peut considérer comme une projection assagie et féminine de l’auteur (il s’amuse d’ailleurs à y déprécier son talent) et ne manque pas de rebondissements et de passages éprouvants. Malgré tout, à aucun moment, je n’ai été surpris. Est-ce dû au classicisme de l’intrigue, qui conduit à une légitimation de l’acte de vengeance (de manière très vraisemblable, force est de le signaler)?  Ou à l’échec de Stephen King à rendre « monstrueusement normale » une famille de fous dangereux ? A une certaine retenue dans les passages les plus durs – le viol de l’héroïne est moins terrifiant que l’on aurait pu l’imaginer ? Je ne saurais trop le dire.  Au final, sans être mauvaise, Grand Chauffeur est la nouvelle la moins réussie du recueil.

Dabiel n’en pouvait plus. Ses éclats de rire étaient devenus des rugissements, il était parcouru de spasmes qui lui secouaient le bide. Et son menton (étrangement anguleux pour un visage aussi joufflu) montait et descendait, acquiesçant frénétiquement à l’adresse de l’innocent ciel d’été (qui s’assombrissait).  Il finit par se ressaisir. Streeter pensa lui proposer son mouchoir, puis décida qu’il ne voulait pas qu’il entre en contact avec le marchand d’extensions… (Extrait de Extension claire)

Le bonheur de l’un fait forcément le malheur d’un autre. C’est ce que vérifie Streeter dans cette nouvelle d’une cinquantaine de pages… Et il s’en accommode finalement très bien. De toute manière, quand l’on fraye avec le diable (et peu importe qu’il apparaisse sous la forme d’un camelot débonnaire – mais aux dents très aiguisées), que l’on se la joue Faust, la morale, cela devient rapidement un détail négligeable. Certes, le spectacle est parfois un peu dur, car quand le Fourchu œuvre dans le malheur, il ne se contente pas de rhume des foins et de chevilles foulées. Oh, que non ! Mais bon, l’essentiel est que Streeter n’a plus de cancer et que tout va bien pour lui.  On retrouve dans cette nouvelle tout le meilleur de Stephen King : un humour noir décapant, des références à ses œuvres passées (la ville de Derry), un personnage diabolique extrêmement accrocheur, et un dénouement d’une enthousiasmante immoralité. J’ai adoré. Du coup, je l’ai trouvé trop courte !

Darcy s’aperçut qu’elle était en train de pousser une sorte de vagissement désolé. C’était horrible d’entendre un tel son sortir de sa gorge, mais elle était incapable de s’arrêter. Et son estomac s’était changé en une boule de plomb. Qui entrainait vers le bas tous ses organes, les étirait et leur faisait prendre des formes nouvelles et désagréables. Elle avait vu le visage de Marjorie Duvall dans le journal. Et aussi aux infos de six heures… (Extrait de Bon ménage)

Darcellen (mais tout me monde l’appelle Darcy !) Anderson est une quadragénaire comblée.  Un soir (un horrible soir, probablement le pire de sa vie), elle va ouvrir la boite de Pandore planquée dans le garage et découvrir qu’il y a un autre univers de l’autre coté du miroir. Une dimension où son mari – le si tendre Bob ! – est un monstre sadique et pervers. Un violeur. Un tueur en série… Dans Bon ménage, Stephen King nous invite à suivre le parcours tragique que et douloureux de cette femme qui cherche à repasser du « bon coté », et force est de dire que l’expérience est traumatisante. C’est bien simple, Bon ménage est l’une des meilleures nouvelles jamais écrites par l’auteur. Le texte nous prend à la gorge tout au long de ses 108 pages. On souffre avec Darcy, une femme exemplaire, qui, vivant auprès d’un monstre, lutte contre sa peur et son dégout pour reconstruire son futur.  Un texte très dur, qui nous rappelle que nos certitudes ne sont jamais que de vulgaires intuitions.

La conclusion de à propos du Recueil de nouvelles : Nuit noire, étoiles mortes [2012]

Auteur Nicolas L.
85

Après Juste avant le crépuscule, Stephen King nous offre avec Nuit noir, étoiles mortes, un nouvel excellent recueil de nouvelles – ici, on pourrait plus qualifier ces textes de courts romans. L’auteur, en plongeant ses personnages principaux dans des situations cauchemardesques, nous parle, avec plus de sérieux qu’à l’habitude et une violence revendiquée, de la fragilité d’un quotidien qui peut, en une fraction de seconde, basculer dans l’horreur. Un Stephen King bien loin du Dôme. Un Stephen King « terrifiant».

On a aimé

  • Quatre nouvelles de qualité
  • Une belle écriture
  • Des textes très violents
  • Des personnages crédibles
  • Bon ménage, une nouvelle exceptionnelle

On a moins bien aimé

  • Grand chauffeur, une nouvelle moins accrocheuse

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