Entretien avec Emmanuel Gharbi
Il nous parle d'Exil et de ses autres projets

A l’occasion du Salon du Jeu qui s’est déroulé les 15, 16 et 17 septembre au Parc des Expositions de la Porte de Versaille,l’équipe de SFU a eu l’occasion de rencontrer quelques uns des créateurs de jeux les plus en vue du moment. Parmi eux, Emmanuel Gharbi, ami de longue date de notre Wedge 3D à nous, mais surtout créateur du jeu de rôle Exil chroniqué dans nos colonnes, et membre actif de Ballon Taxi. Une rencontre conviviale et très instructive qui s’est déroulé autour de cafés ‘’aquatique’’ servis à la cafétéria des lieux.


Bastable : Bonjour Emmanuel, peux-tu te présenter à nos internautes ?
Emmanuel Gharbi : (rire) J’ai fait des études d’histoire, jusqu’à la maîtrise. Je me destinais à être professeur, en fait. Mais j’ai laissé tomber, préférant me lancer dans le monde de l’entreprise. J’ai commencé dans le monde du conseil informatique comme documentaliste, totalement par hasard, car c’est un copain qui m’a trouvé ce travail. De fil en aiguille, je suis resté dans ce monde là et maintenant je bosse dans une boîte de conseils d’intégration système, où je suis chef de projet…
B : Assez loin du monde du jeu de rôle, en fait
E : Oui, oui, très loin.Vraiment rien à voir.
B : Revenons au jeu de rôle. Exil est ton seul travail ou as-tu auparavant fait d’autres jeux ?
E : Mon seul travail publié à ce jour, oui, c’est Exil. Par contre, depuis que je joue, je crée des jeux de rôle amateur. Des choses qui ne quittaient en fait pas le club dans lequel je jouais. C’était souvent des petits trucs que l’on construisait entre nous, car nous n’avions pas beaucoup de sous pour s’acheter tous les suppléments et l’on avaient tendance à créer nos propres jeux. Exil est vraiment la première fois où j’ai fait un travail professionnel avec toutes les étapes que cela comporte ; animation d’équipe, liens avec l’éditeur, etc. Jusqu‘à la sortie d’un ouvrage papier.
B : Exil, au début, c’était déjà un projet professionnel ou c’est venu petit à petit, au cours de son développement ?
E : Oui. Effectivement, au début cela n’avait pas l’envergure que cela a pris par la suite. C’était un bout d’univers que j’avais développé, pour lequel j’ai écrit pas mal de choses, et dont je ne savais pas quoi faire, en fait. J’ai fini par le mettre en download libre sur un site web. J’avais d’ailleurs bricolé une adaptation du Basic System pour pouvoir jouer dessus, et c’est à partir de là que j’ai eu des contacts de gens qui m’ont dit : c’est intéressant, faudrait le travailler plus, etc. C’est comme ça que j’ai rencontré Antoine Bauza qui m’a proposé d’écrire un système de jeu dédié, et puis voilà… Et c’est vraiment lorsque l’on a eu retravaillé l’univers avec Antoine, que l’on avait un système dédié qui tournait, que l’on a pensé que cela valait le coup de démarcher les éditeurs.
B : Au niveau de ta conception de l’univers, comment t’es venu l’idée de mélanger toutes ces tendances steampunk, uchroniques, SF ? Quelles sont tes références cinématographiques et littéraires ?
E : C’est difficile à définir car c’est un agglomérat de choses, en fait. Un agglomérat d’ambiances que j’avais envie de mettre ensemble depuis longtemps. J’avais fait quelques tâtonnements, des bouts d’univers qui ressemblaient un peu à Exil. Dans certains il y avait plus de SF, dans d’autres plus de steampunk, tu vois. Et puis, au fur et à mesure, cela s’est dirigé vers cette forme là. Au niveau des inspirations, beaucoup de BDs, de films, des trucs comme ça.
B : Beaucoup de sous culture aussi. De la littérature classique d’accord, mais aussi une dose d’univers steampunk et comics. Tu es un amateur de comics ?
E : Oui, un gros lecteur de comics. Et pas lecteur de steampunk, d’ailleurs. Cela a surpris pas mal de gens qui l’ont appris mais je n’ai pratiquement pas lu de steampunk. Autant j’adore la littérature classique du 18-19ème siècle et la littérature fantastique anglaise, de Mary Shelley à Bram Stoker, et on le ressent dans Exil, autant la culture steampunk en tant que mouvement, j’en ai très peu lu.
B : Donc, en fait, cette apparition du steampunk dans Exil est involontaire. C’est une introduction de ces éléments fantastiques du 19ième siècle qui donne son aspect steampunk ?
E : Oui, voilà, exactement. Je ne suis pas parti en tout cas de l’idée de dire : je vais faire un univers steampunk en m’inspirant d’auteurs actuels, etc.
B : Si tu devais décrire Exil à une personne en quelques mots. Tu dirais quoi ?
E : Exil est avant tout un délire urbain. Cela se passe principalement dans une ville monstrueuse. Pour l’imaginer, il faut penser à Jules Verne se faisant un mauvais trip à base d’acide et rêvant d’une ville de 2 kilomètres de haut et 8 kilomètres de large, ou il aurait mélangé plein de choses…
B : Il l’a fait un peu avec l’Ile Flottante, ou il était entré dans le domaine de la démesure.
E : Tout a fait. L’un des bouquins de Verne qui m’a beaucoup inspiré quand j’ai écrit Exil est Paris au 20ième siècle, ou il décrit des tas de trucs comme ces systèmes pneumatiques automatisés pour envoyer des messages. C’est des aspects que l’on retrouve directement dans Exil.
B : Et ce phénomène de migration terrienne. C’est pour apporter un cachet d’exotisme, ce long voyage avec cette espèce ; les Anciens ? On ne sait pas vraiment ce qu’ils sont lorsque l’on est joueur – et lorsque l’on est meneur non plus d’ailleurs (rire) – on ressent juste des relents cthulhiens. Volontaire ou pas ?
E : Complètement. J’adore Lovecraft. J’adore l'Appel de Cthulhu, cela reste le jeu de rôle auquel je joue encore le plus aujourd’hui. J’avais envie de mettre ces aspects. Exil se devait être un mix de références, dont l’horreur, et l’idée de Lovecraft est venue naturellement, et… je ne me souviens plus du début de ta question (rire)…
B : C’est au niveau de la transposition loin dans l’espace. Pourquoi ne pas avoir décidé de dire qu’Exil se trouvait une sorte d’île bizarre, isolée du continent par un phénomène naturel ou accidentel, comme un Los Angeles égaré dans les flots ?
E : Tout simplement parce que, le plus souvent, les uchronies ne me satisfont pas. Je ne les trouve pas très crédibles. Tu sais, tu as toujours un mouvement de rupture dans une uchronie ou les choses ne se sont pas passées telles que l’on les connaît et souvent je trouve faire une uchronie est un sujet très difficile. Il faut connaître parfaitement son support historique, trouver les lignes de force et dire : c’est celle là que je brise, et l’univers que je vais obtenir va être logique par rapport à cette rupture. Je ne me sentais pas du tout capable de le faire, vu mon exigence. C’est la principale raison…
B : Ce n’est pas pour te déresponsabiliser politiquement. En projetant ton histoire, avec ce régime totalitaire à la Dark City, dans un univers de SF ?
E : On aborde les mêmes thèmes en fait, mais…
B : Oui, mais en les projetant dans l’espace. Tu nous dit : attendez, les gars, calmez-vous, c’est de la SF
E : OK, ta question, c’est un peu : y a-t-il un message caché dans Exil (rire) ? Non, non, il n’y a pas de message. Pour moi, le but du jeu de rôle n’est pas de faire passer un message. Maintenant, c’est sur qu’il y a plein choses tirées du 19ième et du début du 20ième siècle que tu peux retrouver dans Exil. A ce niveau là, oui, il y a les influences politiques…
B : Tu as donc juste effectué un travail d’historien. Juste récupéré les éléments…
E : Oui voilà. La motivation première a été de se dire que comme je n’aime pas les uchronies, il était plus judicieux de se projeter carrément loin. Il y a certaines visions sur Exil que je n’aurais pas pu mettre sur Terre comme cet océan noir, une idée que j’ai eu dés le départ et je voulais absolument qu’elle y soit. Je n’aurais pas pu mettre ça sur Terre sans alors trouver une astuce bidon. Je trouve que cela n’aurait pas collé.
B : Ce qui me plait le plus dans Exil, c’est le grand rayon d’action que dispose le meneur. Tu peux jouer des scénarios d’action ou des scénarios plus intimes dans lequel la moindre violence est punie par le couperet. Quand tu maîtrises Exil, tu joues dans le social, l’horreur, la paranoïa, l’action ?
E : Je touche un peu à tous ces éléments. D’ailleurs, tu sais que c’est le principal reproche que l’on nous a fait. L’absence de ligne directrice. Tu as fini de lire le bouquin, tu ne sais pas ce que tu vas jouer. C’est une chose complètement assumée. On ne voulait pas briser notre élan en suivant une unique piste. Moi, j’ai joué un tas de choses différentes. J’ai fait beaucoup de scénars avec des ambiances horrifiques, un peu cthulhiennes, dans l’esprit fantastique du 19ième. Mais j’ai aussi fait jouer des choses qui n’ont rien à voir. Par exemple, j’ai fait jouer une campagne dans lequel tu interprètes des gamins des rues, dans une ambiance ‘’guerre des boutons’’, où il n’y avait pas grand-chose d’horrifique, voire rien du tout. J’ai fait jouer une campagne plus orientée milieu ouvrier et révolte sociale. Je connais un maître qui a fait jouer des flics, tu vois…Bref, il n’y a pas vraiment… Je ne le fais pas jouer d’une seule manière…
B : Le bestiaire et la flore, c’est également ton œuvre ?
E : Oui, pour le bestiaire, j’avais fait une première version, effectivement, et après, avec Ballon Taxi, on a approfondi, on a viré certains monstres, on en a rajouté d’autres. Le bestiaire a été assez collégial en fait.
B : Tu comptes travailler toujours en groupe pour le développement de la planète Forge ?
E : Oui. Le boulot se passe en groupe. Ballon Taxi a été créé autour d’Exil qui reste notre principal projet. L’écran a été fait en commun ainsi que le premier supplément qui est en cours d’écriture. On a séparé les chapitres. Certains ont pris un chapitre ou deux. La seule exigence que j’ai c’est qu’à la fin c’est moi qui ait le regard final et qui repasse un coup dessus.
B : Passons au système de règles. Ce n’est pas toi qui en es l’auteur, c’est ça ?
E : Tout à fait, c’est Antoine Bauza, auteur de Contes Ensorcelés, chez 7ième Cercle.
B : Oui. Je ne sais pas si tu as eu des retours à ce sujet... La règle de simulation ne va peut-être pas trop satisfaire les maniaques du réalisme et de la simulation pure et dure. Il y a beaucoup de jeu aujourd’hui dans ce genre. Pourquoi ce choix, une volonté de privilégier l’atmosphère ?
E : Oui, exactement. Je ne suis pas un fan des règles. Tout d’abord je ne sais pas les écrire et j’ai souvent du mal à les comprendre. Pour Exil, je n’avais pas envie d’avoir un système super simulationniste. C’est cela a été mon premier souhait. Trouver un système qui soutienne l’ambiance et qui soit simple d’utilisation. Bon, il n’a pas pu s’empêcher de mettre des trucs… euh (sourire)… finalement assez pointus dedans sous le couvert de la simplicité…
B : …Une règle simple mais pas simpliste…
E : …Voilà. Un truc que j’ai adoré c’est la manière qu’il a eu de dégager les compétences classiques pour y mettre des talents très larges, qui correspondent d’ailleurs plus à des champs d’expérience qu’à des talents purs. C’est l’un des aspects de son système que j’ai trouvé excellent. J’ai été ravi lorsqu’il me l’a remis. Par contre, oui, le fait que cela soit un système simple était revendiqué dés le départ.
B : Tu penses qu’un joueur qui apprécie le monde et qui veut vraiment orienter ses aventures dans l’action, des descentes dans les catacombes à la Indiana Jones par exemple, tu penses que ce type de joueur peut trouver son bonheur dans Exil ?
E : Je vais te répondre oui et non. Oui, parce que le système de règles inclut des options de combat et qu’il est très bien fait pour ça. Non, parce que le système d’Exil soutient l’ambiance et que j’ai décidé qu’il devrait être très mortel.
B : Presque Cthulhien dans l’esprit…
E : Ah oui, tout à fait, c’est le but. L’objectif est que les joueurs n’aient recours au combat qu’en dernière option. Donc effectivement, si tu as envie de faire un jeu très pulp dans l’esprit, avec beaucoup de combats, Exil ne te satisfera pas.
B : Des projets pour le développement d’Exil ?
E : Alors deux choses…non, trois choses. La première est ce petit setting dont je te parlais, où l’on joue des gosses des rues… on l’a retravaillé et il sera disponible gratuitement la semaine prochaine au format pdf. C’est devenu un véritable supplément illustré de 80 pages. Il y a dedans un scénario complet et des synopsis prêt à l’emploi pour jouer des gosses des rues.
B : Sur le site de Ballon Taxi ?
E : Oui, oui. Il s’appelle la Guerre des Boulons. Ensuite, il y a le premier supplément papier d’Exil qui est en cours d’écriture et qui est un peu en retard car j’ai été souffrant l’année dernière et je n’ai pas pu avancer le travail dessus. Les illustrations sont quasi bouclées, la couverture qui a été dessiné par le dessinateur de BDs Andreas est terminée et les textes sont quasi bouclés aussi. Je pense que cela sera finalisé pour la fin de l’année ou début 2007. Le dernier gros morceau, Antoine Bauza, toujours lui (sourire), a réalisé un jeu de plateau sur le thème d’Exil, le prototype est en phase de tests et…
B : C’est un scoop !...
E : Oui (rire). Il ne devrait pas tardé à être envoyé à UBiK pour savoir s’ils sont intéressés pour l’éditer ou pas.
B : Oula ! On élargit le monde d’Exil. Et ensuite, des jeux vidéos ? Des films ?
E : (rire). Pour l’instant, pas trop de nouvelles…
B : Merci, Emmanuel, et bonne continuation
E : Merci à toi !

Auteur : Nicolas L.
Publié le mercredi 27 septembre 2006 à 20h30

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