POLARIS JOUR 7 : INTERVIEW DE DJIB
L’un des illustrateurs du jeu répond à nos questions…

Paru pour la première fois en 1997, Polaris, le jeu de rôle des profondeurs, fait son grand retour sur la scène rolistique française après quelques années d’absence. Cette troisième édition toute belle, toute neuve, éditée par Black Book Edition, est sorti jeudi dernier !
C’est Djib, l’un des illustrateurs de Polaris III, qui nous fait l’honneur de conclure cette semaine Polaris !


Vincent L. : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteur ? que faites vous, quel est votre parcours professionnel ?
Djib : Bonjour, je m'appelle Jean-Baptiste Reynaud, dit Djib, j'ai 30 ans et suis illustrateur free-lance. Après l'obtention d'un bac Littéraire, j'ai suivi les 4 ans de formation de l'école de dessin Emile Cohl, à Lyon, où j'ai été formé à l'illustration, la BD, le dessin animé, et l'infographie. Mon diplôme en poche, j'ai été embauché par la société de jeux vidéos Eden Games, toujours à Lyon, en tant que concept artist et modeleur 3D. J'y ai travaillé pendant 7 ans, sur des jeux comme Kya : Dark Lineage, Alone in the Dark, TDU... tout en réalisant en parallèle des commandes d'illustrations pour Black Book Editions (Pavillon Noir, Black Box) et pour Asmodée (Hell Dorado, COPS, INS/MV). Je suis désormais illustrateur free-lance à temps complet, avec aussi dans mes cartons quelques projets BD qui ne demandent qu'à être concrétisé...
Vincent L. : Quels influences ont nourri et construit votre style ? Djib : On me prête généralement un trait plutôt "comics". J'ai été nourri d'une culture BD franco-belge classique, mais mes premiers chocs visuels et narratifs ont été provoqués par la lecture des quelques Strange que j'arrivais à me mettre sous la main. Ma période étudiante a été très bouillonnante en matière d'influences graphiques, culturelles, musicales : côtoyer tous les jours pendant quatre ans des étudiants qui venaient eux aussi avec leurs coups de cœur, a été une formidable nourriture, une aide précieuse pour ne pas rester sclérosé dans les mêmes goûts. J'y ai donc découvert entre autres Frank Miller et sa cultissime Sin City, le HellBoy de Mignola, les peintures de Brom... Je suis aussi un grand consommateur de "Art of" de films fantastiques et de cinéma d'animation ; j'ai toujours adoré voir l'envers du décor, apprécié le travail d'une équipe d'artistes aux styles différents au service d'un même univers. Aujourd'hui, en vrac, des gens comme Paul Bonner, Mathieu Lauffray, Vincent Dutrait, Alexis Briclot, Sparth, Ian McCaig, Ryan Church, Mathieu Leysenne, Wayne Reynolds (la liste est encore longue) font partie des personnes dont j'admire vraiment le travail et qui apportent chacun une richesse incroyable aux univers fantastiques.
Vincent L. : Connaissiez vous Polaris avant de commencer à travailler sur la troisième édition ?
Djib : Étant moi même multi-classé "rôliste" à mes heures, rares, perdues, j'avais effectivement entendu parlé de cet univers qui m'intriguait beaucoup : un jdr abordant les thèmes des meilleurs films de SF et qui se passe sous l'eau, ça ne pouvait être que du bonheur. Mais j'avoue franchement n'avoir encore jamais dépassé ce stade à ce jour. J'attends donc moi aussi la sortie de la V3 avec impatience !

Vincent L. : Comment en êtes vous arrivé à travailler sur la troisième édition de Polaris ?
Djib : En 2006, David Burckle m'avait parlé de son envie de sortir une nouvelle version de Polaris, et puis, il y a quelques mois, il m'a donc téléphoné pour me proposer une commande assez conséquente pour les illustrations du livre de base de la v3.
Vincent L. : Quelles consignes vous ont donné Black Book Editions pour les illustrations ?
Djib : En début de commande, ils m'ont envoyé plusieurs illustrations de Geoffroy Thoorens, une bonne partie des textes concernant l'univers de Polaris et une charte graphique venant du créateur du jeu et qui concernaient notamment le look des environnements, des véhicules, des armures, etc...où il expliquait, par exemple, la différence de look, de fabrication que peuvent avoir des armures de plongée par rapport aux armures terrestres, rapport aux hautes pressions.
Vincent L. : Quelle a été votre optique de travail ?
Djib : Bien que ne connaissant pas Polaris au même degré que la plupart des fans de cet univers, j'ai une solide culture du genre fantastique, notamment de cinéma. Et étant un fan absolu d'Abyss, d'Aliens,... je me suis senti vite à l'aise. J'avais à réaliser une certaine quantité de scènes, de portraits, de personnages, d'armures et de véhicules. J'ai donc procédé par bloc de tâches, en récoltant le maximum de documentation (photos, illustrations) en amont, et en ébauchant toujours quelques croquis au préalable avant de partir dans le vif du sujet. L'"exercice" de la trentaine de portraits a été des plus intéressants : à partir d'une description de quelques lignes, je devais croquer certaines personnalités les plus importantes du jeu : trouver des "gueules", identifiables, avec du caractère, sans trop tomber dans la caricature, mais faire en sorte que leur groupe d'appartenance soit visible si possible rapidement.

Vincent L. : Quel(s) médium(s) avez-vous utilisé pour Polaris III ?
Djib : À part quelques illustrations traitées directement à la tablette graphique, comme mon illustration du Kraken ou des méduses pour Polaris, je passe toujours par une phase "papier". Le plaisir du trait analogique et le contact de la feuille sont encore très importants pour moi. Par contre, depuis mes débuts professionnels en 2000, j'ai lentement abandonné les couleurs à l'aquarelle ou à l'acrylique pour des couleurs numériques ; par "facilité" peut-être et une certaine souplesse du médium numérique. Je scanne donc mes dessins au trait et procède ensuite à une colorisation numérique.
Vincent L. : Sur quel format avez-vous travaillé ?
Djib : Je travaille généralement au même format que le format d'impression des illustrations parues dans le livre. Si on me commande une illustration qui sera imprimée en A4, je travaillerai donc au format réel A4. Mais il arrive le plus souvent que je traite mes illustrations en plus grand format que celui d'impression pour gagner en précision, en détails. Tout dépend aussi des délais, parfois très courts, que l'on m'impose.
Vincent L. : En regardant certaines illustrations déjà parue sur le net, il m'a semblé que vous aviez beaucoup appuyé vos dessins sur le fait que Polaris est un univers sombre, dépourvu de lumière vive. Est-ce une simple impression de ma part ?
Djib : Non, pas du tout. C'est effectivement voulu. Dans ce monde abyssal où la notion de soleil est plus que floue, les quelques sources de lumières artificielles qui existent ont aussi du mal à percer la densité des profondeurs aquatiques. Je voulais garder ce côté oppressant, manipuler les jeux d'ombres, les silhouettes, suggérer, plus que tout montrer.

Vincent L. : Comment avez-vous travaillé vos effets de lumière ?
Djib : A l'acrylique comme en numérique, je pars souvent d'une sous-couche très sombre (un peu comme les procédés de peinture de figurines...). Je détermine une ou plusieurs sources de lumières, dans ce cas là [NDRL : Celui de l'image ci-dessus] j'ai choisi de faire irradier la larve pour la mettre encore plus en valeur, puis je monte tous mes contrastes vers plus ou moins de lumière. S'ajoute à cela quelques effets faits main de transparence, halos lumineux, etc...
Vincent L. : Vous êtes vous inspiré des dessins de Joël Mouclier, qui avait illustré les deux premières éditions de Polaris ?
Djib : En fait, assez peu. Je connaissais surtout ses couvertures des premières éditions, mais ma plus grosse source d'inspiration a été les superbes travaux de Geoffroy Thoorens, que m'avait communiqué Black Book Editions avant que je ne commence mes illustrations. Son travail représentant le mètre étalon de cette nouvelle version, il était important de se référer surtout à celui-ci.
Vincent L. : Dans quelle mesure avez-vous coopéré avec Geoffroy Thoorens ou Christophe Swal qui illustrent également cette édition ?
Djib : Généralement, je découvre les travaux des autres illustrateurs d'un livre en même temps que les lecteurs. Les illustrateurs free-lance travaillant chacun chez soi, ne savent pas forcément qui travaille avec eux sur un même projet.Pour Polaris, comme je le disais plus haut, j'ai eu la chance de pouvoir voir certains des travaux de a href="/personnalites/9019/geoffroy-thoorens">Geoffroy Thoorens et deSwal qui m'ont alors servi de base. J'ai tenté de conserver une certaine homogénéité graphique tout en y incorporant mon propre style, ma propre vision de l'univers. Donc, il n'y a pas eu de véritable width='100%' coopération directe mais leurs idées, leurs styles, leurs visions m'ont permis de rebondir sur d'autres pistes. Ainsi, tout en m'attachant à respecter l'atmosphère du jeu, j'ai pu y apporter une facette de plus.
Vincent L. : Est-il possible de vivre, en France, d'une activité d'illustrateur de jeu de rôle ?
Djib : Question vache, et à traiter avec doigté ! Pour l'instant, du haut de ma petite expérience, je dirais que non. Comme beaucoup de collègues illustrateurs, j'ai débuté dans ces univers en tant que joueur et MJ. C'était, et c'est toujours, une véritable passion. Puis, petit à petit, on se dit "tiens, pourquoi pas moi", et de "passionné joueur", on passe à "passionné dessinateur". En travaillant dur bien sûr, en explorant, en ne comptant pas les heures passées à sa table à dessin. Avec sa richesse d'univers, l'édition de jeu de rôles représente un incroyable terrain d'expression pour quelqu'un comme moi qui est très attaché au domaine fantastique sous toutes ses formes. Mais, c'est une réalité qu'en se professionnalisant, en choisissant le métier d'illustrateur free-lance à plein temps (à moins que ce ne soit lui qui vous choisisse...), il faut bien payer son loyer et manger sa ration de pâtes à l'eau journalière... Loin de moi la volonté de faire pleurer dans les chaumières (encore une fois, j'ai embrassé cette voie de A à Z en toute connaissance de cause), mais les prix de l'édition de jeu de rôle en France, puisque la question est posée, sont bien inférieurs à ceux pratiqués dans l'édition plus "classique". Sans doute cela est dû au fait que cette édition touche un public très ciblé, produit à peu d'exemplaires et donc génère des ventes elles aussi bien moindres que d'autres secteurs de l'édition. Pour un illustrateur pro s'ensuit donc une équation assez complexe entre passion/qualité/productivité/revenus, et bien évidemment, aucune de ces données ne doit être négligée au profit d'une autre (et je ne parle pas de la vie privée...) Lorsque je discute avec des collègues qui ont beaucoup plus de bouteille que moi, tous travaillent aussi pour des éditeurs de jeu de rôle étrangers, notamment américains, ils réalisent des couvertures pour des romans, des concept arts pour le jeu vidéo, des projets de BD... Il semble donc que pour bien vivre de l'illustration, en france ou ailleurs, le maître mot soit avant tout la diversification, et des éditeurs, et des médias. Le reste est composé de travail, de la meilleure qualité possible , de rigueur dans les délais et dans les relations avec les éditeurs, d'expérience aussi. Tout en conservant intacte la passion qui nous à tous amenés là.

Vincent L. : Une question à laquelle ont répondu les autres interviewés de cette semaine : quel regard portez vous sur le jeu de rôle en France actuellement, à la fois comme hobby mais également comme activité commerciale ?
Djib : Tout d'abord, je peux me tromper, mais bien qu'on le dise souvent moribond, il me semble que le hobby jeu de rôle français déchaine toujours autant les passions, et compte bon nombre de fans, peut être "vieillissants", mais toujours volontaires pour ne pas laisser mourir leur passion. Cependant, il est évident que le jeu de rôle ne peut pas définitivement se nourrir que du jeu de rôle. On voit d'ailleurs des passerelles (graphiques, thématiques, ou de "gamedesign") s'ouvrir sur d'autres médias, tel que le jeu vidéo (par exemple pour WOW), ou la BD (avec l'excellente adaptation de COPS). Cela apporte du sang neuf, ce qui est une très bonne chose, une chose vitale. Il me semble aussi que l'attachement à la qualité graphique des produits est à la hausse, ce qui est bénéfique pour tout le monde : de mon point de vue de passionné/consommateur de jeu de rôle, et surtout de celui de dessinateur. Cependant, le jeu de rôle français me paraît pratiquer encore un peu le grand écart entre passion et activité commerciale, ce qui parfois explique les difficultés à en faire une activité professionnelle viable.
Vincent L. : Et enfin, parce que j'ai promis que je vous poserai ces questions, aimez-vous les fraises et quelle est votre couleur préféré ?
Djib : Avec 50% de sucre, et 50% de chantilly, oui, j'aime les fraises. Quant à la question de la couleur préférée, je préfère ne pas faire de jalouses. Elles pourraient me le faire payer chèrement dans une prochaine illustration...

Merci à toutes celles et ceux qui ont suivi cette semaine Polaris. J’espère que les informations contenues dans les reportages et autres interviews vous ont satisfait !
J’en profite pour remercier Philippe Tessier, Raphaël Bombayl, Damien Coltice, David Burckle et Djib qui m’ont consacré du temps ; je remercie également Black Book Editions grâce à qui nous avons pu monter cette semaine Polaris.

À BIENTÔT SUR SFU POUR LA CRITIQUE DU JEU…

Auteur : Vincent L.
Publié le dimanche 20 juillet 2008 à 08h00

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