Rencontre avec Christophe Boelinger
Le concepteur de jeu nous parle de Dungeon Twister, et d'autres choses

Lors de la Gencon Paris 2008 (du 25 au 27 avril 2008), l’éditeur Asmodée organisait, en présence de son concepteur, un tournoi international de Dungeon Twister. Ce fut l’occasion pour nous de rencontrer enfin le créateur de ce jeu de stratégie heroic fantasy atypique car presque totalement dénué de hasard.


SFU : Bonjour, Christophe Boelinger
C. Boelinger : Bonjour ! SFU : vous êtes concepteur de jeux, et vous êtes désormais célèbre pour Dungeon Twister qui connaît un franc succès à travers le monde. Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de créer des jeux ?
C.B : oula, en fait, cela remonte à très loin, quand j’étais tout petit. Jeune, on m’a abonné à Jeux & Stratégie, avant ça, j’ai été attiré vers les jeux par mon oncle et ma tante, qui étaient à l’époque des étudiants. Puis, comme je n’avais pas les moyens de me payer tous les jeux qui me faisaient envie et que je voyais dans des catalogues comme Jeux Descartes, j’ai commencé à trafiquer des règles, à en modifier des existantes. Voilà, c’est parti un peu de là. Puis, de fil en aiguille, j’ai exercé ma passion créative dans les jeux, encouragé mes potes à tester mes jeux et à y jouer, avec moi bien sûr.
SFU : Dans Dungeon Twister, on sent une très forte influence des jeux de rôle. Avez-vous déjà créé des jeux de rôle ?
C.B. : Non, enfin si, j’en avais créé un mais qui était un amalgame de ce qui existait déjà et cela n’avait donc rien de bien original. J’ai découvert les jeux de rôle vers l’âge de 13-14 ans, avec AD&D – j’ai d’ailleurs une forte pensée pour Gary Gigax qui nous a quitté il n’y a pas longtemps -, et j’ai presque toujours été meneur de jeu. Je n’ai pas été assez souvent joueur, et les rares fois ce n’était pas toujours excellent. J’ai toujours rêvé d’un jeu où l’on puisse être à la fois joueur et maître de jeu. C'est-à-dire rencontrer des éléments que l’on ne connaît pas et d’autres que l’on a apporté en tant que maître de jeu, parce qu’ils nous conviennent, que l’on trouve ça marrant, etc.
Et c’est comme ça, en fait, que j’en suis arrivé à créer Dungeon Twister. Je cherchais un jeu d’ambiance heroic fantasy, qui se passait sous terre, dans des donjons… Et en fait, (dans Dungeon Twister), on amène ses propres éléments, on en crée la moitié, mais l’autre moitié, cela va être la surprise. C’est les deux aspects joueur / maître de jeu. En fait, Dungeon Twister est venu assez rapidement, en une grosse semaine, mais derrière il y a eu quinze années d’envies et de réflexions, de notes écrites à droite et à gauche pour la conception d’un jeu de ce style.

SFU : Dungeon Twister, et là je parle pour ceux qui ne connaissent pas, c’est un jeu de stratégie, c’est un jeu d’heroic fantasy, mais qui ne fait nullement appel au hasard. Pourquoi ce choix, avec le risque rebuter les joueurs fan de jets de dés?
C.B. : En fait, j’aime bien les jets de dés dans les jeux de rôle (même si le maître les truque assez souvent). Mais dans la plupart des jeux, j’apprécie avoir du contrôle. Pas forcément total, mais si je n’ai pas plus de 50% de contrôle, ça m’intéresse moyennement. Il y a même eu des périodes où je ne jouais qu’à des jeux avec un total contrôle comme le Go, Full Metal Planet, Diplomacy, etc. Tous ces jeux où il y a très peu de hasard et qui font appel à d’autres compétences, comme la réflexion, l’optimisation, la stratégie, la diplomatie…
Donc, quand j’ai créé DT, je ne voulais pas tomber dans le système où « l’on jette des dés et l’on voit ce qui se passe ». J’ai créé donc un jeu qui correspond à mes envies. Il n’y a pas 0% de hasard tout de même ! Il ne faut pas oublier la répartition des salles, qui amène entre 5 et 10% de hasard. Par contre, c’est vrai, après, il y a un contrôle total et les joueurs doivent composer avec le terrain donné.
Tout ce que j’ai amené à DT, c’est pour me faire plaisir, et faire plaisir à mon entourage de joueurs. Et il s’avère que ce que je désirais, beaucoup de joueurs l’attendaient. Ca a été en quelques sortes un coup de bol, mes envies correspondaient aux envies d’une certaine communauté de joueurs.
SFU : Il y a aussi pas mal de suppléments qui sont sortis, en plus de la boîte de base. C’est suite à des sollicitations de joueurs, une initiative personnelle ?
C.B. : Non, pas du tout. En fait, toutes les extensions existaient déjà avant que le jeu de base ne soit édité par Asmodée. J’avais douze extensions en deux couleurs, soit un total de 24 extensions, ce qui donne environ 180 salles. Ce qui s’est passé, c’est que le joueur qui est en moi était avide de voir plein de nouveautés, de nouvelles salles, de nouveaux personnages, de la lave, des arbres, de la glace, etc. et, à coté, il y a le créateur qui avait tant de facilité à créer de nouveaux terrains. La fusion des deux a donné cette quantité de matériaux. En plus, tous les joueurs de mon entourage adoraient voir de la nouveauté. Tout ça, à travers des séances de tests et de réglages, s’est enchainé. Au bout d’un an et demi à deux ans, tout était prêt, et comme le jeu a marché, on les a sortis au fur et à mesure.
SFU : Je vois que vous avez même structuré un système de championnat. Quel est son concept ?
C.B. : oula, le championnat qui se déroule ici (ndj : la Gencon 2008) a été appelé « championnat du monde », c’est un bien grand mot et cela fait sourire tout le monde (rire). Mais c’est vrai que c’est le plus important. En plus des joueurs français, on accueille des belges et des allemands. C’est donc une compétition européenne. Il n’y a pas de joueurs américains mais on a des tournois qui se déroulent aux Etats-Unis, et à Essen (ndj : salon des jeux en Allemagne), on a eu des joueurs italiens.
Le format de ce tournoi permet à tous les joueurs de participer, même ceux qui ne connaissent que le jeu de base. Les deux joueurs s’accordent, c'est-à-dire que chacun choisit une extension et l’on effectue le mixage. Cependant, si le joueur ne connaît que le jeu de base, alors les deux joueurs devront jouer sur le jeu de base. On ne force pas les gens à connaître tout. Aujourd’hui sortira 16 qualifiés et demain se joueront les finales.
SFU : Bon, maintenant, pour ceux qui ne connaitraient pas Dungeon Twister, pouvez-vous, en quelques mots nous expliquer les principes du jeu ?
C.B. : Dungeon Twister se passe dans un labyrinthe sous-terrain composé de salles, dans un univers heroic fantasy mais aussi steampunk. On est dans un univers où tout est géré par la vapeur et les mécanismes. Toutes les salles sont montées sur des grands vérins qui ont dans chaque salle une roue de rotation sous la forme d’un sas de sous-marins. Quand un personnage est amené sur cette roue, il peut activer la rotation de la salle. La salle descend sur le vérin, fait un quart de tour et remonte. Elle change donc la configuration du labyrinthe car cette salle est remplie de murs, de pierre, de lave, etc.
Ce labyrinthe est géré par un personnage qui s’appelle l’Archimage, que l’on ne voit jamais, qui est un être immortel et qui est décuple de pouvoirs et qui, tout simplement, se fait chier dans la vie. Il téléporte à l’intérieur de ce labyrinthe des créatures diverses et variées. Il a placé des cristaux dans chaque couloir, ce qui lui permet de voir ce qui s’y passe. Il se fait en gros sa téléréalité. Vous, les joueurs, vous jouez huit personnages qui se retrouvent téléportés là-dedans et qui vont essayer d’en sortir.
Le but du jeu, j’y viens enfin, et de faire marcher l’applaudimètre et « l’entertainment » de l’Archimage. C'est-à-dire en éliminant un personnage, c’est sanglant et la violence, malheureusement, vend toujours ; l’Archimage applaudit, vous avez un point de victoire. Puis, quand vous avez un personnage qui arrive à sortir du labyrinthe, à ce moment l’Archimage s’exclame « oulalaaa, bravo, tu as échappé à mes pièges, tu as même ramassé des trésors ! ». Allez hop, un point de victoire. Dans le jeu de base, le premier joueur qui atteint cinq points de victoire à gagné. C’est à lui de choisir son style, soit en atteignant la sortie, soit par la violence.
SFU : suivant la sensibilité de chacun.
C.B. : Exactement, c’est pour cela que c’est un jeu assez pratiqué par les filles. On joue beaucoup en couple à DT. Il y a énormément de gens qui ne font pas partie de la communauté mais qui jouent chez eux, en famille. J’ai rencontré un jour un gars dans le métro qui m’a raconté avoir joué plus de cent parties avec sa femme. Les femmes en général aiment bien tourner les salles, mettre le bordel dans la stratégie de leur chéri et vont chercher à sortir du labyrinthe sans faire de combats. Les mecs, plus bourrins, appréciant les combats, vont chercher à les coincer pour faire des points de victoire en les éliminant. C’est une chose auquel je ne m’attendais pas quand j’ai conçu DT, qu’il soit un jeu « pour les filles ».
SFU : il y aussi le jeu à quatre joueurs.
C.B. : Oui. Il a été un peu trop éclipsé. A sa sortie, le marketing d’Asmodée a peut-être été un peu trop orienté « hardcore player ». En effet, beaucoup de gens jouent à 3 et 4 joueurs comme à 2, c'est-à-dire hyper concentré sur leur sujet, sans parler à personne. Si j’ai un conseil à donner, c’est de jouer à 3-4 joueurs comme pour une partie de Diplomacy, c'est-à-dire la bouche ouverte, avec des dialogues dans tous les sens. On s’aide, on montre du doigt les points de victoire des uns et des autres, et là, DT devient vraiment marrant et différent. Cela devient un autre jeu.
Maintenant, certains me disent « oui mais, à 3-4 joueurs on perd le contrôle ». Oui, mais en même temps, ils conservent nettement plus de contrôle que dans un jeu ou il y a beaucoup de hasard – comme le Risk, par exemple. Bon, personnellement, je préfère DT à deux, mais j’aime aussi beaucoup à quatre, et je pourrais faire 40% de mes parties en 3-4 joueurs et le reste à 2. Voilà un bon compromis, pour moi.
SFU : la gamme s’est aussi développée avec des suppléments 3D, en relief.
C.B. : Oui, c’est Fenryll qui sculpte les figurines et tous les sets de figurines, jusqu’à l’avant-dernière extension, sont disponibles (ndj : au 24 avril 2008). Il existe donc une quarantaine de figurines résine disponibles. Fenryll a commencé aussi à faire les salles en 3 dimensions, avec des blocs en résine. Bon, ce n’est pas donné et cela se commande uniquement sur Internet. Par contre, cela a un effet visuel super, on y voit les chemins, etc. Quand on a commencé à jouer avec des salles 3D et des figurines, cela devient dur de revenir aux pions.
SFU : oui, cela rajoute une sensation de réalisme. Cela fait un peu penser à un plateau de D&D.
C.B. : Exactement, et c’est bien car finalement c’est de là que tout est parti.
SFU : bon, Christophe Boelinger, ce n’est quand même pas que Dungeon Twister ?
C.B. : Ah non, non, pas du tout. J’ai fait un peu de tout, des jeux pour enfants, des party games, des jeux de cartes, des jeux sur Spiderman, des jeux de pates à modeler, des jeux abstraits. En fait, à part le wargame et le jeu de rôle, j’ai un peu touché à tout. L’avenir, c’est l’adaptation de Dungeon Twister qui a été signé pour une adaptation sur consoles vidéo dont la sortie est prévue pour le début 2009. Cela sera très fidèle au jeu de plateau et en full-3D avec les salles qui tournent et qui montent. Le studio Hydravision, basé à Lille, bosse dessus depuis trois mois. J’ai vu quelques visuels et je suis assez content. C’est bien car les joueurs en manque de partenaires pourront jouer online contre un japonais, un américain, à 3 ou 4, selon le mode de jeu souhaité. De nombreuses extensions seront incluses dés le départ et les autres viendront par la suite. SFU : il n’est pas prévu de jouer contre un IA ?
C.B. : si, si, c’est prévu. On pourra jouer en solo. Il est même prévu d’inclure un mode campagne. J’ai souvent rencontré les développeurs, j’ai bossé sur l’IA avec eux… ça avance.
A part cela, qui concerne encore DT, j’ai commencé à bosser pour Take on You sur le développement d’un jeu de cartes dans l’univers Tannhaüser. C’est basé sur un jeu de cartes heroic fantasy, Warcards, que j’avais fait et que Take on You a vraiment adoré. Ils ont trouvé que le système était bien, et m’ont proposé de l’adapter pour simuler des combats d’armées dans l’univers Tannhauser. Et comme mon système est générique – je comptais même l’adapter pour un univers de super héros… J’ai vu les premier graphismes, pfiuuu (sifflement admiratif), ils sont forts chez Take on You quand même.
Ensuite, j’ai un jeu qui va sortir chez Hazgaard Editions qui s’appelle Dracomondis, c’est la réédition d’un jeu que j’avais signé avec une petite boîte italienne dont j’ai plus aucune nouvelle. C’est également un jeu d’heroic fantasy avec du contrôle, pour 2-3 ou 4 joueurs, mais avec un principe de mémorisation. C’est un jeu qui marche très bien à deux et à trois ou quatre, c’est presque un autre jeu car il y a l’interactivité entre les joueurs qui peuvent faire des alliances, etc. Sinon, j’ai plein de protos qui tournent à droite et à gauche et j’ai un jeu au concours de créateurs de Boulogne. Je m’étais interdit d’y participer depuis 4 ou 5 ans après y avoir gagné, mais là j’ai replongé pour un jeu que j’ai fait avec un collègue italien, j’ai été sélectionné, on verra…
SFU : on a pas fini d’entendre parler de Christophe Boelinger dans le milieu du jeu.
C.B. : j’essaye de me diversifier. Je fais de la musique aussi, et j’essaye de laisser mon emprunte dans ce milieu. Cela fait que je vais être amené à décrocher un petit peu du monde des jeux, mais pas complètement… Je continuerais ce que j’ai à faire, mais je proposerais surement moins de nouveautés. En plus, je ne suis pas un gros bosseur, je n’ai souvent qu’un seul proto et je me balade avec… à part DT où j’avais beaucoup de protos.
SFU : tu fonctionnes comment dans la création ? Tu pars sur une mécanique ou…
C.B. : (me coupant net) oh non, jamais de la vie. Je pars toujours à partir d’un thème. Je ne peux pas fonctionner à l’allemande, impossible. (Réfléchissant), Allez, il doit y avoir deux ou trois jeux, peut-être, dans le tas…. Tu sais, j’ai sur mon ordinateur une base de données ou j’ai rentré tous mes jeux, dont évidemment mes créations. Dans cette base, elles sont rentrées dans la colonne Inventions. La dernière fois – suite à la question d’un ami -, j’ai regardé combien de jeux contenait cette colonne, il y en avait 80. Mais bon, il y a aussi tous les jeux que j’ai fabriqué à partir de l’âge de 12-13 ans (rire).
Ah oui, j’avais oublié. Sur le salon tourne aussi les Poux. C’est un jeu de puces pour les enfants et toute la famille. C’est un jeu fun basé sur les poux, bien sûr. Ce jeu, en fait, je l’ai créé en 2000 et il sort que maintenant (ndj : chez Jactalea). En fait, Les Poux je l’ai fait même avant de connaître Micro Mutants. Le proto des Poux tournait 6 mois avant la sortie de Micro Mutants.
SFU : cela veut dire qu’aux jeunes créateurs, on peut leur conseiller de persévérer, ce n’est pas parce-que l’on ne prend pas leur jeu rapidement que cela ne va pas marcher.
C.B. : Oui, et il faut faire le concours de Boulogne-Billancourt ! La Ludothèque de Boulogne-Billancourt fait du super boulot et leur concours des créateurs est très utile. Moi, c’est Boulogne, où j’ai gagné deux fois, qui m’a lancé….
SFU : Et bien, merci pour cet entretien, Christophe, et bonne continuation.
C.B. : merci à vous

Une interview réalisée par Nicolas Lamberti
La critique de Dungeon Twister, c'est ici

Auteur : Nicolas L.
Publié le samedi 28 juin 2008 à 16h44

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