Critique Dr Adder [1993]

Avis critique rédigé par Nicolas W. le vendredi 11 septembre 2009 à 01h44

Bienvenue dans le L.A du Dr Adder

"Parce que ça suffit pas d'avoir été une connasse et une pute typique des collèges d'Orange County pour devenir une pauvre pute typique de L.A. Ta chute, ta dégradation ne serait pas assez dure. Pour toi, il faut qu'elle soit exceptionnelle, qu'elle se produise du haut de l'échelle vers le cloaque le plus immonde que t'aies vu dans ces grotesques shows télé de Mox qui excitent tant les idiotes autodestructrices comme toi. Ecoute-moi bien...(sa voix baissa brusquement de plusieurs octaves)... Vous êtes toutes pareilles; t'es pas exceptionnelle; t'atteindras pas le fond, il est en dessous de tout ce que t'atteindras jamais; et, en définitive, t'en sauras pas plus que quand t'étais un gentil petit bébé suçant son pouce sur les genoux de son papa à Orange County."

Bienvenue à Los Angeles.  Sortez-vous tout de suite de l'esprit la ville paradisiaque de Californie, ses buildings et ses stars. Ici, point d'idole si ce n'est le Dr Adder. Tout droit arrivé de Phoenix et de son unité de ponte pour poules mutantes, E. A Limmit ne s'attend pas encore à trouver une ville devenue antichambre de l'enfer. Afin de remettre le mystérieux contenu de sa mallette au fameux Adder, il va devoir s'aventurer dans L'interface, territoire du fantasque docteur et de ces multiples créations. Dans ce lieu, les putes amputées d'un bras, d'une jambe (ou pire encore) sont le gagne-pain des macs qui infestent les rues. Alors que Limmit commence à réaliser l'horreur des lieux, il se retrouve rapidement pris dans une guerre entre les partisans d'Adder et ceux du télévangéliste John Mox. Il est loin encore de se douter que la simple livraison qu'il doit faire va l'entraîner au plus profond des quartiers de L.A, dans ses égouts, à Orange County et au cœur même de la perversion humaine...

"Monsieur, Vous avez écrit un livre dégoûtant!" C'est ainsi que fut accueilli le premier roman de K.W. Jeter par l'éditeur auquel il le présenta. Nous étions alors en 1972, et il faudra attendre bien des années plus tard, grâce à l'acharnement d'un certain Philip Kindred Dick, pour voir Dr Adder être publier. En effet, et excusez du peu, K.W. Jeter s'attira les louanges de Dick qui n'hésita pas à qualifier ce livre de "grand roman". Il est donc difficile de croire aujourd'hui qu'avec un tel appui, le roman de Jeter ne fut pas plus promptement mis sur le marché. C'est lorsque l'on commence le récit que l'on comprends rapidement les raisons de ces réticences puisque dès les premières pages le ton est donné. Cru, sans concession, noir, Dr Adder est un livre qui ne fait pas dans la demi-mesure.

L'histoire débute par une succession d'instants choisis, introduisant les différents protagonistes. On y visite rapidement une unité de ponte de Phoenix où les poules sont quelques peu particulières...L'atmosphère est étrange, rapidement malsaine, et la force des images employées par l'auteur n'y est pas étrangère. Jeter nous passe ensuite en revu les révolutionnaires qui hante Zone-Rat avant d'arriver sur le personnage le plus singulier du roman, le docteur Adder.  Chirurgien au talent bien particulier puisqu'il s'est spécialisé dans l'assouvissement des vices les plus refoulés et masochistes de ses clients. Grâce à une drogue appelée A.D.R, il sonde l'esprit de ses patients pour en tirer  leurs fantasmes les plus inavouables. Bien entendu, rare sont ceux à pouvoir se payer ses services, si ce n'est les grandes huiles de l'armée. Mais Adder est un homme arrangeant, se contentant de modifier des putes et de prélever ses intérêts sur les activités futures de celles-ci. Par dessous tout, Adder est un être qui a renversé tous les tabous, notamment sexuels, pour livrer à ses congénères l'objet de leurs désirs les plus vils. Homophobe et colérique, tantôt paranoïaque tantôt frimeur, il est bien entendu la grande attraction du roman : un être abject mais paradoxalement fascinant au plus haut point. C'est une des raisons qui ont choqué les éditeurs de l'époque, non seulement le docteur Adder lui même mais ses opérations. Certaines de ses clientes sont simplement amputées d'un membre mais d'autres sont carrément modifiées à un niveau plus....intime. L'interface, royaume d'Adder, est un nid d'horreurs et d'abjections, reflet d'une humanité qui s'ignore. Car au fond, c'est bien de cela que parle K.W. Jeter, des pulsions de l'homme, de son subconscient reptilien, de ce qui fait de lui pire qu'une bête. C'est ainsi que Adder est devenu une star, dont on s'échange des photos dans Orange County, un mythe capable de modeler vos fantasmes et de réaliser tous vos désirs...

Bien entendu cela est loin de faire l'unanimité, et John Mox, le télévangéliste, est désormais en conflit ouvert avec le chirurgien. Disons, pour ne pas déflorer l'intrigue plus avant, que celui-ci pourtant, sous le microscope de Jeter, n'est rien d'autre qu'une autre facette de perversion et d'horreur de l'homme, sorte de reflet d'Adder, extrême à sa façon et non moins coupables d'actes innommables. Il semble, aux yeux de l'auteur, que l'homme ne trouve pas de pardon au sein de cette œuvre. C'est d'ailleurs par les yeux de Limmit que l'on suivra l'aventure du roman. Un héros qui est en lui-même un sacré paradoxe. En effet Limmit est inintéressant car totalement apathique ou presque, il n'est qu'un moteur bien involontaire de l'action du récit, subissant bien plus qu'il n'agit. En lieu et place d'un héros, nous avons plutôt un spectateur, puisqu'à de rares exceptions, il ne fait jamais avancer le récit, se contentant de retranscrire et d'encaisser le monde en déliquescence autour de lui.Par cet aspect, on peut ajouter que Jeter introduit ce personnage comme une sorte de Candide, découvrant les horreurs d'un univers qu'il ne connait que peu. Pourtant, et peut-être chose encore bien plus intéressante et révélatrice, ce "Candide Jeterien" n'est pas innocent du tout, bien au contraire, on apprendra rapidement la cruauté dont il a déjà fait preuve, et on se souviendra de l'endroit dont il est venu. Chez Jeter, point d'innocence, juste différents niveaux de culpabilité. Et si innocence il peut y avoir, alors elle se paye extrêmement chère comme le prouve la condition de la petite Mélia et ce qu'elle a enduré.

Soyons donc certain que Dr Adder est une vision simplement sans concession d'un futur infernal mais pas seulement. L'homme ici présent est décrit dans ce qu'il a de plus abject, le résultat en est terrifiant. C'est cela donc qui choqua à l'époque. Ne nous méprenons pas, si l'impact aujourd'hui est moindre, il n'est pas négligeable pour autant, la faute à l'écriture et les images de K.W. Jeter, ses inventions également comme celle de cette Main Eclair, outil de terreur et de torture. Replacer en son contexte de 1972, il est indéniable que le roman est une vraie claque, un authentique uppercut au politiquement correct et l'on comprend d'autant mieux l'affection toute particulière que lui voua Philip Kindred Dick (d'ailleurs lui même dans le roman sous les traits du personnage de KCID).

Si Jeter s'amuse à disséquer l'homme et ses vices, il n'en oublie pas d'autres thèmes forts comme celui, d'ailleurs prépondérant, de la quête du père. On y pensera immédiatement dans la propre histoire de Limmit qui vient peut-être sans le savoir chercher en L.A, un père qu'il n'a jamais eu, ce Lester Gass qui l'a abandonné enfant. C'est par l'organisation recherchant le "fils prodigue" qui écume les égouts que l'on se trouve évidemment le mieux confronté à cette problématique, celle du vide que provoque une telle séparation et les réactions des différentes personnes vis-à-vis de ce manque. C'est aussi l'occasion de proposer  une mise en abîme de la science-fiction. Jeter, à ce propos, ne manque pas d'autodérision, prouvant par plusieurs phrases la considération bien piètre de ce sous-genre de la littérature. Mais il ne peut s'empêcher de répondre à ces moqueries au travers d'une très belle séquence ,dont il vaut mieux garder la surprise, affirmant de belle façon le rôle de garde-fou de la SF. Si l'on peux ajouter aussi que l'auteur fais de Adder et Limmit des sortes de doubles, le premier étant simplement le reflet de tout ce que l'autre n'ose pas, il ne faut pas non plus oublier que le principal acteur de cette histoire est la ville de L.A elle-même. Une ville bien loin de celle que l'on connaît tous. Infecte, pervertie et en pleine chute (comme tous les États-Unis d'ailleurs), elle n'est en fait que le résultat de la lente dégradation de la société humaine.

Au-delà du pathétique des hommes, Dr Adder est simplement l'expression d'un profond malaise. Celui d'un homme qui s'interroge sur la société dans laquelle il vit et de surcroît sur ses congénères, de ce qu'ils cachent sous leurs atours. Bien entendu, le roman est aussi le premier écrit de K.W. Jeter, il est donc bancal. D'abord par sa structure bien trop éclatée au départ, le rendant bien difficile à suivre de prime abord, puis par la sensation de voir un collage, une succession de péripéties, pas bien emboîtées les unes dans les autres. N'oublions également pas qu'il est le premier des trois livres de La Trilogie du jeune homme qui vient en ville avec Le Marteau de Verre et Instruments de Mort, trilogie décidée à posteriori par l'écrivain. Le style a encore parfois des ratés mais finissons tout de même par l'avouer: pour son époque, par son statut de premier roman, oui Dr Adder est un grand roman.

"Toute ma vie j'ai voulu que le monde, le monde entier m'adore, le monde entier, ait besoin de moi, vienne vers moi, me supplie, m'aime, m'adore! Et j'y étais presque arrivé! Et je voulais ça juste pour... juste pour... parce que j'imaginais que si j'y parvenais, je pourrais dire à tout le monde en même temps, à L.A, à Orange County, au monde entier, d'aller se faire foutre!"

 

La conclusion de à propos du Roman : Dr Adder [1993]

Auteur Nicolas W.
80

Reste qu'aujourd'hui, les temps ont changés, et si l'impact n'est plus le même, il est indéniable que Dr Adder est un classique de la SF. Si ces défauts de structure et parfois d'écriture lui ôtent le privilège d'être considérer comme un chef d'œuvre, ce serait une très grande erreur que de le laisser tomber dans l'oubli. Ni le roman, ni l'auteur, trop souvent connu pour ses œuvres alimentaires, ne doivent subir ce destin. Lisez Dr Adder, il mérite de retenir votre attention.

On a aimé

  • Le Dr Adder
  • La vision noire du futur
  • Les thèmes développés
  • La force des images
  • Quelques trouvailles
  • La ville de L.A

On a moins bien aimé

  • Un début laborieux
  • Une structure pas tout à fait convaincante
  • Quelques imperfections dans l'écriture

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