Entretien au FIJ avec Jérôme « Brand » Larré
Auteur et créateur de Tenga

Présents au Festival International du Jeu de Cannes, les intrépides reporters Heikel L. et Nicolas L. se sont prêtés au jeu des interviews. Afin d’ouvrir le bal de ces interrogatoires musclés voici l’interview de Jérôme Larré, aka Brand auteur du jeu de rôle Tenga. En plus de sa critique récemment publiée (ICI) et de l'annonce d'un nouveau supplément (ICI), cet interview vient donner de plus amples informations aux curieux qui souhaitent en connaître davantage sur le jeu.

Heikel L. : Bonjour Jérôme, merci pour ta disponibilité. Peux-tu pour les lecteurs de SciFi-Universe.com nous présenter Tenga de manière globale ?

Jérôme « Brand » Larré : Bonjour ! Tenga est un jeu qui se passe dans le Japon historique à la fin du 16ème siècle. Après une grande période de guerre civile, le pays est en train de s’unifier sous la pression d’un seigneur de guerre et de son clan. Mais celui-ci est trahi par un de ses lieutenants et meurt de manière précipitée. Tous, ennemis comme anciens vassaux, se disent que c’est le moment ou jamais de tirer leur épingle du jeu : reconquérir des terres perdues, éviter une défaite sinon écrite d’avance, gagner de l’influence, etc. Pour le dire autrement : à ce moment-là le Japon est un tonneau de poudre au-dessus duquel on vient de laisser tomber une torche. On sait que tôt ou tard, à moins d’un miracle, tout va repartir dans le chaos. Pour l’instant, nul ne peut dire quand ni comment, mais tout le monde le sent. Les personnages sont pris là-dedans, ils peuvent être des héros, des personnes du quotidien, peu importe. Leur point commun est avant tout d’avoir voulu devenir les maîtres de leur destin et reprendre leur vie en main. À eux de voir ce qu’ils en font…

Heikel L. : Première chose, lorsque l’on parle de JDR aux inspirations asiatiques, nous viennent très vite les L5R, Bushido ou encore Qin. Quelle est la spécificité de Tenga par rapport à ces autres jeux ?

Jérôme « Brand » Larré :
Le premier élément est le côté historique du jeu. À savoir que le point de départ de Tenga se passe à un moment bien particulier de l’histoire du Japon : le deuxième jour du sixième mois lunaire de la dixième année de l’ère Tensho à 6 heures du matin. Mais bon, on sera sans doute tous d’accord pour gagner du temps et appeler ça le 2 juin 1582, même si certains spécialistes rétorqueront – à juste titre – que ce n’est pas tout à fait vrai. Donc comme je le disais, c’est le point de départ du jeu. Bien évidemment, on peut aussi jouer après (rires) mais l’idée est qu’en fait on donne tous les éléments dans le livre pour que le meneur ait tout en main (contexte, factions, scénario, etc.) pour jouer à ce moment bien particulier de l’histoire du pays. D’une certaine façon, le jeu est une « rampe de lancement » et c’est ensuite à la table de décider si elle veut partir sur une uchronie ou de continuer sur de l’historique réaliste classique.

Par rapport à L5R et Qin, c’est donc déjà un univers différent. Par rapport à d’autres jeux historiques basés sur l’histoire du Japon, on a cherché à mettre en avant et à bien détailler le côté géopolitique et toutes les interactions qui peuvent exister entre les nombreuses factions qui cherchent à s’imposer. Pour les avoir longtemps pratiqués, je n’ai jamais compris pourquoi la plupart des autres jeux historiques sur le Japon médiéval, malgré leurs autres qualités réelles, écartaient cet aspect. Cela me semble fondamental au contraire et, en tant que meneur, je n’ai vraiment pas envie de passer à côté d’un tel réservoir inépuisable de scénarios. Pour un joueur, c’est vite  passionnant car rien n’est impossible : tout ou presque peut se produire. De plus, cette période est riche en personnages historiques qui feraient se rhabiller pas mal de grands méchants de fictions !

 

Nicolas L. : Quel est le système de simulation utilisé pour Tenga ?

Jérôme « Brand » Larré : Le système de Tenga part d’un principe simple qui est de dire : «  Si tu es assez bon pour faire quelque chose, tu y arrives. Sinon, tant pis. ». Mais bon, on connaît tous nos joueurs, si on se contente de leur dire qu’ils n’y arrivent pas, cela ne va jamais leur suffire. Voire, si les vôtres sont comme les miens, c’est justement parce qu’on leur dit « non » qu’ils vont s’entêter jusqu’à réussir. Dès lors là, ils ont plusieurs options selon ce que vous voulez mettre en avant dans votre scène :

La première est de dire que leur personnage se fatigue ou fait un effort pour réussir. Dans ce cas, on jette un D20 sous la caractéristique, éventuellement modifiée selon la situation, qui s’applique. Cela permet de savoir si le personnage réussit à puiser dans ses ressources pour faire mieux, le plus souvent, ou moins bien, plus rarement.

La seconde possibilité est de prendre un risque. Concrètement, le joueur décrit se qui se passe si ça tentative échoue et en quoi cela l’aide à réussir. Par exemple « J’essaie de contourner un adversaire en passant au dessus d’un précipice si jamais je me loupe je tombe dans le trou et mon personnage est mort (ou blessé, ou perd ses sabres, etc.) ». Le meneur donne un bonus en fonction du risque et demande un jet au joueur. Si jamais le jet est loupé il se passe exactement ce que le joueur a décrit précédemment.

Ce sont les deux façons de procéder les plus courantes, mais il y a encore deux autres possibilités, basées sur la confiance entre les personnages et sur les notions de destinée et de points de karma.

 

Heikel L. : Est-ce que le jeu intègre une part de fantastique ?

Jérôme « Brand » Larré :
Il y a bien une part de fantastique, deux en fait, mais elle se font de façon un peu inhabituelle. La première tourne autour de la notion de destin justement. Tous les personnages en ont un dès la création, et il y a une force qui la pousse en avant. C’est un élément très important. Ceci peut être une bonne chose pour lui, au sens du héros classique, ou beaucoup moins bonne, à la manière des tragédies grecques. Les joueurs le décident dès le départ. Ils disent : « Je vais vous raconter l’histoire d’un personnage qui est ça, qui veut faire ça, mais qui à la fin devrait devenir ça ». Cela peut sembler surprenant, mais cela donne une toute autre saveur aux futurs succès et réussites car on sait déjà vers quoi on veut tendre, même si on fait bien sorte de se garder de quoi être surpris. On est sûr ainsi que les joueurs et le meneur sont sur la même longueur d’onde.

Le second élément est de prendre en compte une version du fantastique qui se rapproche plus du merveilleux : le joueur n’a pas besoin de savoir si un élément est « surnaturel » ou pas, ce qui compte vraiment, c’est ce que son personnage en fera et qu’il garde une forme de doute. Quelque part, c’est lui qui choisit si tel phénomène est une vision de son esprit ou un signe des kamis (esprits et divinités), et donc la part de fantastique. D’autant plus que ces derniers font partie de la nature et leurs moyens d’action sont donc invariablement « naturels ». Il en est de même pour ceux qui ont la chance d’être écoutés par eux, et donc de pratiquer une certaine forme de magie : ils ne pourront pas lacer de boules de feu, mais, par contre, il peut arriver qu’un volcan entre en éruption au moment où cela les arrange le plus. Pour les personnages, le cœur du système n’est pas tant question de puissance, que de cette relation à la nature. Pour le meneur, ce sera de s’assurer d’avoir toujours une version fantastique et pragmatique des événements une solution pragmatique afin de préserver le doute et garder ainsi cet aspect merveilleux quand on laisse les personnages décider.

Nicolas L. : Quelle est la finalité du joueur par rapport au Destin : est-ce qu’il est libre de faire ce qu’il veut ou est-il aliéné par son objectif ?

Jérôme « Brand » Larré : En fait l’essentiel de ces points-là se décident dans une première session de création de groupe, où les joueurs, meneur compris, décident tous ensemble du fil rouge de la campagne et de ce que vont devenir les personnages. Une fois cette étape réalisée, ils peuvent faire ce qu’ils veulent. La seule particularité et le seul point en commun qu’ont les personnages de Tenga font qu’à un moment ils ont choisi de prendre leur destin en main. Ils sont face à un monde qui change, personne ne comprend ce qu’il se passe. Il y a ceux qui souhaitent qu’il reste ou redevienne comme avant ou d’autres qui prennent le taureau par les cornes pour peser de tout leur poids sur l’avenir. Aux joueurs de se faire plaisir…

 

Heikel L. : Quelle est pour toi l’expérience la plus intéressante à vivre dans ton jeu ou l’élément le plus important ?

Jérôme « Brand » Larré : Selon moi, c’est justement que les joueurs vont avoir tous les moyens de décider et de se mettre d’accord avec le meneur et ce dernier toutes les billes pour savoir ce qui les intéresse vraiment. Tu joues ce que tu veux, y compris bien après la création. Si tu as envie de jouer un personnage qui évolue d’une quelconque façon et que c’est clair avec le meneur, vous connaissez l’objectif final et pouvez tout faire pour y arriver. Même si tu connais la destination, il se chargera de te surprendre afin que le voyage reste plaisant.

 

Heikel L. : As-tu déjà prévu des suites pour Tenga (suppléments de gamme, matériels) ?

Jérôme « Brand » Larré : Aujourd’hui ce n’est pas décidé concernant les suppléments, cela dépendra de son succès et des ventes. Il faut voir s’il y a une demande suffisante pour les faire (NDLR : maintenant on sait, il y aura un écran). Après du matériel, comme on disait tout à l’heure, c’est un jeu auquel je joue depuis des années. J’ai déjà fait jouer plusieurs campagnes différentes et ai donc de quoi fournir pas mal de matériel. Dans un premier temps, j’essaye d’en fournir en ligne, en cherchant à mettre en priorité ce que demandes les premiers lecteurs et joueurs. On peut récupérer tout ça via le site de John Doe, son forum, et via le site du jeu : tenga-jdr.com. Pour l’instant, il y a surtout des aides de jeu, un système de bataille, des inspirations et des éléments pour permettre de comprendre plus facilement l’univers. Après tout, même si on a parfois tendance à l’oublier quand on est passionné par quelque chose, l’exotisme de ce genre d’univers le rend parfois un peu difficile d’accès. On y trouve aussi la liste des scénarios parus dans les magazines, histoire de pouvoir s’y retrouver facilement et que le meneur ou les joueurs qui veulent jouer à Tenga ne se retrouvent pas seuls. D’ici peu, on devrait également mettre en ligne des scénarios originaux, officiels ou envoyés par des internautes.

Heikel L. : Merci pour toutes ces informations Jérôme, bonne continuation.

Auteur : Heikel L.
Publié le lundi 4 avril 2011 à 14h00

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