Critique Ginkgopolis [2022]

Avis critique rédigé par Gaetan G. le jeudi 3 février 2022 à 11h00

"Plutôt que de jeter, il faut recycler"

L’objet de notre chronique d’aujourd’hui n’est pas franchement une nouveauté… Ginkgopolis est en effet sorti initialement pour le festival d’Essen, millésime 2012.

A l’époque, le titre avait fait forte impression, que ce soit pour sa direction artistique léchée ou pour sa mécanique originale. Les critiques de l’époque étaient d’ailleurs dithyrambiques, et le jeu a clairement marqué les mémoires. Ce n’est pas pour rien si sa réédition s’est retrouvée rapidement en rupture, dès sa disponibilité en boutique en janvier 2021 !

Hélas le temps est impitoyable sur pas mal de choses, des gens au mauvais vin en passant par les jeux de société. Or 2012 c’était il y a 10 piges, c’est-à-dire une éternité pour un marché qui voit débarquer environ 3000 réalisations par an.

De plus, cette nouvelle édition fait le choix de ne rien changer au titre original, si l’on excepte l’ajout d’un logo Funforge sur la boîte. Les mécaniques, le manuel, la direction artistique : tout est, comme on dit, dans son jus. Ce qui a changé, en revanche, c’est le public et surtout ses attentes.

 Ginkgopolis est-il toujours en phase avec son époque, et mérite t’il toujours son statut de jeu culte et incontournable ? Vous avez vu la note, vous savez que la réponse à cette question est globalement positive. L’essentiel est bien là, la mécanique reste toujours aussi intéressante malgré le poids des ans. En revanche, le titre est maintenant pénalisé par son accessibilité : il faut quelques parties pour commencer à l’apprécier. Cela pourra être un frein pour certains joueurs, à l’heure où les boîtes ont de moins en moins de temps pour convaincre. Mais assez spoilé, et regardons tout cela dans le détail.

La DA a plutôt bien traversé les années…

La Direction Artistique de Ginkgopolis était magnifique pour l’époque, disons qu’elle est encore dans la bonne moyenne de ce qui se fait aujourd’hui. Les cartes fourmillent de détails, il y a pleins de variantes différentes, les couleurs sont harmonieuses. Bref, c’est du bel ouvrage.

Le thème est également toujours aussi actuel, puisque le jeu parle d’écologie et de développement durable :

« 2212. Le Ginkgo Biloba, l’arbre le plus vieux et le plus résistant de la planète, est devenu le symbole d’une nouvelle façon de construire les villes, en symbiose avec la nature. En effet, les hommes ont presque épuisé les ressources que la Terre leur offrait. Ils doivent à présent développer des villes qui préservent le fragile équilibre entre les ressources produites et consommées. Cependant, l’espace habitable se fait rare. Il faut construire en hauteur, ce qui est plus difficile. Pour développer cette ville d’un type nouveau, vous allez réunir autour de vous une équipe d’experts, et tenter de devenir le meilleur urbaniste de Ginkgopolis. »

En revanche, je n’accroche pas du tout avec l’iconographie… Même après de nombreuses parties, la simple vue de l’aide de jeu (imprimée au verso des paravents de joueurs) suffit à me donner des palpitations. Je vous conseille vivement d’imprimer 5 exemplaires de la dernière page du manuel, qui résume à elle toute seule l’ensemble du système de jeu (je vous ai fait un PDF au besoin).

Le manuel en tant que tel est pourtant clair et bien structuré. Il s’étale sur 8 pages au format A4, avec des sections bien identifiées, de nombreux exemples et tous les raffinements que l’on est en droit d’attendre d’un jeu expert. Une version PDF est disponible au besoin sur le site de Pearl Games.

… Et la mécanique aussi, en fait

Passons maintenant à la description du système de jeu. Chaque joueur commence la partie avec 4 cartes en main, plus un nombre de tuiles et de ressources qui vont dépendre de son personnage de départ.

Le plateau est en effet composé de deux types de tuiles : il y a tout d’abord les tuiles bâtiment, ce sont les tuiles bleues et carrées posées au centre de l’air de jeu. Il y a ensuite les tuiles urbanisation, ce sont les gros ronds verts placés en périphérie. Le deck de carte dans lequel les joueurs viennent piocher est le reflet exact du plateau. En début de jeu, le deck comporte par exemple 21 cartes, 9 pour les tuiles bâtiments et le reste pour les tuiles urbanisation.

A son tour, il est possible de réaliser une action parmi les 3 suivantes :

  • Jouer soit une carte seule – c’est l’action exploiter ;
  • Jouer soit une carte urbanisation et une tuile en même temps – c’est l’action urbaniser ;
  • Jouer soit une carte bâtiment et une tuile en même temps – c’est l’action construire en hauteur.

Regardons dans le détail l’action exploiter. En pratique, son effet va dépendre de la carte que vous avez jouée. Si la carte que vous jouez correspond à une tuile urbanisation, vous gagnez 1 ouvrier ou une tuile. S’il s’agit d’un bâtiment, vous gagnez la ressource produite par le bâtiment, multiplié par le nombre d’ouvriers posés dessus. La carte jouée est ensuite défaussée.

Passons maintenant à l’action urbaniser. Là encore, c’est plutôt simple : on vient placer la tuile sur l’emplacement indiqué par la carte. Le bâtiment prend la place du jeton urbanisation, ce dernier étant déplacé un peu plus loin. Chaque bâtiment adjacent au petit nouveau (diagonales non comprises) rapportera des ressources, selon le même calcul que pour l’action exploiter. Pour finir, le joueur pose 1 ouvrier à sa couleur sur la tuile pour montrer qu’elle lui appartient.

L’action construire en hauteur est un poil plus complexe… Tout d’abord, la nouvelle tuile est posée sur la ou les tuiles déjà présentes sur l’emplacement en question. S’il y avait des ouvriers d’un autre joueur, ils sont renvoyés chez leur propriétaire et ce dernier gagne 1 point de victoire par ouvrier ainsi dégagé. Ensuite, on pose autant d’ouvriers à sa couleur que le niveau total du bâtiment (4 tuiles = 4 ouvriers par exemple).

Il est préférable, mais pas obligatoire, que la nouvelle tuile soit de même couleur que la tuile qu’elle vient recouvrir, et que son numéro soit supérieur. Dans le cas contraire :

  • Si la couleur est différente, le joueur perd une ressource ;
  • Si le numéro est inférieur, le joueur perd autant de points de victoire que la différence ;

Une fois que tout le monde a joué, on s’assure que le deck de carte reste le reflet exact du plateau. Si de nouvelles tuiles ont été ajoutées (lors d’une action urbaniser ou construire en hauteur), les cartes correspondantes sont ajoutées à la défausse. Si une tuile a été recouverte lors d’une action construire en hauteur, elle est retirée du jeu et placée devant le joueur qui a réalisé l’action. Elle va lui apporter un bonus passif et permanent : soit un gain de ressource (tuiles, ouvriers, points de victoire) lors de la réalisation d’une action bien précise, soit un gain de points en fin de partie.

Une fois que tout le monde a joué, tout le monde donne les 3 cartes qu’il lui reste à son voisin de gauche, on pioche 1 carte pour revenir à 4 cartes (en mélangeant la défausse si besoin) et c’est reparti pour un tour.

La fin de de partie arrive en deux temps. Lorsque la pile de tuiles bâtiments est épuisée, chaque joueur peut en « remettre au pot » le nombre de tuiles qu’il souhaite, en prenant au passage 1 point de victoire par tuile remise en jeu. La partie prend fin lorsque la pile de tuiles bâtiments est épuisée une seconde fois. Chaque joueur additionne alors :

  • Les points collectés en cours de partie ;
  • Les points rapportés par les cartes bonus ;
  • Et pour finir les points de quartier…

Un quartier est une zone de la ville formée par au moins 2 bâtiments adjacents (un côté en commun) de même couleur, un peu comme à Kingdomino. On regarde, quartier par quartier, qui y possède le plus d’ouvriers (et en cas d’égalité, qui y possède l’immeuble le plus haut) :

  • Le premier reçoit autant de points de victoire que d’ouvriers présents dans le quartier (toute couleur confondue) ;
  • Le deuxième reçoit autant de points de victoire que d’ouvriers à sa couleur ;
  • Les autres ne reçoivent rien.

Celui qui a le plus de points gagne tout naturellement la partie.

Un titre qui se mérite (peut-être encore plus qu'il y a 10 ans)

Vu d’avion, tout ça a l’air plutôt simple. On a d’ailleurs l’impression de tout comprendre en lisant le manuel avachi dans le canapé. Puis on commence à jouer, et là c’est le drame : on se rend compte qu’en fait on n’a absolument rien pigé.

Le premier tour se fait dans la douleur, avec une mécanique qui semble particulièrement confuse et peu fluide. Ce n’est pas forcément inhabituel pour un jeu expert… Cependant, là où d’habitude les choses s’arrangent au bout d’un ou deux tours, avec Ginkgopolis il vaut mieux compter carrément 1 ou 2 parties complètes. Il faut en être conscient : le titre se mérite, et il ne commence à révéler son potentiel qu’au bout de quelques parties. On commence à voir là où on peut aller, et les tours gagnent nettement en fluidité.

Cela ne posait pas forcément de problème en 2012 : à l’époque, certains critiques (coucou Vin d’jeu) vantaient même la grande simplicité et la fluidité de l’ensemble. Gus, quant à lui, aimait répéter qu’il était carrément anormal qu’on rentre dans un jeu expert dès sa première partie. Sauf que depuis, les jeux ont énormément travaillé leur accessibilité – et surtout les jeux experts au passage ! Khôra, par exemple, s’explique et se met en place en une poignée de minutes. Tainted Grail dispose d’un livret de démarrage qui explique le système de jeu sans avoir à se fader préalablement un gros manuel. Ankh, pour prendre un dernier exemple, est lui aussi hyper intuitif et le système de jeu se comprend en moins d’un tour.

C’est clairement le point sur lequel le titre a le plus vieilli… Ma fille de 8 ans a fini sa première partie en PLS et a refusé d’en rejouer une autre. Il est également difficile d’intégrer un nouveau joueur à une table d’habitués, car c’est la garantie pour lui d’une défaite cuisante et douloureuse.

C’est dommage, car la mécanique derrière est vraiment très bonne. Elle est également toujours aussi originale, aucun autre titre n’ayant – à ma connaissance – proposé un système similaire. Ginkgopolis repose en effet sur une sorte de mécanisme à « double détente » bien finaud : les bâtiments que l’on va upgrader vont apporter un bonus permanent. On se focalise d’ailleurs bien souvent sur une action et/ou une couleur bien précise afin de maximiser les gains correspondants. Mais ils vont également servir à donner les majorités dans les différents quartiers. On va bien entendu privilégier les cartes qui sont intéressantes dans ces deux aspects simultanément, mais en général il faut prioriser... Avec seulement 4 cartes entre les mains, c'est l'opportunisme et l'adaptabilité qui dominent. Il faut quelques parties pour être capable de prendre de la hauteur et de construire une stratégie (à peu près) cohérente...

Mais à court terme, chaque partie est remplie de dilemmes cornéliens : faut-il que je pose cette carte qui va me rapporter les ressources nécessaires à mon développement, ou cette autre carte qui va renforcer mon contrôle sur une grosse zone - au risque de concentrer les enjeux à cet endroit ? Ou alors, soyons crapules fous, pourquoi ne pas carrément jouer cette carte qui ne m'interesse pas du tout mais qui  avantagerais trop le joueur suivant ? Le titre impose donc souvent une certaine prise de risque, et il est également préférable de savoir lire le jeu de ses adversaires. Bref, on découvre au fil des parties un système beaucoup plus profond qu'il n'y paraît.

Au début on peut avoir l'impression que la chance domine largement les débats. Fort heureusement, on apprend à réduire son influence au fil des parties. Le hasard reste toutefois bien présent en début de partie, là où les options tactiques sont forcément moins nombreuses. En cas de besoin, on dispose heureusement de 3 jetons permettant de piocher 4 nouvelles cartes. Plus généralement une carte pas terrible pourra être recyclée lors d’une phase d’exploitation,, il y a donc toujours moyen de se débrouiller. De ce fait, le hasard est rarement punitif, même si cela peut quand même arriver de temps en temps.

L'essentiel en quelques mots

Public cible : joueurs experts. 10+ annoncé, je serais plutôt sur un 12+

Nombre de joueur : 1 à 5, meilleur à 2 ou 3
Les configs à 4 ou 5 sont trop lentes et chaotiques, impossible de planifier quoi que ce soit puisque vous ne reverrez jamais les cartes que vous passez au joueur suivant. Le jeu offre son optimum à 2 ou 3, c’est là où la fluidité et la stratégie sont maximales. Le mode solo est anecdotique.

Durée de partie : 40 minutes annoncées, en pratique comptez plutôt le double (surtout à 4 ou 5)
La mise en place prend 10 bonnes minutes (il faut trier les cartes et les tuiles). Pour le reste, la durée de partie à 2 ou 3 reste relativement contenue, tandis que la durée à 4 ou 5 s’envole franchement

Interaction : compétitif indirect (contrôle de territoire et pose d’ouvrier)

Rejouabilité : forte. Les mécaniques sont suffisamment riches pour révéler leur interêt sur le long terme

Facilité de prise en main : comptez 2 ou 3 parties pour être à l’aise avec les mécaniques

La conclusion de à propos du Jeu de société : Ginkgopolis [2022]

Auteur Gaetan G.
75

Funforge et Pearl Games viennent de rééditer Gingkopolis, un grand classique du jeu de société initialement sorti en 2012. Il s’agit bien d’une réimpression et non d’un remaster, ce qui signifie que rien n’a changé en 10 ans.

La mécanique est donc conservée à l’identique : on a affaire à un mélange plutôt original entre le draft et la pose de tuile. A chaque tour, on joue une carte parmi les 4 de sa main, chaque carte faisant référence à une tuile unique du plateau.

Cette fameuse carte peut être jouée seule, afin de collecter des ressources. Elle peut également être posée conjointement avec une nouvelle tuile, c’est l’action de construction qui est au centre du gameplay. On dépense les ressources qui vont bien, puis la tuile est posée sur l’emplacement indiqué afin augmenter la hauteur de la structure (et accessoirement d’en prendre le contrôle). Ensuite, on passe les cartes restantes au joueur suivant qui complète sa main à 4 cartes.

En fin de partie, la manière de marquer des points rappelle Kingdomino : l’aire de jeu est divisée en quartiers (bâtiments adjacents de même couleur). Chaqcun d'entre eux rapporte alors des points aux deux joueurs majoritaires – sachant, bien sûr, que plus un bâtiment est haut plus son influence va être forte.

Globalement, le titre a plutôt bien traversé les années. La direction artistique, qui était somptueuse en 2012, reste encore acceptable selon les standards actuels. La mécanique se révèle toujours aussi finaude et chaque tour est un casse-tête potentiel. La construction permet tout à la fois de récupérer un bonus permanent et d’accroître sa domination territoriale. Cependant, il est rare qu’un coup soit intéressant sur ces deux aspects en même temps. De fait, le jeu implique des arbitrages permanents.

En revanche, l’iconographie et l’accessibilité du jeu auraient mérités un bon coup de polish. Le titre n’est pas complexe en soi mais il est vraiment difficile d’accès : la première partie est difficile, et il en faut bien une ou deux avant qu’on commence à prendre ses marques. En 2012, c’était quelque chose de normal, c’est nettement moins vrai aujourd’hui. En face de Gingkopolis, il y a par exemple Khôra, un jeu largement aussi profond mais qui s’apprend en 5 minutes douche comprise.

Ce sera peut-être un problème pour vous, notamment si vous comptez sortir le titre une fois tous les 36 du mois (et avez oublié 99% des règles au passage) ou si vous invitez régulièrement de nouveaux joueurs autour de la table.

Mais dans le cas contraire, vous auriez tort de passer à côté de Gingkopolis car l’ancien mérite toujours son statut de titre culte quand on prend le temps de faire connaissance avec lui.

On a aimé

  • Un grand classique, introuvable depuis longtemps et qui fait son retour en boutique
  • Une mécanique bien fichue, donné d’une excellente profondeur stratégique qui révèle sa profondeur partie après partie
  • Une DA qui a plutôt bien vieilli (rappelons que le titre date de 2012)
  • Beaucoup de tension et de choix cornéliens en cours de jeu

On a moins bien aimé

  • Les 2 premières parties sont difficiles, avec un titre qui laisse une impression de lourdeur et de complexité. Heureusement, ça s’atténue par la suite
  • L’iconographie et les mécaniques auraient mérité un petit coup de refresh afin de coller à l’air du temps, comme ce qu’on fait les Space Cowboys sur Caylus l’année dernière
  • Pas forcément recommandé à 4 ou à 5 (trop lent et trop chaotique)
  • Le positionnement 10+ est un peu ambitieux, tablez plutôt sur un bon 12+

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