Critique Brain Soda [2005]

Avis critique rédigé par Nicolas L. le vendredi 2 mars 2007 à 16h05

SILENCE, ON TOURNE ! MOTEUR ! ACTION !

Brain Soda se présente sous la forme d’un épais livret de 130 pages copieusement illustré de crobars sympathiques et de quelques graphismes plus élaborés. La première chose qui apparaît lorsque l’on parcoure ce recueil de règles est la mise en forme d’un évident désir de clarté, de transparence. La mise en page et la maquette sont donc très aérées, apportant un net plaisir de lecture, les concepteurs Willy Favre et Laurent Devernay - alias Brain Salad et Bob Darko - laissant transparaître dans une écriture simple mais pleine d’humour leur éternelle bonne humeur (enfin, au moins Willy, je n'ai pas l'honneur de connaitre Bob Darko).
RETURN OF THE LIVING DEAD FROM OUTER SPACE
Mais, en fait, qu’est-ce que Brain Soda ? Bien entendu, c’est un jeu de rôle, mais certainement pas un jeu de rôle comme les autres. Pourquoi ? Car il fait en premier lieu appel à notre sous-culture, comme dirait Alain Chabat. Tiens d’ailleurs, je suis sur que c’est un jeu qui plairait fortement à l’animateur du Burger Quizz et au réalisateur du génial (désolé, moi, j’aime bien) Astérix et Cléopâtre. Mais, je m’égare, je m’égare… revenons à nos moutons, c'est-à-dire le concept du jeu. Dans Brain Soda, chaque joueur interprète un personnage de fiction. Bon, ça, c’est commun, me direz-vous. Mais les mauvaises langues vont ravaler leur cynisme quand je vais préciser que le joueur incarne un personnage de série B ou de série Z, le meneur de jeu faisant office de metteur en scène. Et là, c’est nettement moins courant, avouez-le !
En fait, en partant sur ce principe, Willy Favre et Laurent Devernay mettent en évidence un fait que chacun d’entre nous – tous ceux faisant partie intégrante de la grande confrérie des rôlistes geek - pratique insidieusement lors de ses fines parties du samedi soir ou à l’occasion de l’écriture d’un scénario. A la différence prêt que les concepteurs ne nous proposent pas d’utiliser nos références cinématographiques comme un simple matériel d’inspiration, mais comme un véritable univers décalé. Original, n’est-ce pas ? Alors, vous pourriez me demander : par conséquent, les personnages sont donc des acteurs? En fait, oui et non, car ils ne sont pas sensés le savoir. Pour eux, tout ce qui évolue autour d’eux, du slasher masqué armé d’une hache au château médiéval en polystyrène expansé, tout est réel. Seul le meneur de jeu, d’ailleurs surnommé pour l’occasion le metteur en scène, doit garder à l’esprit que ses joueurs évoluent dans un monde de carton-pâte. Et c’est là toute la difficulté, avec cette subtile ambiguïté qui inspire la réflexion que Brain Soda est un jeu beaucoup moins con qu’il n’y parait dans un premier temps.
Mais jetons un œil plus insistant sur la règle. Le livre est en fait divisé en deux grosses parties distinctes, elles-mêmes divisés en nombreux sous-chapitres.


SOUS LE BRAIN… LE SODA (Je sais, ça veut rien dire, c’est pour l’ambiance…)
La première partie (intitulée Les Coulisses) décrit en détail les règles de création de personnages, les mécanismes de simulation, et une courte partie descriptive de l’univers - destinée plus particulièrement aux meneurs de jeu.
Le chapitre le plus copieux (burps !) est consacré au Casting, c'est-à-dire au choix et à la création des personnages joueurs. Rien de bien révolutionnaire à ce niveau (mais on prétend que c’est dans les vieux crânes que l’on fait les meilleures délires, si, si, c’est Alzheimer qui l’a dit). Chaque personnage se voit attribuer 8 caractéristiques (Muscle, Souplesse, Cervelle, Sens, Tripes, Bagou, Psy, Bordé de Nouille – la chance) avec des minima imposés en fonction de la classe de personnage choisie. Et oui ! Vous avez pigé, le joueur se voit proposer en début de séance plusieurs classes de personnages, en fait des stéréotypes propres aux films de série B ou de série Z. Et là, on commence déjà à se marrer (et on ne va plus s’arrêter, quitte à passer pour un con devant ses gosses et sa femme à se poiler tout seul sur le canapé en lisant un bouquin de règles). Car, en maniant de manière habile un délectable humour geek, les auteurs dévoilent devant nous une myriade de personnages (in)jouables. De la bimbo scream queen au sportif lobotomisé, en passant par le fissapapa, le joueur comblé d’aise n’a qu’à se servir (il trouvera même plus loin dans le livre des stéréotypes pour jouer des scénarios Kosmokitch, histoire de pénétrer dans l’univers de Mario Bava ou de Roger Corman) tout en prenant en compte, bien entendu, la nature du scénario qu’il aura à vivre (il est hors de question de jouer un Robby le Robot dans un Jason-like, quoique…).
Ensuite, chaque PJ, étant donné que l’on affaire à une véritable galerie de stéréotypes, se voit imposé des traits de personnalité. Avec tout de même une certaine souplesse dans les choix (limitée toutefois, la souplesse, on est plus proche de Steven Seagal que de Jacky Chan), ce sont les Goodies et Baddies (avantages et défauts). Ainsi, comme dans les systèmes GURPS et autres similaires, le joueur va équilibrer son héros en dépensant autant de points en Goodies qu’en Baddies. Le système est simplifié au possible. Par exemple, le joueur désirant jouer un Comique de service (vous savez, ces buddy insupportables qui colle au cul le héros partout où il se rend) se voit proposer comme Goodies ; Faire Pitié (1 point), Guest Star (1 point), Comique (2 points) et comme Badies Casse-Pieds (1 point), Tête à claques (1 point), Gaffeur (1 point) ou From Beyond (1 point). En sachant que chaque trait de personnalité modifie fondamentalement le PJ (par exemple, From Beyond entraîne que le PJ est doté d’un éventail de goûts vestimentaires ou gastronomiques plus que douteux).
Une fois que le personnage est doté de caractéristiques et de traits de personnalités, on doit le peaufiner en lui attribuant quelques compétences (l’age du PJ détermine le nombre de points de compétences autorisées). Rien de long, ni de complexe, dans Brain Soda le PJ doit se contenter du minimum nécessaire à son indentification (n’oublions pas que les scénarios de ce genre de films tiennent sur du papier à cigarette, alors il est hors de question de faire du superflu). Cependant rien ne vous empêche de transgresser cette règle puisque le joueur est totalement libre de créer sa propre liste de compétences (sous la surveillance aiguisée du metteur en scène qui doit veiller à ce que le personnage ne sorte pas de son archétype) en y attribuant les scores de son choix. Sachez aussi que pour aider les plus hésitant (tous ceux qui relisent dix fois la carte de la pizzeria du coin sans parvenir à se décider et qui reprennent systématiquement, pressés par des convives affamés, une Double-Fromage-Origan) et les moins déjantés d’entre nous, les fiches de personnage prétirés proposent une liste de compétences adéquats. Pour continuer sur notre exemple de Comique, la fiche de perso conseille les caractéristiques Raconter une mauvaise blague, Faire une farce, Pisser dans la soupe aux harengs et Etre sérieux au moment de sa mort par décapitation. Comme vous l’avez deviné, ces compétences sont souvent inutiles, donc indispensables.
S’en suit ensuite, comme dans les règles sérieuses, un chapitre sur l’utilisation de la magie. Vous le savez, dans les nanars et les films bis, certains PJs (comme les Mystiques) et bon nombre de PNJs possèdent des compétences paranormales ou des aptitudes magiques (en général bien nases mais souvent radicales). Willy Favre a séparé ces compétences en deux catégories : les pouvoirs psy (medium, télépathes et autres illuminés) et les aptitudes magiques (Magie Blanche, Magie Noire, Vaudou et Magie Evocatoire, rien que ça). Le tout appuyé par une liste non exhaustive de sorts divers. Comme de bien entendu, vous pouvez créer (et vous y êtes même encouragé) vos propres sorts. Par exemple, si vous êtes un maniaque de caféine, quoi de plus naturel de créer pour votre Magicien le sort El Gringo qui transforme de jolis petits cailloux en grains de pur arabica. Le top serait de ne pas oublier que tout sort demande une formule magique bien théâtrale (Par la volonté de Jacques Vabre, grand maître de l’Ordre du P’tit noir…) et l’obligation d’un matériel ésotérique de choix (un mazagran et une photo de Grand’mère).
Le second chapitre décrit la mécanique de jeu, digne d’une mobylette boostée au méthanol. Les amateurs de règles simples vont être aux anges. La réussite d’une action est tout simplement déterminée par un lancer de dés. La nature du dé est choisie en fonction de la difficulté de l’action. Ainsi, une action facile demande un jet de D4, et une action très difficile un jet de D12. Pour être réussi, le jet de dé doit donner un score inférieur ou égal à la somme [compétence + caractéristique concernées] pour effectuer l’action. Par exemple, Bob le judoka fan de Steven Seagal possède une caractéristique Souplesse de 4 et une compétence Gros Minet (retombe toujours sur ses pattes) de 3. Il doit sauter du haut d’un mur d’une hauteur de 3,5 mètres. Le metteur en scène estime que c’est plutôt casse-gueule (d’autant qu’un glissant et visqueux placenta de créature intergalactique inonde le bas du mur) et attribue à l’action un niveau Difficile. Bob doit faire un score de 7 ou moins avec un D12. La différence entre le score et le jet indique la marge de réussite ou d’échec. Comme vous le voyez le système est très intuitif, et dans le cas d’opposition d’action, c’est celui qui obtient la meilleure marge de réussite remporte le duel.
Pour les combats, décrits dans le chapitre suivant, la technique est la même sauf que les armes utilisées amènent des bonus (+1 pour une fourchette et +4 pour une tronçonneuse) et déterminent les dommages (directement pour une arme de tir mécanisé ou sous forme de modificateur pour les armes de poing et les arcs).

AND THE WINNER IS…
Mais comment forcer les joueurs à rester dans le trip de Brain Soda ? Comment introduire les situations ubuesques et inattendues qui s’épanouissent comme fleur au printemps dans ce genre de production de seconde zone ? C’est pour répondre à ce questionnement qu’entre en jeu le génial système des Clichés. Les Clichés sont présentés dans la règle sous la forme d’une liste, mais rien ne vous empêche (si vous êtes bricoleur) d’en faire un joli paquet de cartes. Au début de la partie, tous les joueurs (même le meneur de jeu) tirent au hasard, et secrètement, un Cliché. Chacun doit ensuite utiliser ce Cliché avant la fin de la séance. Si son déclenchement (par exemple, jouer le Cliché Dialogue Ikea oblige un joueur à entretenir un dialogue n’ayant aucun rapport avec la situation en cours avec un autre joueur, ou même le MJ) est jugé justifié, ou tout simplement drôle, par le MJ, la séance rapportera un bonus en point de public et… hein ? En point de quoi ?... Mais qu’est-ce qu’il raconte Bastable ?
Ben vi, en point de public. N’oubliez pas, chers lecteurs, qu’une séance de Brain Soda est sensée être un film passant sur grand écran en live (ou en DVD). En théorie, il y a donc un public, et ce tas de gens exigeant, il va aimer ou pas. C’est donc avec les points de public que, dans Brain Soda, l’on mesure le degré de satisfaction de l’audience. Ainsi, le nombre total de points de public dépend de critères comme le type de scénario, le nombre de clichés mis en jeu, l’interprétation des personnages, et le déroulement de certaines phases de jeu. Et ces points de public sont ensuite transformés en points de box-office (rassurez-vous c’est tout simplement une ridicule table de correspondance) qui sont en quelques sortes les points d’expérience du jeu (très utile, il peuvent même faire renaître un personnage décédé dans la partie).
JE VAIS LOUER QUOI CE SOIR MOI ?
La deuxième partie s’attarde à détailler les styles de parties qui peuvent être mises en scène. Divisée en deux chapitres, elle décrit en détail tous les éléments pour monter un scénario de Teenage Movies ou un scénario Kosmokitsch. Construits de la même manière, les chapitres sont plutôt destinés aux metteurs en scène car ils délivrent bon nombre de secrets sur la nature des parties. On y trouve donc les classes de personnage conseillées, les types de scénario disponibles avec leurs lots de PNJs (exemple, pour le chapitre Teenage Movies, Willy Favre et Laurent Devernay vous proposent le Slasher, le film animalier, le film satanique, le film de zombies, le film de fantômes et le l’horreur gothique), et des aides de jeu pour le MJ (création de background). Chaque chapitre se clôt sur un scénario.
Autant dire que le lecture de ces chapitres est fortement conseillée (notamment aux futurs meneurs de jeu) car elle permet de parfaitement entrer dans le délire de Brain Salad et de Bob Darko, et c’est en parcourant ce chapitre que vous allez vraiment réaliser si ce jeu est fait pour vous ou pas.

ALORS DOCTEUR, C’EST GRAVE ?
Et c’est en cela que Brain Soda est un jeu atypique. Si certains vont accrocher, d’autres vont détester, c’est sûr. Les plus à mêmes d’apprécier cette ambiance délirante sont les nanarophiles et une certaine catégorie de geek (mais pas tous !). De plus, il est impossible de s’attacher à des personnages aussi nases, et ils ne font en général guère long feu (le taux de mortalité dans les séries Z et les séries B dépasse de loin celui de la bataille de Verdun). Tous ceux qui aiment « monter » leurs persos, parties après parties, en seront pour leurs frais. De toutes manière, je suis certain que Willy Favre se fout comme de sa première guigne que le jeu ne fasse pas l’unanimité, car je pense qu’il a créé Brain Soda avant tout pour lui. Personnellement, étant fan de séries B et ne négligeant jamais l’occasion de me mater un bon nanar italien des années 80, j’ai rudement fusionné avec le trip des concepteurs. Et pourtant je suis un fan des règles ultra simulationnistes (mais aussi un accroc de Joe d’Amato et de Fred Olen Ray, alors…).
L’un des autres aspects que l’on doit prendre en compte si l’on s’intéresse à ce jeu, c’est qu’il est quand même destiné à des rôlistes plutôt expérimentés. En effet, la grande liberté dans les possibilités de construction de personnage (surtout au niveau des compétences) entraîne que le joueur doit parfaitement connaître les limites à ne pas dépasser. Faute de quoi, la séance devient rapidement un joyeux bordel. Même conclusion pour le MJ qui se voit mettre dans les mains un système de règle simple mais aux limites assez flous. Il va devoir utiliser toute son expérience de jeu et sa sous-culture pour rester dans les frontières du jouable (les frontière du réel, ce n’est même pas la peine d’en parler). Plus que jamais, le meneur jeu a dans Brain Soda une fonction de gardien d’asile psychiatrique. Mais, en même temps, c’est sacrément rafraîchissant…

La conclusion de à propos du Jeu de rôle : Brain Soda [2005]

Auteur Nicolas L.
85

Brain Soda est un pavé dans la mare des canards-rôlistes sérieux. Jouer à ce jeu m’a rappelé que le jeu de rôle est avant tout un plaisir, un loisir. Ce n’est pas que je déteste les jeux de rôle graves ou nihilistes (je les pratique même régulièrement), mais la découverte de Brain Soda, comme celle d’Humanydyne il y a quelques mois, a drôlement fait du bien à mon ego de joueur quadragénaire suffisant. Cela m’a rappelé qu’il y a quelques années, je m’éclatais à Toon et à Paranoia. Cependant, comme pour ces ancêtres, il vaut mieux consommer Brain Soda avec parcimonie, à travers des parties courtes (vous imaginez mater un Ed Wood de plus de 3 heures, vous ?). En utilisant cette méthode, dans les mains d’un meneur expérimenté, le succès est quasi-assuré. En tout cas, personnellement, ça m’éclate. Et je vais vous dire, le comble, c’est que cet enthousiasme, j’ai réussis à le communiqué à mes potes de jeu (à un niveau moindre, ils comprennent pas la moitié de mes clins d’œil, tsss), eux qui ne sont pas du tout des geeks, ni des fans de sous-culture. Un excellent jeu, avec de plus, un bon suivi de l’auteur sur le site officiel consacré à Brain Soda.

On a aimé

  • Le paradis des nanarophiles
  • Concept très original
  • Une bonne humeur communicative
  • Des règles simples
  • Une grande liberté d’action

On a moins bien aimé

  • Faut vraiment aimer les films B ou Z
  • Pour joueurs expérimentés
  • Mécanisme de simulation très léger

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