Critique Space Gate Odyssey [2019]

Avis critique rédigé par Gaetan G. le vendredi 17 mai 2019 à 09h00

De la bonne SF comme on l'aime

« Un futur proche, dans une galaxie pas si lointaine... Après des décennies de recherche et de développement technologique, l'Humanité s'apprête à quitter sa planète-mère agonisante. Un système de six Exoplanètes viables a été identifié, mais il n'y a qu'un seul moyen de transport envisageable pour s'y rendre : les portails spatiaux. Ces portails ne pouvant être construits que dans l'espace, les Confédérations se sont lancées dans une course effrénée pour la construction de leur propre base en orbite. Les enjeux sont importants, car celui qui parviendra à envoyer un maximum de colons dans ce nouveau système en prendra le contrôle, et il tiendra dans ses mains l'avenir de l'Humanité. »


Space Gate Odyssey, le titre dont nous allons parler aujourd’hui, nous tiens particulièrement à cœur pour deux raisons. La première, c’est bien entendu parce qu’il s’agit d’un titre de SF : un genre un peu négligé aujourd’hui et qui n’a pas forcément bonne presse, mais qui se trouve au cœur de l’ADN de notre site.


La seconde, c’est parce qu’il marque le retour à la création de Cédric Lefebvre, le co-créateur des Ludonautes. Ce dernier, visiblement accaparé par la gestion de son studio, n’avait rien publié depuis l’excellent Yggdrasil en 2011. Et rien qu’à voir la boîte, on comprend qu’il a voulu frapper fort pour son retour. Les illustrations de Vincent Dutrait sont tout simplement magnifiques et attirent immédiatement l’attention. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si le titre a rencontré son petit succès au Festival des Jeux de Cannes.


Mais vous le savez comme moi : ce qui fait la qualité d'un titre, ce n'est pas tant son emballage que la mécanique qu'il y a derrière... Et autant spoiler tout de suite : oui, Space Gate Odyssey est un bon jeu. En revanche, c’est un titre atypique qui ne conviendra pas à tout le monde : l’objectif de cet article est de vous permettre de voir si vous risquez d’être du nombre. C’est parti ? Alors on y va.


Un matériel plantureux, sans figurine mais avec plein de carton


Le matériel contenu dans la boîte est plutôt généreux. Clairement, il n’y a rien à redire pour un jeu vendu sous la cinquantaine d’€uros :


  • 1 plateau « Odyssey »
  • 10 plateaux « planète » (1 planète Hawking servant au comptage des points +  8 Exoplanètes Recto/Verso)
  • 3 Portails Spatiaux
  • 85 Tuiles Module
  • 52 Meeples transparents par joueur

A première vue, la direction artistique du titre est atypique pour un titre de SF : la boîte et le manuel utilisent en effet une large palette de tons pastel, pour un résultat aux faux airs de No man Skye. A vous de voir si vous accrochez ou non, personnellement je suis fan. Et puis surtout, ça change des sempiternels gris/métallisé/marron qui dominent trop souvent des productions du genre.



Une fois sur table, en revanche, le reste du matériel est plus conventionnel, la faute à un rendu général très abstrait privilégiant la lisibilité à l’esthétique. Les Meeples sont en plastique transparent, ce qui n’est pas forcément très écolo mais colle parfaitement à l’univers. Certains d’entre eux disposent d’une sorte d’exosquelette dans lequel on vient les clipser pour indiquer qu’ils sont montés en gamme. C’est à la fois lisible et original, même si ce n’est pas 100% parfait. En effet, la figurine à l’intérieur a tendance à s’échapper si vous prenez la combinaison du bout des doigts.


Dans un autre registre, il est nécessaire de prévoir une bonne demi-heure de dépuncheage avant de commencer sa première partie. Eh oui, le jeu est livré en kit et il va falloir monter tout ça... Les moins habiles peuvent néanmoins se rassurer : l’ensemble est facile à assembler, beaucoup plus qu’un Last Heroes du même éditeur par exemple, et suffisamment solide pour ne pas ressembler au meuble Ikéa qui trône honteusement dans un coin de l’appart’. Cerise sur le gâteau, tout cela se range sans problème dans la boîte, qui finit cependant pleine comme un œuf.


Le manuel, pour finir, est clair et bien structuré. Il n’est pas truffé de fautes d’orthographe, c’est peut-être un détail pour vous mais pour moi ça veut dire beaucoup. Blague à part, la mise en place de la première partie se fait très bien, même si vous n’avez pas passé deux heures à lire les règles avant.


Le seul bémol concerne peut-être les pouvoirs des différentes planètes. C’est un point essentiel car ces dernières sont dédiées au scoring de fin de partie. Chaque planète a un mode de fonctionnement bien particulier, qu’il faut comprendre si l’on veut avoir la moindre chance de gagner. Problème : l’iconographie de la chose est loin d’être immédiatement compréhensible. La lecture des règles est donc obligatoire, y compris au bout de plusieurs partie. Des aides de jeu auraient été appréciables, elles auraient évité de s’échanger le manuel en cours de jeu.



Il s’agit de défauts véniels car vous l’avez compris : sur la forme, Space Gate Odyssey délivre largement la marchandise.


Une mécanique simple… A première vue


Après ce petit tour sur le matériel, passons maintenant au gameplay. L’objectif d’une partie est simple : il va falloir construire sa station spatiale, y recruter des colons avant de les envoyer coloniser les 6 mondes placés au centre de la table de jeu.


A son tour, le joueur actif commence par choisir ce qu’il va faire au moyen du plateau Odyssey. Il prend un Meeple d’ingénieur sur la case de son choix, puis il le place sur la case de l’action à réaliser. Chaque figurine présente sur l’emplacement de destination rapportera une action à son propriétaire. Imaginons par exemple que le joueur jaune place un ingénieur sur une case contenant déjà 4 Meeples – 2 jaunes, 1 violet et 1 blanc. Jaune disposera de 3 actions, rose et blanc de 1 seulement. Le joueur noir, qui n’est pas présent sur la salle en question, se contentera de regarder ses petits camarades.



Il y a 5 salles différentes, et donc autant d’actions potentielles : la blanche permet, tout d’abord, d’agrandir sa base en y intégrant de nouvelles tuiles. On les pioche dans une espèce de distributeur comprenant 9 emplacements :



A première vue le concept semble un peu intimidant, mais en fait c’est tout simple. Les trois tuiles de la rangée inférieure sont des sas d’entrée ; ce sont là où les colons vont apparaître. Les trois tuiles du milieu vont servir à augmenter la capacité d’action du joueur, en lui permettant par exemple d’avoir plus d’ingénieurs sur le plateau central ou de les faire évoluer. La rangée du haut, enfin, contient les portails qui vont servir à envoyer les colons sur les différentes planètes. Ce qui est, rappelons-le, le principal moyen de marquer des points de victoire. A chaque fois, les tuiles sont disponibles en 3 couleurs : vert, bleu et rose.


Un ingénieur que l’on fait évoluer en chef abat deux fois plus de boulot, et donc donne droit à deux actions au lieu d’une. C’est là où l’on voit qu’on est dans un titre de SF : dans le monde réel, son rendement tomberait à zéro et il créerait tout plein de nouvelles procédures qui ralentiraient également le travail des autres. C’est beau le pouvoir de l’imagination !


Petite remarque additionnelle : les salles que l’on rajoute dans sa base ne sont pas immédiatement fonctionnelles. Avant de pouvoir bénéficier de leur effet, il va falloir envoyer un colon dedans : ce dernier va se sacrifier (paix à son âme) afin d’ouvrir le sas et de rendre le module utilisable.



Mais comment fait-on pour faire apparaitre des colons, me demanderez-vous ? C’est tout simple : il suffit d’activer la salle jaune. Chaque action permet de remplir complètement un sas d’entrée de son choix, pour peu qu’il ait été ouvert préalablement bien entendu.


Les salles rouges/vertes/bleues, pour finir, permettent de déplacer les colons situés dans les salles de la même couleur. Pour 1 action, on peut déplacer 1 colon de 1 case. Un colon peut finir son déplacement dans une salle de couleur différente, mais il n’a pas le droit de la traverser.


Chaque salle de portail comporte entre 2 et 5 emplacements. Lorsqu’ils sont tous occupés, et seulement à ce moment-là, la salle est activée et tous les valeureux explorateurs sont transportés illico presto sur la planète portant le même symbole de téléportation. Chaque planète dispose de sa propre manière de marquer des points (à la majorité, en entourant une structure, à chaque colon posé, etc.). Quand une planète est complétée, son symbole de portail est déplacé vers un nouvel astre vide et on continue comme ça jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’endroit à coloniser.



Sur les planètes, certains sites d’accueil de colons permettent également de jouer sur le scoring de fin de partie. En effet, des points bonus seront distribués à la majorité selon 4 conditions différentes (le plus de salles rouges/vertes/bleues, le plus de lot de 3 couleurs), chacune pouvant rapporter entre 0 et 7 points de victoire. Les emplacements en question permettent de modifier ce que rapporte telle ou telle condition de victoire, de manière à privilégier celles qui collent à sa stratégie et/ou faire perdre quelques points à un adversaire.


« easy to learn, hard to master »


Le jeu comporte quelques subtilités additionnelles dont nous n’avons pas parlé, mais vous avez les grandes lignes. En l’état, Space Gate Odyssey est donc un titre relativement accessible, si l’on excepte la petite remarque faite plus haut sur le fonctionnement des planètes.


En revanche, accessible ne veut pas dire simple. Bien au contraire, même… En pratique, le titre est un brainfuck d’anthologie, un exercice intellectuel exigeant qui retourne littéralement les méninges. Pour gagner, il vous sera tout d’abord nécessaire de soigner la construction de votre base. En général, on essaie de faire des zones de couleur homogène, encore qu’il est tout à fait possible de greffer une salle de portail sur une zone d’une autre couleur. Dans l’idéal, il faut au minimum 3 portails (un de chaque type), situés à proximité immédiate de sas de manière à ne pas perdre trop d’actions en déplacement.



Les salles dopant vos capacités d’actions sont vitales en début / milieu de partie, mais il faut s’efforcer de basculer le plus vite possible sur l’expédition de colons histoire de piquer les meilleurs emplacements sur les planètes. L’exercice est loin d’être simple, et en général le premier essai est un naufrage complet. Pour éviter la frustration, chaque joueur dispose d’un petit jeton fort pratique, utilisable une fois et qui permet de réorganiser sa base comme il l’entend. Cela permet d’expérimenter, sans se retrouver complètement à la ramasse suite à quelques associations malheureuses. Inutile de vous dire que ce jeton peut être gentiment rangé dans la boîte dès la deuxième partie, il dénature complètement l’équilibrage du jeu.


Mais pour gagner, il faudra surtout anticiper les coups de ses adversaires. N’oubliez pas : lorsque vous activez une salle, vous faites jouer tous ceux qui ont des Meeples à l’intérieur et pas seulement vous-même. Si un adversaire a beaucoup de salles roses, par exemple, vous pouvez vous attendre à ce qu’il joue beaucoup cette couleur. Ce sera une bonne occasion de « profiter de l’aspiration » et de déplacer vous-aussi quelques colons. Mais si vous voulez en profiter suffisamment, vous allez devoir mettre vous-même des ingénieurs dans la salle. Ce sera autant de déplacements que votre opposant n’aura pas besoin de faire, puisque c’est vous qui les lui offrirez en bonus !


Il est possible de mettre en place assez facilement un « moteur de point », par exemple en couplant une salle de portail à un téléporteur. SI un adversaire fait ça, il va se contenter d’alterner les salles de génération de Meeple et de déplacement. A vous d’utiliser ce schéma prévisible pour votre propre stratégie de développement. Plus généralement, il faut chercher à privilégier les actions inutiles pour vos adversaires, et il est parfaitement suicidaire de partir tout seul dans une direction différente.



En dépit de sa simplicité, Space Gate Odyssey demande donc de bien se retourner le cerveau. De ce fait, il s’adresse plutôt à un public familial+ voire ++, en tout cas à des joueurs privilégiant la réflexion sur l’interaction. C’est à la fois la force et la faiblesse du titre. Côté pile, le sentiment de montée en puissance est palpable tout au long de la partie. Plus on joue, plus on a d’actions à sa disposition et finalement plus on peut faire de chose. Mais côté face, l’inverse est vrai aussi : il est quasiment impossible de rattraper un mauvais démarrage, et croyez-moi 1h30 passée à se faire rouler dessus, c’est très long…


L’absence d’interaction directe donne également un côté un peu froid et austère au titre, renforcé par une direction artistique minimaliste voire abstraite. Vous allez passer votre temps à vous demander ce que va faire votre adversaire, avec finalement aucun moyen de le contraindre à aller dans une direction spécifique. A vous de voir si c’est ce genre de jeu que vous recherchez, mais au minimum tous ceux qui aiment faire leur petite vie dans leur coin sans se faire pourrir en permanence vont adorer.


Le titre est en tout cas une sérieuse porte d’entrée vers les jeux un peu plus experts, et mérite au minimum d’être essayé.


Le résumé pour les plus pressés


Public cible : Familial+ voire ++
Le jeu est relativement simple à apprendre, mais nettement plus complexe à maîtriser. Ce n’est pas un jeu familial, dans le sens où l’objectif n’est pas de passer un moment sympa avec les enfants en poussant du cube ou en jetant du dé. Ici, on est là pour phosphorer et se creuser les méninges. En résulte une ambiance très sage, peut-être un peu trop d’ailleurs, plutôt adaptée au public familial+/++ souhaitant s’aiguiser l’esprit sur une belle mécanique.


Nombre de joueur : 2 à 4
Le jeu ne comporte aucune variante, et se joue exactement de la même manière quel que soit le nombre de personnes autour de la table. Le titre tourne correctement à 2, même si pour le coup l’effet boule de neige met plus longtemps à se manifester. Comme souvent, c’est donc à 3 ou à 4 que le titre offre les meilleures sensations.


Durée de partie : 2h, voire facilement plus si vous avez un optimiseur fou autour de la table
Le titre se décompose en un grand nombre de tours, dans lesquels tout le monde peut éventuellement jouer. Si vous rajoutez à ça le fait que le nombre d’actions possibles augmente graduellement au fil de la partie, vous comprendrez qu'il suffit d'un joueur qui prend 10 plombes pour jouer pour que la durée de partie s'envole. Si tout le monde y met du sien, la durée de l'ensemble reste contenue et tourne autour des 2 heures.


Interaction : faible en tant que telle, mais essentielle au jeu
Space Gate Odyssey n’est pas un jeu où l’on se pourrit, chacun fait sa petite vie dans son coin. Sauf rares exceptions, on ne prend pas une salle parce qu’elle arrange un adversaire. Cependant, la clé de la victoire consiste à anticiper le jeu des petits camarades et à « prendre l’aspiration » en profitant de leurs actions.


Rejouabilité : excellente
Sur le fond, la stratégie de développement est globalement toujours un peu près la même (d’abord augmenter sa capacité d’action, puis coupler la génération de colonsaux portails de téléportation). Ce qui va nous forcer à nous adapter, finalement, c’est la nécessité de caler son jeu sur celui de ses adversaires. Changez simplement l’ordre des joueurs et la partie sera complètement différente. La rejouabilité, de fait, est excellente.


Courbe de progression : bonne
On s’amuse dès sa première partie avec le jeton « chamboul’tout » qui permet de réagencer sa base en cours de route – en général au moment où on se rend compte qu’on a fait n’importe quoi. Ca peut donner l'impression que c'est tout simple, mais c'est une impression qui se dissipe très rapidement dès la deuxième partie. Comptez encore 2 ou 3 parties pour être parfaitement à l'aise avec le système de création de base, ce qui nous fait déjà une belle courbe de progression.

La conclusion de à propos du Jeu de société : Space Gate Odyssey [2019]

Auteur Gaetan G.
85

Pour son grand retour derrière les manettes, Cédric Lefebvre signe un titre solide et bourré de qualités. Au-delà d’un background et d’une direction artistique remarquables, Space Gate Odyssey s’appuie avant tout sur système de jeu plutôt simple à apprendre mais qui offre tout de même un sacré niveau de stratégie. Le résultat fera la joie de tous ceux qui aiment les titres posés, où on se creuse les méninges pour optimiser son petit pré carré sans se pourrir entre joueurs. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y aura pas d’interactions autour de la table : à Space Gate Odyssey, la victoire va souvent à celui qui saura le mieux prévoir les actions de ses adversaires… Le titre est en tout cas une belle porte d’entrée vers les mécaniques experts, et mérite au minimum d’être essayé.

On a aimé

  • Direction artistique de la boîte et du manuel magnifique...
  • Facile à apprendre, plus difficile à maîtriser
  • Excellente rejouabilité
  • Quasiment pas de hasard
  • Le thème et le background sont parfaitement integrés aux mécaniques
  • Idéal pour les joueurs occasionnels qui souhaitent monter en gamme et en complexité

On a moins bien aimé

  • ...Dommage que le reste du matériel soit très épuré, limite abstrait
  • Intéraction limitée entre les joueurs. Ca plaira à certains, moins à d'autres, mais dans tous les cas l'ambiance est un peu trop sage autour de la table
  • Très difficile de rattraper un mauvais début de partie
  • Une aide de jeu aurait été bienvenue sur le fonctionnement des planètes

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