Critique Dungeon Lords [2010]

Avis critique rédigé par Benoît F. le dimanche 3 octobre 2010 à 15h14

Born to be bad !

Vlaada Chvatil, auteur particulièrement prolifique d’origine tchèque, présenta Dungeon Lords lors du salon d’Essen 2009. Le buzz fut immédiat et l’éditeur français Iello ne tarda pas à en proposer une version francophone dès le début de l’année 2010.
Contrairement aux productions ludiques reposant sur le système de dungeon crawling (exploration de donjons par de valeureux aventuriers dans un univers méd-fan), Dungeon Lords s’emploie à prendre à contre-pied ce style de jeu en permettant aux participants d’endosser le rôle ingrat, mais ô combien jouissif, de seigneur du donjon. Certains se souviennent peut être du jeu vidéo Dungeon Keeper ? Et bien Dungeon Lords s’en inspire grandement autant dans son cadre de jeu que par son traitement humoristique du métier de Grand Méchant. Cet univers joyeusement loufoque rappelle également la célèbre bande dessinée Donjon de Joann Sfar et Lewis Trondheim.

 

 

UN JEU DE PLATEAUX

Ce qui marque à l’ouverture de la boîte, c’est la profusion de plateaux et jetons en tout genre. Le matériel est pléthorique et la lisibilité du jeu tend à en pâtir. En effet, les plateaux de jeu sont particulièrement nombreux allant du plateau individuel permettant aux joueurs de gérer leur donjon, au plateau central, lieu de lutte acharnée entre sombres seigneurs, en passant par un plateau des Pays Lointains relativement superflu et un plateau de progression évoquant le déroulement des saisons au recto et la séquence de combat au verso. Personne ne se plaindra de ce trop-plein de matériel fidèle aux productions ludiques de Vlaada Chvatil (Galaxy Trucker), mais une fois le jeu installé et la partie lancée, les participants constateront que le plateau central se retrouve noyé sous un déluge de jetons rendant difficile l’apprentissage du jeu lors de la première partie. Ce défaut plutôt ponctuel n’entame aucunement la qualité matérielle des éléments de jeu. Dungeon Lords est doté d’un esthétisme original et parfaitement dans le thème développé. Malgré ses soucis de lisibilité, le plateau central est un régal graphique pour les yeux avisés et raconte à lui seul la petite histoire des gens de ce monde souterrain grâce à de petites scénettes particulièrement colorées. De même, les tuiles Monstre sont véritablement savoureuses et évoquent toute la personnalité que peut développer une créature salariée à plein temps au tréfonds de ces chaleureuses bâtisses que sont les donjons. Mise à part cette abondance de plateaux et de jetons en carton, le reste du matériel est affaire de pièces en bois aux formes diverses et variées. Ces pions représentent vos larbins, fidèles parmi les fidèles, de la nourriture (car il faut bien entretenir tout ce petit monde) et des pièces d’or permettant d’investir dans des infrastructures plus redoutables les unes que les autres.

Par ailleurs, la lecture des règles se veut très agréable grâce au ton employé. L’humour « donjonesque » est omniprésent. Néanmoins, l’agencement du livret de règles confère une impression de densité tant les informations sont nombreuses. L’idée de proposer des donjons d’entraînement est plutôt bien vue tout comme le chapitre consacré au déroulement d’une manche de combat. Malgré tout, le lecteur se retrouve avec deux chapitres évoquant cet aspect du jeu, en début et toute fin d’ouvrage. La première lecture s’avèrera donc agréable, grâce à une prose très bien sentie et totalement dévouée au thème, malgré une organisation du livret de règles rendant l’ensemble passablement touffu.

 

DUNGEON MANAGER SAISON 2009-2010

Une partie se déroule en deux années durant lesquelles les joueurs, de deux à quatre, vont devoir se préparer à l’assaut de vils aventuriers sans vergogne contre leur splendide domaine à la déco tendance. Chaque année se compose d’une phase de construction et d’une phase de combat.

La construction s’échelonne sur quatre saisons composées chacune de plusieurs phases autorisant les actions suivantes : forage de tunnels et amélioration de votre donjon ; recrutement de monstres en tout genre prêts à en découdre ; achat de pièges ; propagande auprès de la population locale ; capture de diablotins servant de main d’œuvre qualifiée ; extraction d’or ; production de nourriture. Toutes ces actions sont réalisées grâce à un mécanisme de programmation d’ordres puis par le placement de l’un de vos larbins sur la case désignée par la carte Ordre choisie précédemment. Les places étant limitées à trois emplacements par action, certains larbins se retrouveront parfois sans mission synonyme de retour au pôle emploi de votre donjon. Au cours de cette phase de construction, les aventuriers seront attribués en fonction de l’avancée de chaque joueur sur l’échelle de méchanceté : plus on est méchant, plus on attire les fiers à bras du coin. A la fin de la quatrième saison, préparez-vous à accueillir ces chers défenseurs de la bonne morale.

Le combat s’articule en quatre manches. Les aventuriers tenteront de conquérir vos salles et tunnels construits par vos diablotins à la sueur de leur petit front et par amour inconditionnel envers leur altesse sérénissime du mal incarné, c'est-à-dire vous. Monstres et pièges s’emploieront à éliminer en toute hâte ces héros honteusement empreints de velléités de conquête.

Une fois la première année écoulée, les joueurs enchaînent sur la seconde. Ils seront confrontés à des aventuriers plus puissants mais aidés par des pièges beaucoup plus perfides et des monstres légendaires, genre Papa Dragon.

Dès que la phase de combat de la seconde année sera achevée, le décompte final se met en place. Les points marqués sont tributaires de nombreux paramètres : aventuriers capturés, tuiles conquises par ces derniers, nombre de monstres encore valides, place sur l’échelle de méchanceté, etc. Le joueur accumulant le plus de points remporte la partie et ses malheureux collègues n’ayant pas dépassé la barre fatidique du zéro devront repasser leur licence de Maître du Donjon.

 


DES AVENTURIERS DURAILLES !


Autant le dire tout de suite, Dungeon Lords n’est pas un jeu à la portée de tous. Pour commencer, la lecture des règles demandera d’être expérimenté dans le domaine. Non pas que le jeu soit réellement compliqué dans son déroulement, mais le nombre important de paramètres à prendre en compte demandera une concentration de tous les instants lors des premières parties et ne facilitera pas l’explication des règles. Pour des joueurs accoutumés du fait, la première année permettra d’appréhender l’ensemble du système tandis que la seconde se déroulera avec beaucoup plus d’aisance.

Dans le même ordre d’idées, Dungeon Lords est un jeu qui confronte systématiquement ses participants à des choix cornéliens. Le droit à l’erreur n’est pas toléré et toute action rendue caduque, suite à un placement peu inspiré de l’un de vos larbins, sera synonyme de sanction lorsque les aventuriers pointeront le bout de leurs épées. Cependant, cet aspect sans concession procure une agréable tension tout en motivant la faculté d’adaptation de chacun. Le plaisir de jeu se situe à ce niveau : gérer par anticipation tout en gardant un œil sur les actions des autres joueurs. Le jeu est impitoyable et vos charmants collègues se chargeront, bon an mal an, de vous mettre des hallebardes dans les joues. L’anticipation se situera donc à plusieurs niveaux, de la surveillance du jeu de vos adversaires lors de la phase d’ordre en passant par les évènements à venir sans oublier les aventuriers qui risquent de débarquer dans votre « trois pièces cuisine ». Comme vous l’aurez compris, le jeu ne vous fera pas de cadeaux mais vous fournira toutes les clefs nécessaires afin d’assurer, au mieux, la bonne gestion de votre entreprise. En effet, l’une des grandes originalités du jeu est sans nul doute l’échelle de méchanceté qui, en dehors de son rendu thématique fort plaisant, concentre en elle les données nécessaires à la construction d’une stratégie efficace. Dans Dungeon Lords, la quasi-totalité des informations sont connues bien avant leur accomplissement et seules les actions de jeu de vos adversaires laisseront planer un doute qui s’atténuera avec l’expérience des parties. Le jeu de Vlaada Chvatil regorge d’originalité tout en reposant sur des mécanismes de jeu déjà connus. Le système de worker placement n’est pas une découverte pour les joueurs aguerris mais son application et sa fusion parmi les autres mécanismes de jeu rendent l’ensemble parfaitement cohérent sans dichotomie apparente. Après quelques parties, les joueurs auront l’impression que le jeu « déroule » sans problème, chaque étape s’imbriquant dans un ensemble très homogène.

L’un des autres points forts du jeu réside dans son thème et plus précisément dans le traitement de celui-ci. Nombre de jeux d’Heroic Fantasy vous permette d’incarner des héros bardés d’armes en tout genre affrontant vaillamment de grands méchants vraiment pas beaux. Avec Dungeon Lords, les joueurs se situent de l’autre côté de la barrière. Ce rôle ingrat de Maître du Mal procure une envie irrésistible d’endosser le sacerdoce. Certes, certains jeux ont déjà utilisé ce point de vue tel que Oui, Seigneur des Ténèbres mais jamais dans le cadre d’un jeu de gestion. Avec Dungeon Lords et Le donjon de Naheulbeuk, les auteurs et éditeurs surfent sur la vague du traitement à contre-pied et de l’approche humoristique d’un thème cher à tous les amateurs d’Heroic Fantasy et de jeu de rôle. Malgré la catégorie ludique dans laquelle se situe Dungeon Lords (gestion), l’ambiance n’en est pas pour autant introspective et la phase de combat vous garantira, tour à tour, la place de spectateur friand de la progression dévastatrice des aventuriers au sein des donjons de vos adversaires pour finir par endosser le rôle de celui qui subit le courroux de ces guerriers si bien habillés.

Concernant la durée des parties, celle-ci variera en fonction de l’expérience des joueurs. Il faudra compter 30 à 45 minutes par joueur une fois les mécanismes correctement assimilés. Les parties à deux et trois joueurs utilisent le principe de joueur fictif. Sans grand impact sur le jeu à trois, l’affrontement à un contre un en ressort beaucoup plus tactique par rapport aux autres configurations. La gestion du joueur fictif à deux permettra d’instaurer volontairement des situations de blocage lors de la phase de placement des larbins. Cependant, et comme le signal le livret de règles, il est conseillé de s’orienter vers une configuration à quatre joueurs en guise de partie d’initiation. En clair, vous aurez bien assez de paramètres à gérer avant de vous lancer dans la gestion d’un joueur fictif.

Enfin, signalons l’existence d’une extension proposée par l’auteur et disponible gratuitement sur le site de l’éditeur. Ces nouvelles règles utilisent du matériel fourni dans la boîte de base donc nul besoin d’investir vos deniers dans l’achat d’extensions souvent onéreuses. La colonne vertébrale de cette règle repose sur l’utilisation d’objets magiques (5 jetons différents par joueurs) que vous offrirez généreusement aux aventuriers prêts à pénétrer dans les donjons adverses. Tout cela amène une plus grande interaction dans vos parties tout en rendant le jeu un poil plus complexe. Cette extension est donc réservée à un public ayant déjà quelques parties au compteur. Cette initiative est véritablement louable de la part de l’éditeur.

La conclusion de à propos du Jeu de société : Dungeon Lords [2010]

Auteur Benoît F.
87

Depuis ces deux dernières années, Vlaada Chvatil compte parmi les auteurs proposant de véritables originalités en termes de système de jeu. Il émerge de ses œuvres le sentiment que le créateur tchèque est un véritable touche-à-tout ludique. Ses sources d’inspiration sont nombreuses mais l’originalité est toujours au rendez-vous : Galaxy Trucker, Space Alert, Dungeon Lords, Through the Ages, que de jeux si différents pour un seul homme ! Dungeon Lords ne déroge pas à la règle et son thème, particulièrement bien retranscrit, n’est pas là pour faire de la figuration. Par ailleurs, son aspect réservé à un public averti est totalement assumé et la soi-disant lourdeur de son déroulement disparaît au fur et à mesure des parties. Le manque de lisibilité des informations dû à un matériel abondant et un plateau central beau mais graphiquement surchargé, demeure l’un des points négatifs du jeu le rangeant définitivement dans la catégorie des créations ludiques pour joueurs avertis et aguerris.

On a aimé

  • Un thème original et présent
  • De belles illustrations
  • Des choix cornéliens reposant sur vos facultés d’anticipation
  • Une richesse qui se découvre au fil des parties
  • Une véritable extension gratuite

On a moins bien aimé

  • Le manque de lisibilité du plateau central
  • L’agencement des règles rendant difficile l’assimilation des nombreux paramètres

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