PIFFF 2012 : jour 5
Crave ou crève
Deux films en ce mardi soir : le premier, Crave (en compétition), nous a convaincu tous les deux, ce qui n'est pas vraiment le cas du second, The Seasoning House (hors compétition).
Réalisateur chevronné de making-of (en particulier pour Ridley Scott, on lui doit notamment le superbe making-of de Blade Runner), Charles de Lauzirika réalise son premier long métrage avec Crave, sur un sujet personnel qui lui tenait à coeur depuis longtemps. Photographe de scènes de crimes, Aiden (Josh Lawson) est progressivement rongé par la violence qui l’entoure et voudrait faire justice lui-même. Malgré sa rencontre avec sa voisine de palier (Emma Lung) et les conseils de son ami policier (Ron Perlman), il se laisse emporter par ses fantasmes et ses pulsions...
Crave (qu'on pourrait traduire par "éprouver une forte envie" ou "désirer") pourrait passer pour un vigilante au vu de son sujet, mais il est en fait plus proche de Taxi Driver. Ce n'est en effet pas un film sur l'autodéfense, mais un film sur le fantasme de l'autodéfense, du justicier ordinaire. Le fantasme d'éclater des délinquants agressant une belle femme (qui, en guise de remerciement, te taille une petite pipe), le fantasme de prendre les armes pour nettoyer la ville en toute impunité, le fantasme d'avoir des secrets importants, de jouer le maitre-chanteur, d'avoir une confiance en soi absolue, le fantasme rom-com du plan cul virant à l'histoire d'amour avec la jolie voisine de palier, le fantasme du fric (d'ou Bill Gates), etc. Le fait de coucher avec une belle nana ou de trouver une arme (la fascination qu'éprouve le héros pour le 38 et l'attraction que l'arme a sur lui peut rappeler le personnage de Ron Silver dans Blue Steel) donne au protagoniste un sentiment de puissance qu'il n'avait pas, ce qui ne fait que nourrir encore plus ses fantasmes, peut-être au point d'enfin passer à l'action. Évidemment, lorsqu'il passe à l'action ça ne se passe pas aussi bien qu'espéré, d'où quelques poussées d'adrénaline efficaces. L'empathie avec le personnage fonctionne, parce qu'on a tous, peut-être à un degré moindre, déjà eu ce genre de pensées (s'imaginer céder à ses pulsions ou avoir la classe cinématographique...), que le réalisateur illustre par des scènes fantasmatiques drôles, jubilatoires et excessives jusqu'au gore (le braqueur criblé de balles, le meurtre à la tronçonneuse, le coup de massue...), presque comme dans une bande-dessinée.
Si le personnage principal de Crave se sent mieux dans ses fantasmes, c'est aussi parce qu'il vit à la base dans la frustration et l'impuissance, puisqu'il aurait voulu être flic comme son ami Ron Perlman mais n'est que photographe de scènes de crime (expérience qu'il mettra à profil pour de mauvaises raisons). Mais à force de se projeter dans une vie plus badass et plus « cool », il perd pied avec la réalité, sentiment superbement retranscrit ici via un traitement esthétique à la fois réaliste et très stylisé. Le visuel de Crave, en Cinémascope et Red One, évoque le style publicitaire et vidéoclip des années 80 (celui, par exemple, de Ridley Scott, de Tony Scott, d'Alan Parker ou d'Adrian Lyne, qui utilisaient ce style clipé au cinéma au service d'une psychologie), une évidence dés l'apparition (très SF) du titre jusqu'au superbe générique de fin. On ne s'étonnera d'ailleurs pas de voir dans les remerciements les noms de Ridley Scott, Michael Bay ou Joseph Kahn, qui étaient de prestigieux réalisateurs de spots publicitaires et de vidéoclips avant de devenir cinéastes, trois générations de styles chacun hérités du précédent (Scott inspire Bay qui inspire Kahn). Crave bénéficie par ailleurs de l'expérience du prod designer de Blade Runner, le plan final sur l'oeil sonnant comme un clin d'oeil au chef d'oeuvre de Ridley Scott. La musique (d'un compositeur ayant travaillé sur les films de Ridley Scott, Tony Scott et Michael Bay), superbe et envoutante, résonne elle aussi années 80 (Vangelis ou Tangerine Dream), rappelant aussi le score de Moon. Il y a beaucoup d'humour (la séquence de la pièce de théâtre, les visions fantasmées, les gaffes du héros, le triste sort du pauvre Edward Furlong...), peut-être même un peu trop, mais ça n'entache en rien la puissance qui se dégage de ce film brillant, fièvreux, drôle et émouvant.
Jonathan C.
Le deuxième film de ce mardi fut The Seasoning House. Réalisé par Paul Hyett, nous découvrons une jeune sourde muette qui se trouve être séquestrée dans un bordel servant de repaire à des criminels de guerre. Au plus profond des ténèbres et du désespoir, elle commencera à reprendre vie et à penser à son évasion en s'attachant à une autre fille cloîtrée dans le même lieu.
Même s'il s'agit d'une première réalisation, Paul Hyett est très loin d'être un novice et oscille dans le métier depuis quelque temps déjà comme spécialiste des effets spéciaux de maquillage. Parmi ses prestations on notera Doomsday, Heartless, The Descent ou dernièrement La Dame en noir et l'excellent Citadel (projeté aussi durant le PIFFF). Au vu de ses multiples collaborations avec Neil Marshall, on ne s’étonnera donc quasiment pas de voir une forte influence dans sa mise en scène (du moins en terme d'ambiance) et même un petit cameo du réalisateur de The Descent. On retrouve justement au casting Sean Pertwee alias le Dr. Talbot dans Doomsday ou encore Sgt. Harry G. Wells dans Dog Soldiers. Si d'ailleurs on retrouve sa gueule avec grand plaisir, on regrettera le peu de nuance de son personnage, qui a tout de l'ordure (comme tous les hommes qui apparaissent dans le film). À côté de ça, Rosie Day (Family Affairs, Trust...) campe un personnage plutôt bien écrit, à la fois victime et témoin figé au début puis révélant peu à peu un véritable instinct de survie. Le film est très glauque, assez effrayant, voire dérangeant dans sa perception de l'homme, mais n'échappe pas hélas aux multiples clichés, aux invraisemblances (que de hasards et de coups de bol) et au schéma prévisible (lorsqu'on a déjà vu des films comme Eden Lake ou The Descent, il sera facile de cerner vers où l'histoire nous ballade). La musique de Paul E. Francis est d'ailleurs elle aussi dans le commun et à bien du mal à se distinguer, tout en étant très envahissante (on voudrait parfois baisser le son) au point d'annihiler une émotion qui ne demandait qu'un peu plus de subtilité pour éclore. A la fois racoleur et banal, The Seasoning House ne restera pas dans les mémoires malgré ses pseudo-scènes choc (dont celle, ultra-violente, avec un monstrueux soldat).
Richard B.
La séance était suivie d'un questions-réponses entre le réalisateur Paul Hyett et le public :
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