Critique Incarnations [2009]

"Nue, intégralement. Des chaussures à hauts talons. C'est tout.
Elle marche.
Elle vient à nous.
Et chaque pas est un défi fondamental, une stricte question de vie ou de mort...."

C'est dans cette ancienne charcuterie industrielle que l'expérience a lieu. Où les porcs entraient entiers, c'est là qu'ils ressortaient sous forme de jambons prêts à être consommés. Ils sont cinq - Quentin, Fabrice, Linda, Apolline et Tristan - à s'être portés volontaires pour cette unique occasion. Ils vont s'enfermer pendant cinq jours durant dans l'antre d'Antonin Fabrio, l'ancien réalisateur de films de série B, ancien artiste incompris de ses pairs, trois fois marié, trois veuf de jeunes femmes - dont l'une est l'actrice Hélène, morte à vingt sept ans à peine dans les années trente - pour participer à ce jeu, s'il en est un, et devenir une incarnation, une bioincarnation des tranches de la vie de Fabrio. Les règles ne sont connues que de lui seul. Mais ces cinq jeunes gens, s'ils n'ont pas idée de l'aventure dans laquelle ils s'embarquent, ne sont pas tous innocents; ils sont parfois méchamment en marge de la normalité et c'est pour cela qu'ils ont été choisis. Comment vont-ils régir au scénario macabre de ce cerveau dérangé ?...

Xavier Bruce est critique littéraire et ce n'est qu'aujourd'hui qu'il a choisi de franchir la barrière de l'écriture avec ce premier roman édité aux éditions le Belial'.

Qu'il est agréablement surprenant de chaque année faire la découverte d'un auteur français. Prometteur, j'entends. On se souvient entre autres l'année dernière de la bonne surprise de Norbert Merjagnan et ses Les tours de Samarante. Attention, ça va finir par se savoir qu'on a aussi des talents en France. Il semblerait qu'on ait une nouvelle trouvaille en la qualité de Xavier Bruce qui nous concocte un livre atypique. Il semblerait également que le genre du psycho-thriller ait le vent en poupe, avec la publication de ce roman et du prochain Piccirilli (La Rédemption du Marchand de sable). Le lecteur sain d'esprit, après avoir refermé la dernière page, pourrait croire cet auteur fou ou malade tant l'histoire qu'il lui livre le plonge dans un huis clôt assez dingue. Mais nuançons car, en fait, cet écrivain est un metteur en scène de la folie. Un peu à la manière du Jigsaw de James Wan, Antonin Fabrio établit son scénario en fonction de ses personnages et cartographie l'action dans un lieu clôt et isolé du monde pour que chacun fasse face à ses responsabilités sans aide extérieure.
La différence ici est que les acteurs de la pièce macabre sont tous volontaires. Et ils ont, disons le sans détour, une araignée au plafond. Ce sont des marginaux, des laissés pour compte ou des asociaux. La partie n'en sera que meilleure car elle reposera essentiellement sur la psychologie des joueurs.

L'idée de base est assez brillante et le roman aurait pu figurer parmi les grands romans de ces dernières années s'il ne subsistait quelques défauts (disons de jeunesse) sur la forme et la construction. Il subsiste également quelques passages qui manquent de pêche à des moments clés. Mais globalement, et pour un premier roman, Incarnations est une oeuvre de grande qualité et comporte quelques passages particulièrement croustillants (pour les amateurs de sévices).
On n'attend plus de ce nouvel auteur que de confirmer par la suite.