L'Étrange Festival de la semaine

Ghost Theatre, The Dark Below et Tangerine

Beaucoup de films projetés cette semaine à l'Etrange Festival, pour une programmation toujours aussi riche et variée. Nous nous attarderons ici sur le nouveau film de Hideo Nakata (ci-dessous), sur l'expérimental The Dark Below et sur l'attachant Tangerine.

"Ghost Theatre" réalisé par Hideo Nakata avec Haruka Shimazaki, Keita Machida, Rika Adachi, Riho Takada - Japon

L’avant-première mondiale du nouveau film de Hideo Nakata était l’un des évènements de cette édition de l’Etrange Festival, d’autant plus que le réalisateur et son actrice principale Haruka Shimazaki ont fait le déplacement pour l’occasion, pour présenter le film mais aussi pour un Q&A avec les spectateurs après la projection.

Malgré les plutôt intéressants et surprenants Chatroom et TV Show, Hideo Nakata peine à retrouver l’inspiration de son doublé culte Ring + Dark Water (tous les deux remakés par Hollywood), en témoignent des films passables comme Ring 2, Le Cercle 2 (suite du remake US de son propre film et réalisée par lui-même !), l’ennuyeux The Complex ou ce Ghost Theatre, qui est d’ailleurs (là encore) le remake d’un de ses propres films, Ghost Actress, sans oublier ses Monsterz et Kaidan, qui sont également des remakes (ça commence à faire beaucoup de remakes, tout ça).

Jusqu’ici réduite aux rôles ingrats de victimes, une jeune actrice décroche un rôle dans une importante pièce de théâtre dans laquelle les acteurs doivent jouer face à une poupée grandeur nature. Alors que les préparations ont commencé, d’étranges incidents se produisent sur le tournage, jusqu’à provoquer des morts tragiques. Notre héroïne, alors promue au premier rôle après le mystérieux décès de l’actrice principale, se rend compte que la poupée semble vivante…

A l’instar de films comme le Over Your Dead Body de Takashi Miike ou le foud-footage américain Gallows, il est question ici d’une pièce de théâtre maudite et donc d’un théâtre hanté, lieu toujours très (paradoxalement) cinématographique et propice aux drames les plus diverses. On constate rapidement qu’en dépit de son histoire finalement très traditionnelle, Ghost Theatre est, tant dans le fond (la pièce dans le film est d’ailleurs une réinterprération du mythe d’Elizabeth Bathory) que dans la forme (le style, les éclairages saturés, le décorum…), étonnement très occidental et très européen, rappelant même à plusieurs reprises les films de Mario Bava et de Dario Argento (notamment avec la lumière rouge sur la scène et dans les coulisses). De plus, l’ennemi n’est cette fois pas un fantôme (pas de jeune fille rampante aux cheveux longs et gras ici) mais une poupée à taille humaine et au visage de porcelaine sur lequel semble vivre des yeux humains. C’est donc formellement soigné, ça a du style et l’histoire baigne dans une atmosphère old school non dénuée de charme.

Mais il arrive à Ghost Theatre ce qu’il peut arriver de pire à un film d’épouvante : ça ne fait pas peur. Les vieilles ficelles de mise en scène de Nakata ne fonctionnent plus, tout est très prévisible et la poupée possédée peine à effrayer une fois qu’elle se met à bouger (alors que la tête figée est assez inquiétante, sa première apparition provoquant même un petit frisson), encore plus quand elle se déplace en CGI ou quand Nakata adopte son point de vue subjectif (ce qui fait plus ringard qu'autre chose). Au lieu de flipper, on se met petit à petit à sourire, car le film vire dans le ridicule lors d’une dernière partie grand-guignolesque, notamment lorsque sonne l’heure des explications très feuilletonesques. On est loin de la terrifiante sobriété d’un Ring et d’un Dark Water, et le compositeur Kenji Kawai n’est pas plus inspiré ni plus subtile que le réalisateur. On peut se demander aussi pourquoi, au montage, Nakata fait durer certains plans, donnant l’impression que les personnages mettent des plombes à réagir. Resserré à 1h30 au lieu de 1h50, Ghost Theatre aurait été bien plus nerveux et moins mou.

En dépit du joli minois de son actrice principale Haruka Shimazaki (chanteuse pop dont c’est le premier grand rôle au cinéma), ce n’est pas toujours bien joué (cf. les réactions de stupeur, très surjouées), et les personnages en restent au stade des stéréotypes (le metteur en scène bobo qui veut se taper ses actrices, la starlette insupportable…).  Si Ghost Theatre intrigue au début et révèle ci et là quelques bonnes idées (le visage à vif sous celui de la poupée), il perd progressivement l’attention du spectateur jusqu’à son dénouement grotesque. Dommage pour un cinéaste aussi talentueux que Hideo Nakata, auquel on peut désormais préférer un Kiyoshi Kurosawa, qui, lui, a su se renouveler et faire évoluer son cinéma.

Note de Jonathan C. : 5/10

 

"The Dark Below" réalisé par Douglas Schulze avec Lauren Mae Shafer, David G.B. Brown et Veronica Cartwright - USA

L'avis de Richard B. : Après Mimesis - La nuit des morts vivants qui est sorti en France directement en DVD en septembre 2014, l’Etrange Festival donne l’opportunité à des spectateurs curieux de découvrir sur grand écran des films moins grand public, comme cette nouvelle réalisation « frigorifiante » de Douglas Schulze.

Droguée puis kidnappée par un homme à l’apparence impitoyable, Rachel (Lauren Mae Shafer) est trainée durant la nuit jusqu’au centre d’un lac gelé. Après avoir percé la glace et enfilé un équipement de plongée à sa victime, le ravisseur jette cette dernière dans les eaux du lac. Rachel est donc désormais prisonnière des profondeurs glaciales et  va devoir se démener pour survivre.

Avec The Dark Below, Douglas Schulze signe un film qui pourrait être aisément comparé à  Buried – rappelez-vous, il s’agissait de Ryan Reynolds coincé durant tout un film dans un cercueil - excepté qu’ici le réalisateur pousse encore plus loin l’exercice en rendant son film quasiment muet (il y a en tout et pour tout qu’une ligne de dialogue). Ainsi, nous avons là un film d’une durée de 75 minutes avec pour histoire une femme prisonnière des glaces quasiment sans paroles (au moins pas de problèmes de sous-titres ou de traduction pour l’exportation internationale). Sauf que bien entendu, il y a des artifices de mise en scène. Tout d’abord il y a du bruit, ensuite de la musique (bien trop omniprésente d’ailleurs), et enfin des insertions de souvenirs de l'héroïne.

Globalement – surtout en ce qui me concerne – on peut saluer l’exercice pour le fait que le côté anxiogène et claustrophobe apporte un certain rythme qui fait que, à condition d'adhèrer à minima, on ne s’ennuie pas. De plus, il est toujours impressionnant de voir des acteurs parvenir à se faire comprendre sans prononcer un seul mot ; cela dû à un certain talent et à une habilitée de mise en scène.

Pourtant des choix de ce même réalisateur ne passent pas, mais pas du tout,  et l’impression est aussi d’avoir vu un court-métrage allongé à la durée d’un long-métrage grâce à l’utilisation des ralentis et – à force de diminuer continuellement la vitesse de l’image – ça risque  d’énerver  fortement le spectateur ! De plus, impossible de passer sous silence les gros problèmes de cohérences dans le déroulée de l’histoire et les motivations du psychopathe. La gestion du personnage de la mère - interprété par Veronica Cartwright (Alien) -  est à ce titre particulièrement représentatif d’un personnage placé sans trop savoir quoi en faire.

Bref, soit vous ferez comme moi, et vous resterez un minimum intrigué par l’exercice et trouverez ainsi cette première vision regardable et « acceptable », tout en ayant pas forcément envie de le revoir par la suite, soit The Dark Below sera assez douloureux à visionner et vous aurez à la fin l’impression d’avoir perdu votre temps.

5/10

L'avis de Jonathan C. : Le concept de The Dark Below est de bloquer pendant 75 minutes son héroïne sous la glace d’un lac gelé, sous l’œil attentif d’un psychopathe qui n’en est pas à sa première victime via cette méthode originale mais qui a tout de même la gentillesse d’enfiler à ses proies une combinaison de plongée avec bouteille d’oxygène avant de les balancer à la flotte et de les coincer sous la glace.

Dans l’idée, ça donne envie. Dans l’exécution, c’est autre chose. La moitié du film s’attarde sur des flashbacks révélant qui elle est, qui il est et pourquoi il lui fait ça, et l’autre moitié est au ralenti, autant dire que ça s’étire à n’en plus finir et qu’on s’ennuie au bout de 5 minutes (déjà au ralenti). Le film semble ainsi durer bien plus de 75 minutes. Réduit en vitesse normale, The Dark Below aurait été un excellent court-métrage, car le format court suffisait amplement. Le calvaire de l’héroïne se résume finalement à pas grand-chose, puisque la plupart du temps les flashbacks prennent le pas sur l’action, ou plutôt l’inaction (il se passe rien).

Si le réalisateur Douglas Schulze, habitué du DTV fantastique (Mimesis - La nuit des morts vivants avec Sid Haig, The Rain avec David Carradine, Dark Heaven, et Hellmaster avec John Saxon) parvient, en dépit de nombreuses invraisemblances (à bien y réfléchir, c’est même franchement stupide), à raconter une histoire avec des images (assez soignées) et sans une seule ligne de dialogue (on entendra qu’une seule réplique), renvoyant ainsi au cinéma muet, il le fait avec une balourdise qui gâche tout le potentiel de son idée. La musique omniprésente et assourdissante n’aide pas à se plonger (c’est le cas de le dire) dans le trip, et les acteurs doivent surjouer pour s’exprimer sans un mot. Et à quoi bon avoir la culte Veronica Cartwright (Lambert dans Alien) au casting si c’est pour en faire un usage aussi fugace.

Malgré le traitement sensoriel, le réalisateur, qui s’inspire pourtant d’une expérience personnelle, peine ainsi à retranscrire l’angoisse, l’anxiété ou le stress (on est loin d’un Buried), préférant prendre la pose avec son exercice de style expérimental. On se contentera, entre deux bâillements, d’admirer le joli cadre naturel (un lac dans le Michigan). Une expérience éprouvante, mais pas dans le bon sens…

4/10

 

"Tangerine" réalisé par Sean Baker avec Kitana Kiki Rodriguez, Mya Taylor - USA

Suivant les pérégrinations de prostituées transsexuelles à Los Angeles, Tangerine est une des belles surprises de l’Etrange Festival 2015. Entièrement filmé avec un téléphone portable, Tangerine révèle une face cachée des quartiers de la Cité des Anges et d’Hollywood, des rues uniquement peuplées de prostitué(e)s, de maquereaux nerveux, de dealers et de clients errants en quête d’une petite gâterie en parallèle à leur vie de famille. En dépit de son sujet, Tangerine est bien une comédie, qui plus est assez drôle, grâce à des répliques qui font mal, des personnages aussi allumés qu’attachants, des seconds rôles savoureux, des situations absurdes (rien que la séquence dans le fast-food vaut le détour) et la peinture à la fois réaliste et décalée de ce milieu. L’émotion pointe même le bout de son nez vers la (très belle) fin.

Totalement fauché sans en avoir l'air, Tangerine profite cependant de la superbe luminosité de Los Angeles (le chef opérateur n’étant rien de moins que le soleil) et de la liberté totale due au tournage au téléphone portable (c’est nerveux, toujours en mouvement, flottant et étonnement inspiré dans sa mise en scène tout sauf à l’arrache), ce qui lui confère une véritable identité et un parfum d’authenticité rare. Soutenu par une bande-son pêchue (ça pulse), Tangerine rappelle beaucoup les premiers films de Pedro Almodovar ou de Gregg Araki, ce qui est à l’évidence un beau compliment pour le réalisateur Sean Baker (Starlet, Prince of Broadway, la série Greg the Bunny avec Seth Green), qui renouvelle un peu le cinéma indépendant américain (ça change des Fox Searchlight et des produits made in Sundance). Les deux actrices (dans les rôles de transsexuelles !) sont bluffantes, et on note la présence dans la distribution de James Ransone (vu chez Spike Lee dans Inside Man et Oldboy, dans Broken City, Les Trois prochains jours, Le Bal de l'horreur, Ken Park, dans Sur Ecoute et dans les deux Sinister). 

Note de Jonathan C. : 7/10

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