Critique Cygnis [2010]

... C'est que tu es encore en vie !

« Le deuil s'enracine sur cette terre où nous marchons, toujours en rond. Il y a quelque chose d'irréductible dans la déchirure de la perte, dans l'amour blessé qui ne veut plus se découvrir. Une amertume qui en appelle aux larmes, aux mots muets, aux mots hurlés. Notre existence se joue ici, entre ces valeurs inventées par nos pères et celles que nous apprenons. »

Cygnis présente un univers plutôt classique, un monde où l'Humanité a régressé technologiquement, socialement. Une catastrophe d'envergure mondiale a provoqué cette situation inconfortable mais la mémoire humaine a oublié quand et comment tout cela s'est produit. Les descendants des survivants de cette époque malheureuse tentent de faire face aux nécessités quotidiennes, se nourrir, se protéger et surtout éviter de succomber à la mort tapie dans chaque recoin infâme de cette civilisation où la loi du plus fort domine.

Au milieu de ce chaos tourmenté, un simple trappeur Syn tournoie entre les ersatz sociétaux qui subsistent avec quelques petites villes fortifiées disséminées et une nature impitoyable qui a repris ses droits depuis de nombreuses années. Toutefois, malgré un retour vers des organisations médiévales, l'Ancien monde conserve des réminiscences hautement technologiques, pas forcément favorables aux hommes et femmes du monde de Cygnis.

Une menace terriblement meurtrière partage le quotidien des humains, les diasols. Ce sont des robots qui surgissent mystérieusement semant la mort et la terreur sur leur passage. On ne connaît pas leurs motivations, leurs agissements gardent une opacité incompréhensible et absconse. Ont-ils une motivation collective, œuvrent-ils pour une société plus évoluée ?

Vincent Gessler offre un univers captivant même si les cinquante premières pages manquent de souffle et de rythme, le temps d'installer ses personnages et leur environnement. Heureusement, on se laisse absorber par son écriture fine, intelligente et très imagée. On baigne dans une atmosphère inquiétante et parfois oppressante, avec toujours l'incertitude concernant les protagonistes. On échappe de peu à un destin funeste ou pas, aucune erreur n'est tolérée. L'auteur dévoile délicieusement des pistes surprenantes, inattendues et donne une force savoureusement violente et dramatique à son roman.

« En prenant une rame, il a le temps de saisir cette scène : des cheveux blonds répandus dans un halo rouge, une robe blanche serrée comme un linceul autour des membres balancés sur l'eau au gré des remous. La femme tend une main au-dessus de la surface, étirant ses doigts tremblants. Geste arrêté et impuissant. »