Critique La Guerre des mouches [1938]

Avis critique rédigé par Nicolas W. le jeudi 9 juillet 2009 à 15h52

Un roman qui fait mouche

« La bêtise des hommes n'est dépassé que par leur ingratitude ! S'écriait Carnassier. Plus on est bon avec ces animaux, plus ils vous en veulent. Ils pourraient tous crever de la peste que je ne lèverais pas le petit doigt en leur faveur. Je vous demande un peu, nous acceptons de nous rendre là-bas, nous risquons mille fois de finir sur un grabat au milieu de nos déjections, et pour toute récompense on nous embastille comme au temps des lettres de cachet ! »

Jacques Spitz est un auteur de science-fiction français qui se trouve aujourd'hui, et pour le meilleur, rééditer et ainsi remis au goût du jour. D'abord, par le très bon petit éditeur qu'est L'arbre Vengeur avec le livre L'oeil du purgatoire, déjà chroniqué dans nos colonnes par mes soins. Même si le livre offrait déjà un excellent aperçu du talent de l'auteur, il lui manquait un quelque chose qui transforme l'excellent en chef d'œuvre et qui fasse de ce classique un inoubliable. C'est ainsi que Laurent Genefort, directeur de la collection Trésors du Futur chez Bragelonne, a eu la bonne idée de rééditer 3 romans et 6 nouvelles de ce français atypique sous le titre fort approprié de Joyeuses Apocalypses.

Le premier roman de cet omnibus s'intitule La Guerre des mouches (écho 40 ans plus tard, puisqu'édité en 1938, de La Guerre des mondes d'un certain anglais et fort bien mentionné par la post-face de Joseph Altairac). Il est question, vous l'aurez compris, d'une guerre entre l'humanité et les mouches. Celle-ci sont en effet devenues intelligentes et ont décidé qu'il était temps pour l'homme de céder la place d'espèce dominante sur la planète Bleue. On suit donc l'histoire d'un savant français, Juste-Evariste Magne, qui va non seulement découvrir l'intelligence des insectes mais se retrouvera bientôt à les affronter par tous les moyens possibles, comme toute l'humanité d'ailleurs. Le remarquable d'abord de La Guerre des mouches tiens à l'idée de départ qui est cette opposition de l'homme avec une race qu'on imagine mal devenir intelligente. Cependant, Spitz met tout en œuvre pour décrire la guerre impitoyable que se livre les deux espèces. Souvent par le point de vue de Magne qui sert au lecteur de point d'attache, le personnage étant peut-être le moins pathétique des hommes hantant ces pages. Mais encore plus souvent en adoptant un point de vue d'historien qui narre les grandes étapes d'une guerre. L'adversaire, la mouche si éloignée d'une ressemblance anthropomorphique, est une idée simplement brillante et qui permet des choses folles. Si au départ, le récit est tout ce qu'il y a de plus crédible, de la ponte des femelles dans des zones en arrière des lignes de front jusqu'à la constitution de différents types d'essaims, on s'aperçoit bien vite que l'auteur aime à jouer avec ses idées et son lecteur, en décrivant des mouches habillées par des tricots pour supporter le froid des zones tempérées ou encore des mouches assassins, il apparaît clairement une note d'humour dans ce texte. On y trouve aussi une «  histoire d'amour », entre Micheline et Magne, placée également sous le signe du pathétique mais qui ennuie pourtant passablement. Bien heureusement celle-ci n'est que très secondaire et n'entame en rien notre plaisir de lecture.

S'il est une chose qui n'a pas changé entre L'oeil du purgatoire et La Guerre des mouches, c'est bien le pessimisme exacerbé de Jacques Spitz. Puisque le lecteur s'en doute des les premières pages, l'happy end n'est pas dans le calendrier des charges de l'auteur. C'est un pessimisme encore une fois salutaire que nous offre ce court roman, puisqu'en 105 pages, l'écrivain examine en profondeur notre société et l'homme. C'est l'homme bien plus que la mouche qui est au centre des préoccupations de l'auteur et surtout leur confrontation. Plus qu'une simple guerre, c'est une démonstration, certes par l'absurde, du pathétique du genre humain et en fin de compte, du sort mérité qui l'attends. Il n'est pas surprenant de se retrouver à vouloir la victoire des mouches devant tant de bêtises et d'idioties d'une humanité dont la division et la prétention conduiront à sa perte. Jacques Spitz nous jette à la face la bêtise humaine, et ne semble y trouver que la fin de la race comme solution, une fin qui serait dû à l'évolution, ce qui ne sera pas sans faire plaisir à un certain Darwin. Chose pourtant assez étrange et comme déjà dit plus haut, à ce pessimisme de tous les instants s'ajoute de l'humour. Sa présence pourtant n'est pas ici pour dédramatiser une apocalypse mais plutôt pour achever de démontrer que Spitz se fout de la race humaine, se fout de l'humanité dans son ensemble et trouve même dans sa fin un comique des plus réjouissants. Souvent caustique et ironique, soyez certains que certaines répliques ou armes vous tirerons quelques sourires...les rires ne viendront que par la suite notamment avec La Guerre mondiale n°3 mais ceci est une autre histoire. Il faut pourtant saluer les trouvailles, toutes comiques que puissent être leur mises en œuvres. On parle beaucoup de la description des armes employés par les mouches, aiguillons pour perçer les combinaisons,  poison végétal ou encore culture de bactéries mais il serait injuste d'oublier les nombreuses idées que l'homme trouve pour génocider nos sympathiques voisines à 6 pattes. Des grillages collants aux avions gobe-mouches en passant par les gazs et lance-flammes, le génie humain pour la tuerie est bel et bien restitué avec des fantaisies toutes Spiztiennes : chaque nation présentera une façon bien différente d'appréhender puis d'affronter le problème et ce ne sera pas sans un grand plaisir qu'on verra des fascistes se faire étriller par des insectes.

Le final du livre présente une humanité devenue l'animal de zoo par excellence. Pessimiste et humoristique, celle-ci est pourtant d'une intelligence rare comme tout le roman au demeurant. Dans un style simple et avec des mots qui font toujours « mouches », Jacques Spitz qui s'est entêté a détruire et ridiculiser l'homme, essaye ici pourtant de nous tirer quelques sympathies, d'aucuns diraient pitié, pour une race finalement insignifiante. Il nous émeut dans les dernières lignes et arrive par ce roman à trouver le petit sentiment de grandeur et d'achèvement qui manquait à L'oeil du purgatoire. La Guerre des mouches est-elle donc le chef d'œuvre de l'auteur ? C'est une fois le recueil refermé qu'on se dira qu'il en est sûrement ainsi.

 

La conclusion de à propos du Roman : La Guerre des mouches [1938]

Auteur Nicolas W.
88

Premier Roman de ces Joyeuses Apocalypses et entrée en matière magistrale. Entre Mouches et Humains, Spitz décortique notre monde et notre société. En rappelant que le roman date de 1938, le tour de force apparaît évident, tout comme il apparait évident que le français fait preuve d'une lucidité à toutes épreuves à l'égard de ses congénères. La guerre des mouches prouve une bonne fois pour toute que Jacques Spitz est un auteur majeur de la science-fiction française et de la science-fiction tout court à ne surtout pas oublier.

On a aimé

  • Une histoire surréaliste  et intelligente
  • Une réfléxion brillante
  • Les trouvailles
  • Un style simple et précis
  • L'adversaire improbable

On a moins bien aimé

  • L'histoire Micheline-Magne accessoire

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