Critique Le Déchronologue [2009]

Avis critique rédigé par Manu B. le mardi 31 mars 2009 à 20h55

Flibustiers temporels

"Je suis le capitaine Henri Villon et je mourrai bientôt.
Non, ne ricanez pas en lisant cette sentencieuse présentation. N'est-ce pas l'ultime privilège d'un condamné d'annoncer son trépas comme il l'entend ? C'est mon droit. Et si vous ne me l'accordez pas, alors disons que je le prends. Quant à celles et ceux qui liront mon récit jusqu'au bout, j'espère qu'ils sauront pardonner un peu de mon impertinence et, à l'instant de refermer ces chroniques, m'accorder leur indulgence..."


Ceci est le journal du capitaine Henri Villon et ce qui va suivre est difficile à croire, mais ce ne sont, ce ne peuvent être les divagations d'un fou. Car même si Villon était un alcoolique réputé, un fieffé flibustier et un gredin, ce n'était pas un fabulateur. Mais écoutez plutôt... 
En ce milieu du XVIIe siècle, la mer des Caraïbes est le lieu de jalousies et de convoitises depuis que les Espagnols se sont rendus maîtres de la région recelant de nombreuses richesses. Les Anglais, les Français et les Hollandais sont sur place pour se tailler une part du trésor hérité des Indiens d'Amérique. Henri Villon est l'un des capitaines qui fomentent le projet de prendre l'île de la Tortue, aux côtés de François Levasseur et quelques autres officiers. Mais Villon, à bord de son bateau Chronos, fait une bien mauvaise rencontre avant de mener à bien sa mission...

Stéphane Beauverger s'est fait connaître dans le domaine de la littérature SF en publiant en 2003 son premier roman, Chromozone, qui a fait grosse impression, dès sa parution. On tenait là une nouvelle voix. Il a ensuite confirmé le bien qu'on pensait de lui avec Les Noctivores en 2005 et La Cité nymphale en 2006.
Il revient trois ans plus tard avec la délicate tâche de produire un roman au moins aussi bon et avec un univers différent. On peut dès maintenant affirmer que la mission est réalisée avec succès. Et cela paraît aux éditions de la Volte. Il est réédité aux éd. Gallimard coll. Folio SF en mars 2011.

L'écrivain français, en bon Breton de naissance, se lance apparemment dans un sujet qui lui tient à coeur: la mer. On se souvient dans sa trilogie Chromozone de la proximité de l'océan, pour la petite troupe de Gemini, et il s'érigeait comme un rempart naturel à la folie de ce qui se passait sur le continent. Dans Le Déchronologue, la mer est un refuge et une source de danger. C'est un refuge dans la mesure où vous pouvez caresser l'espoir de fuir la mort à bord de votre bateau, et c'est un danger parce que la mort arrive par la mer.
L'auteur situe son histoire en 1640 dans la mer des Caraïbes lorsque la situation maritime n'était pas stabilisée et qu'elle était parcourue par des vaisseaux espagnols, français, anglais et hollandais. C'est à ce moment qu'il place son noeud qui fait basculer l'Histoire vers un autre futur. A cet endroit, à cette époque, une sorte de vortex temporel laisse entrer des gens et des engins des autres siècles, du passé ou du futur. Et forcément, ça laisse des traces: des objets de technologie avancée arrivent entre les mains des flibustiers décontenancés du XVIIe siècle. Ces maravillas perturbent dès lors le cours du temps en donnant le pouvoir à ceux qui ne devraient pas. 

Pendant ces temps troublés, Stéphane Beauverger, qui a l'air de s'être beaucoup documenté (voir la bibliographie sélective en fin de roman) pour imaginer les changements de notre passé, a besoin de personnages charismatiques. Son héros, Henri Villon, flibustier, semble être le produit d'un mélange d'influences aussi diverses que Jack Sparrow (Pirates des Caraïbes) pour le côté sympathique, ou François l'Ollonais (Jean-David Nau - 1630-1669) pour ses aventures malheureuses. Ce Villon fictif côtoie François Levasseur et aurait pu participer à sa prise de l'île de la Tortue pour voir Levasseur en devenir gouverneur, s'il n'avait rencontré son destin au large des côtes.
Le thème seul de la piraterie aurait déjà été intéressant s'il ne venait s'y greffer ces incursions temporelles du passé et du futur qui compliquent la donne. Ce n'est pas par hasard que l'auteur fait naviguer son héros au large des Bahamas (baja mar), dans la zone du célèbre triangle des Bermudes, lieu de fantasmagoriques voyages dans le temps, dont les trois pointes sont la Floride, Porto Rico et les Bermudes. Pas innocent, tout ça.

Si le roman est addictif grâce à son attachant personnage de Villon, malgré son penchant pour le tafia, c'est surtout sur la forme et l'écriture que l'auteur est impressionnant. Son style n'a rien, mais alors rien à voir avec celui de Chromozone. C'est à se demander si c'est le même auteur qui a écrit ces deux oeuvres. Il ne réussit pourtant pas à être aussi authentique que Robert Silverberg dans Le Seigneur des ténèbres (une histoire qui a plus d'un point commun avec Le Déchronologue), ou bien Mary Gentle (L'Enigme du Cadran Solaire, 1610, qui se situe aussi au XVIIe siècle), mais c'est assez convaincant.
Enfin, puisque le temps est vécu d'une manière différente dans le "présent" de ce Villon, Stéphane Beauverger nous refait le coup d'Iain M. Banks (l'Usage des armes) en mélangeant (pas vraiment au hasard) les chapitres relatifs à, en gros, cinq périodes: 1640-1641, 1644, 1646, 1649 et après 1652. 

Au final, Le Déchronologue est très bel exercice, une oeuvre qui prend à contre courant les lecteurs de chromozone. Même s'il ne révolutionne pas le genre, c'est un roman réussi, avec un poil de longueurs et pas assez d'informations sur les observateurs. Certains chapitres sont splendides où le drame qui se joue laisse une impression durable.

La conclusion de à propos du Roman : Le Déchronologue [2009]

Auteur Manu B.
85

Décidément, Stéphane Beauverger sait surprendre, car après sa trilogie Chromozone, on ne l'attendait pas sur le terrain (ou la mer) des flibustiers, du voyage dans le temps et/ou de l'uchronie. Voilà un roman attendu au tournant qui comble justement toutes les attentes des lecteurs.

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