Interview de l'auteur des Démons de Paris
Jean-Philippe Depotte nous en dit plus

Comme promis, voici l'interview de Jean-Philippe Depotte pour son premier roman Les démons de Paris dont la critique est disponible ici :

Nicolas W: Jean-Philippe Depotte bonjour. Vous êtes l'auteur des Démons de Paris qui paraîtra en librairie au 4 Février 2010. Comme tout nouvel auteur, la première question sera : Qui est Jean-Philippe Depotte et quelles sont ses influences littéraires?

Jean-Phlippe Depotte : Bonjour. Je vous remercie de l'intérêt que vous portez à mon livre. C'est mon premier né et je n'en finis pas de m'étonner de ce qu'il évoque chez ses lecteurs.Je suis scientifique de formation, c'est ce que dit la quatrième de couverture. Cela signifie que j'ai vécu en schizophrène pendant de longues années à programmer des stimulateurs cardiaques (si !) ou à diriger la production de jeux vidéo avec, au fond de ma poche, un carnet toujours prêt à recueillir l'idée du jour, la phrase du jour ou Lucrèce ou Joseph ou Victoire Desnoyelles que j'intègrerai  - j'en rêvais - dans un roman dont je serais l'auteur. Et puis cela a duré comme ça jusqu'au jour où ma femme m'a proposé de m'emmener au Japon, avec nos deux enfants, façon de nous secouer un bon coup et de découvrir autre chose que notre pavillon de banlieue (je ne la remercierai jamais assez). Et nous sommes partis quatre ans et la rupture fut assez complète pour que je me décide à oublier mon étiquette de « scientifique », à exhumer tous les carnets de toutes les poches de ma garde-robe et à écrire enfin la première ligne du fameux roman. Je lis des livres d'Histoire, surtout, et des essais à propos de ce qui m'intéresse au moment de choisir un nouveau livre dans la bibliothèque. Et ça peut changer très vite ! L'économie de l'empire romain, les crimes de guerre des japonais, le fonctionnement du cerveau. Avant d'écrire, je me désolais d'oublier au fur et à mesure ce que je lisais. Aujourd'hui, je note, et je trouverai bien une histoire à laquelle inclure tout ce fourbi. Je lis aussi des romans : Léo Perutz, Gilles m'a fait très plaisir en le citant à mon propos, Neil Gaiman dans un autre genre, les BD d'Alan Moore, puis des classiques comme Dick ou Asimov ou, encore plus classique, Diderot ou Queneau. J'aimerai qu'il y ait un peu des fleurs bleues dans les Démons de Paris...

N.W : Vous êtes publié pour la première fois et cela rien de moins que dans la collection Grand Public de Denoël. Il paraîtrait que votre roman est arrivé directement par la poste à Gilles Dumay et que c'est celui-ci qui vous a remarqué ? Comment s'est passé la gestation de ce projet et le travail avec Gilles Dumay ? Est-il aussi démoniaque qu'on le prétend ?

J-P D : J'ai écrit mon livre, je l'ai mis dans une enveloppe et je l'ai envoyé par la poste parce que le petit topo de présentation de Lunes d'Encre qu'avait écrit Gilles sur le site de Denoël m'avait bien plu. De l'imaginaire plus humaniste : cela correspondait exactement à ce que j'avais voulu faire. Il l'a reçu, il l'a lu et il m'a invité à passer le voir. Vu de mon côté, c'est comme cela que ça s'est passé. Pour la vérité derrière le décor, c'est à lui qu'il faut demander... Gilles est charmant et n'a rien de démoniaque (vous pensez à un personnage du livre en particulier ?). J'ai débarqué dans son bureau comme un martien chez les Incas, ou l'inverse. Je ne connaissais rien à l'univers de l'édition et je ne me sentais pas à l'aise. A partir de là, Gilles a tout fait. Il a défendu mon livre comme personne à l'intérieur de sa maison et je n'ai fait que regarder monter la mayonnaise. Et je vous promets que je n'ai signé aucun pacte avec mon sang !

N.W : Votre premier roman est donc clairement fantastique ? Pourquoi donc cette orientation ?

J-P D : En fait, je voulais avant tout faire monter une tension vers un dénouement en apothéose. C'est cela que j'aime dans les romans que je lis. Pendant les trois quarts du livre, l'auteur fait des promesses et dans le dernier quart, il les tient ! Et je suis souvent déçu quand je lis des polards et qu'à la fin tout se résume à une histoire d'héritage, de jalousie ou d'adultère. Peut-être est-ce un fond d'immaturité qui me fait préférer le « rien n'est vrai » de Matrix ou des aventures du Baron de Munchausen ou le « je meurs chaque soir » du Prestige. Je trouve simplement que ça a plus de gueule et c'est ce qui fait tourner mon imagination.

N.W : On constate que la ville de Paris est au cœur des tribulations des personnages, autant cette ville d'avant-guerre que celle des Enfers. Exerce-t-elle sur vous un attrait particulier qui a contribué à en faire presque le personnage principal du récit ? Et pourquoi spécifiquement à cette période ?

J-P D : Pour écrire les démons de Paris, j'avais besoin de plonger l'intrigue et les personnages dans un cadre qui me fasse littéralement rêver. Il fallait que chaque matin, au moment de trouver les bonnes idées de la journée, je ferme les yeux et j'y sois. Je souhaitais dès le début que l'intrigue se passe en France, à Paris puisque c'est la ville que je connaissais le mieux. Mais le Paris de 2010, avec ses RER et ses magasins franchisés, ne m'inspirait pas grand-chose. J'aime y vivre mais je n'en rêve pas la nuit... Or, j'ai commencé l'écriture des Démons de Paris alors que j'habitais Tokyo depuis trois ans. Et le Japon m'a aidé, après trois ans de sevrage, à retrouver le Paris fantasmé que j'imaginais quand j'étais gamin (du loin de ma province), le Paris de Moulin Rouge (de Baz Luhrmann) que j'adore, le Paris d'Adèle Blanc-Sec (de Tardi). Puis je me suis documenté. J'ai fouillé les archives, j'ai dévoré un vieux bouquin sur la vie de Lénine à l'époque de son exil à Paris et de proche en proche j'ai découvert des images que j'avais envie de relier à l'intérieur de mon récit : le joueur de limonaire, le chantier du métro, le chasseur de rats, la visite de Nicolas II à Compiègne (que j'ai prolongée jusque la gare du Nord...); et puis les lieux : la place Beauvau, l'Hôtel-Dieu et surtout, surtout, le Luna Park ! Il a été la grande révélation de ce travail. Un endroit unique qui résumait à lui seul le mélange de désuétude et de modernité qui fait le charme de la belle époque et, j'espère, des Démons de Paris. Et je suis tombé amoureux du Luna Park, des dames élégantes en grandes robes tassées dans les petits chariots du Scenic Railway, de la Rivière Mystérieuse et de la femme à barbe du professeur Bemelot-Moens (tout est vrai !). Je suis allé jusqu'à visiter le Luna Park de Sydney lors d'un voyage dans la région (je n'étais pas si loin...) parce qu'il a été construit à la même époque et garde encore un peu de l'ambiance magique de sa version parisienne.

N.W : Au-delà du fantastique, on constate nombre d'éléments historiques et même de grands noms tels que Nicolas II ou Lénine, dans quel but ? Ecrire une Uchronie ou simplement l'introduction d'un "background" fantasmé à l'Histoire avec un grand H (puisque les finalités de votre récit ne diffèrent pas tant que cela de celles que nous connaissons) ?

J-P D : L'explication est à rechercher dans la fameuse description de la collection Lunes d'Encre par Gilles : de l'imaginaire plus humaniste. Je m'explique : quand je lis un livre d'histoire, je me désintéresse des dates et des grandes batailles. Ce qui me passionne, c'est ce qui se passe dans les têtes de tous ces gens plongés dans un événement historique.  A quoi pensaient ces aristocrates et ces évêques lorsqu'ils ont voté l'abolition des privilèges pendant la fameuse nuit du 4 août ? Et Lincoln, quand il est arrivé à Washington, pas encore investi, sous un déguisement (!), alors que la sécession des états du sud avait déjà commencé ? Voilà ce qui m'intéresse. Le Lénine que je décris à son arrivée chez Lucrèce est très humain. Il hésite, il ne comprend pas, il est même ridicule parce qu'il s'est décoiffé en retirant sa casquette. Idem pour Papus, Nicolas II, le préfet Lépine et Fulgence Bienvenüe. J'aime  désacraliser les figures historiques en les plaçant dans un contexte différent, un contexte qui les rapproche de nous et nous aide à mieux les comprendre.

N.W : En parcourant les Démons de Paris, on sent un attachement particulier aux événements en Russie, à la Révolution d'Octobre. Quelles étaient vos objectifs en mêlant  cette notion "politique" à votre roman ?

J-P D : Les révolutions m'intéressent. La révolution française, l'indépendance américaine, la révolution russe. Trois contextes très différents mais, dans le fond, un même sentiment : ce sont les hommes qui ont compté. Je ne crois pas qu'une idée ou une idéologie puisse faire changer les choses. Ce qui pèse dans l'Histoire, c'est la personnalité de ces gens qui ont porté ces idées. Les révolutions sont des moments incroyables où quelques personnes bouleversent en un court instant la vie de millions d'autres. Et pas toujours pour les raisons ou les idées qu'elles invoquaient... Les moments « politiques » des Démons de Paris montrent justement à quel point les idées n'ont rien à voir avec les événements. Lucrèce s'apitoie sur le sort des ouvriers d'un chantier, David et Joseph émeuvent avec leur expérience de la condition populaire, Papus découvre la réalité de la vie d'une blanchisseuse... mais Lénine, lui, n'en parle jamais ! Le pied de nez final du roman (que je ne dévoilerai pas) est une dernière façon d'enfoncer le clou : la Grande Histoire, les Révolutions, c'est seulement l'affaire de quelques uns.

N.W : On trouve aussi une sorte de confrontation Religion/Science dans les Démons de Paris, seriez-vous plus spirituel que scientifique ?

J-P D : Au risque de vous lasser, je vous ferai toujours la même réponse. Ce qui m'intéresse n'est pas telle ou telle théorie de l'au-delà, telle croyance ou telle certitude scientifique. Ce que j'ai voulu étudier, c'est la position des hommes devant ces phénomènes. La période de la Belle Epoque est passionnante. On y découvre tout : la vie industrielle avec l'électricité, le rôle de l'humain dans la Création avec Darwin, le rôle de l'humain vis-à-vis de lui-même avec Freud. Et que pensaient les gens qui vivaient cette époque ? En particulier, je me suis amusé à décrire les visions parallèles de Joseph et de Papus. Les deux sont confrontés à la même découverte excentrique : ils peuvent communiquer avec l'au-delà. Joseph est un homme d'église et malgré cela, il a une vision très scientifique des choses. Il est idéaliste et se voit dans la peau du moine Mendel qui découvre la génétique. A l'inverse, Papus vit dans un décorum pseudo-scientifique. Il a fondé une Université. Il est reconnu par ses pairs. Mais il a une vision très occulte de ce qu'il découvre. Il s'entoure de symboles et de tout un tas de grigris ridicules. Deux hommes, deux façons de digérer une vérité qui les dépasse

N.W : Parmi tous les personnages qui parcourent le récit, on trouve notamment deux figures féminines très fortes, pourquoi avoir choisi des femmes pour ces rôles notamment celle de Présidente ?

J-P D : Nous y voilà ! Et bien, disons que si vous cherchez vraiment un message politique ou philosophique derrière les Démons de Paris, voilà celui que j'assume et dont je suis le plus fier : l'égalité des hommes et des femmes. La Belle Epoque a vu la naissance du féminisme. Le cadre m'a semblé idéal pour lancer mon message : la libération de la femme, ce n'est pas ce défilé de suffragettes en belles robes que l'on croit voir au début du roman,  mais c'est une femme à la tête de la France (à une époque où elles n'avaient même pas le droit de vote...). Et pas une femme idéale qui ferait mieux que les hommes. Non, une femme tout aussi pourrie que ses collègues. Jusqu'au point où l'on ne fait plus la différence. C'est une femme ? Peu importe. Idem pour Lucrèce, Lucille ou Marie. Autant de femmes que d'hommes, et ça n'a pas d'importance. Cela n'empêche pas le roman de s'attarder sur les relations particulières entre les fils et leur mère, les amants et leurs amantes, le trouble magique qu'inspire Lucrèce ou la pureté de l'amour d'Eloïs. J'aime les belles histoires d'amour et je n'ai pas pu m'empêcher...

N.W : On imagine bien, au vu de la fin du roman, que Les Démons de Paris pourrait envisager une suite. Alors quels sont vos projets ? Peut-on espérer savoir ce que deviendra l'ange Gabriel ?

J-P D : Je vous avouerai que je n'ai pas du tout envie d'écrire une suite aux Démons de Paris. Je pense que l'essentiel de l'intérêt d'un roman réside souvent dans la découverte de son univers, de ses personnages, de son intrigue. Un n°2 perd fatalement cette dimension. J'ai envie de surprendre, d'étonner, de tester des idées iconoclastes. Je vais donc vous laisser imaginer ce qu'il advient de l'ange Gabriel. Ce n'est pas mieux comme ça ? Et puis en ce moment, je ne vis plus que pour Nostradamus qui est le personnage central de mon prochain roman. Sa biographie est truffée de points d'ombres incroyables. Les personnages historiques sont tellement passionnants quand on les regarde comme des hommes.

N.W : Nous en arrivons donc au bout de cette petite interview, je vous laisserai donc le mot de la fin : Qu'avez-vous envie de dire à vos futurs lecteurs potentiels ?

J-P D : Enjoy !

J'aime lire ces livres américains à deux sous que l'on trouve dans les aéroports et qui vous expliquent à longueur d'anecdotes qu'il faut positiver, ne jamais renoncer et ne voir que les bonnes choses. Alors, pour conclure, je citerai le Grand Khan lorsqu'il regarde défiler Paris derrière la vitre de sa limousine : « Que votre monde est beau ! »

Auteur : Nicolas W.
Publié le jeudi 4 février 2010 à 16h08

Commentaires sur l'article

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    Quand on connait le personnage Depotte et ses methodes de travail, on n'a plus du tout envie de lire ses livres...
    Aka3d, le 25 septembre 2012 18h45

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