PIFFF 2014 : Jour 3
Bag boy lover boy, Wake in Fright, The Duke of Burgundy et Why Horror

La journée commence fort par la projection d'un court-métrage choc avant le tout aussi choc Bag Boy Lover Boy. Dans Ink d'Andy Stewart, un homme mystérieux fanatique de tatouages va arracher la peau tatouée de ses victimes pour se les greffer sur son corps. Et le réalisateur ne nous épargne aucun détail de cette opération, mettant ainsi en avant des SFX saisissants de réalisme, dans des gros plans qui risquent de faire tourner de l'oeil certains spéctateurs. Gore, dérangeant, éprouvant et anxiogène, Ink est une expérience aussi brève qu'intense, sur un personnage obsessionnel donc autodestructeur campé par un acteur impressionnant qui serait un mélange entre Michael Rooker, Michael Wincott et Heath Ledger (c'est dire le physique atypique). Le dernier plan est assez démentiel. Dénué de dialogues, le film d'Andy Stewart évoque le cinéma de David Cronenberg, d'ailleurs remercié dans le générique de fin, et s'inscrit dans la même thématique que le film projeté ensuite et dont nous allons parler maintenant.

Premier long-métrage d’un réalisateur bizarre (cf. son petit message projeté avant le film) nommé Andres Torres, Bag Boy Lover Boy se focalise sur Albert (interprété par le saisissant Jon Wachter), un pauvre type laid, sale et pas très futé qui, alors qu’il vend des hot-dogs, se retrouve entrainé dans des shootings photos sordides orchestrés par un prestigieux photographe artistique (Theodore Bouloukos) qui le traite comme un moins que rien et le met en scène avec des mannequins (dont la bombe Tina Tanzer). Avec cette collaboration, Albert nourrit naïvement l’espoir de devenir un grand photographe et commence à s’exercer sur des inconnues qu’il prend comme modèle en subtilisant le studio de son employeur…
Le Bag Boy Lover Boy du titre, c’est un « freak » presque simplet et à la vie austère, entre un stand de hot-dogs à l’hygiène douteuse et un appartement miteux orné de quelques posters sexy. On ne sait rien de lui mais on peut deviner ses fêlures et constater ses obsessions. Sa vision de la vie, du bien et du mal, est totalement déformée.

Tant dans la forme que dans le fond, Bag Boy Lover Boy évoque les premiers films indé-underground d’Abel Ferrara, en particulier L'Ange de la vengeance et Driller Killer (qui ensanglantait également le milieu bobo new-yorkais de l’art). Comme dans ces deux films de Ferrara, Bag Boy Lover Boy se pose d’abord en drame psycho-social puis se mue en triller et même en film de serial-killer, suivant l’évolution (et en même temps la régression) d’un être fragile, sensible, seul et à demi monstrueux qui se transforme en assassin sans vraiment en être conscient et ce afin d’assouvir ses ambitions aussi vaines que sincères.

Le piège d’un tel point de vue, c’est que le film décrit un personnage triste, inquiétant, pas vraiment attachant et qui inspire la pitié, notamment lorsqu’il s’essaye à la photographie artistique et qu’il se persuade d’avoir du talent en se prenant pour un grand photographe (à l’image de son « maitre » bien plus détestable) alors qu’il n’est même pas capable d’utiliser un appareil-photo pour enfants (le passage dans la boutique photo est gênant). On rit plus du personnage qu’on éprouve de l’empathie pour lui, et c’est aussi ce qui dérange et met mal à l’aise, jusqu’à une dernière scène terrifiante de cynisme et de morbide, dénonçant les limites de l’art moderne et figeant définitivement le pauvre Albert en monstre. Mais le cinéaste ne juge jamais son personnage et montre plutôt du doigt ceux qui l’entourent et qui ont façonné un tueur.

Au fil d'une atmosphère de plus en plus glauque, anxiogène et tendue, Bag Boy Lover Boy dérange et provoque aussi quelques rires jaunes, car le réalisateur, comme Abel Ferrara, ne manque pas d’ironie (voir la séquence gratuite mais amusante avec les burgers à la viande humaine : « J’aime ce qui vient d’Amérique ») ni d’une certaine cruauté (cf. l’amorce et l’espoir d’une romance, évidemment impossible dans un tel monde). Esthétiquement urbain et austère, le film se laisse aller à quelques expérimentations lorsqu’il illustre les fantasmes du personnage par des visions macabres et arty (il y a un passage très étrange entre du Luis Buñuel et du Guy Maddin).

Le film est clairement malsain, surtout pour les scènes humiliantes et primitives de shooting dans lesquelles le protagoniste devient un monstre exposé devant l’objectif au nom de l’Art. Andres Torres développe en filigrane une réflexion sur la beauté, aussi bien la beauté humaine que la beauté artistique, et évoque également le Freaks de Tod Browning (le thème musical de cirque semble d’ailleurs s’en inspirer) et le Elephant Man de David Lynch. Bag Boy Lover Boy est une expérience loin d’être agréable et pas toujours subtile (cf. la caricature grossière du photographe), mais vraiment intéressante et intense.

Avis de Jonathan C.

Après Seconds (un chef d'oeuvre méconnu de John Frankenheimer) l'année dernière, la Séance Culte du PIFFF propose cette fois de redécouvrir Wake in Fright, autre pépite d'un réalisateur sous-évalué. Production américaine réalisée par un canadien et tournée en Australie avec une équipe anglaise, cet hybride Wake in Fright (Réveil dans la terreur, ou Outback) est un film culte du cinéma australien des années 70 et devait être à l'origine réalisé par Joseph Losey. Autrefois proposé en VHS sous le titre hors-sujet de Savane, présenté à Cannes en 1971 en compétition officielle puis tombé dans l’oubli, Wake in Fright est resté longtemps invisible et ressort enfin, en 2014, dans une superbe copie restaurée qui rend justice à ce film incroyable.

Ni thriller, ni film noir, ni horreur ni fantastique, Wake in Fright est un étrange mélange entre le drame psychologique et l’étude de mœurs. Alors qu’il fait escale dans un bled de mineurs avant de partir en vacances, un professeur civilisé et d’origine anglaise se retrouve embarqué dans l’enfer du bush australien, là où le temps se dilue dans l’alcool et les jeux, et ou les rares femmes croisées semblent aussi dépressives que nymphomanes. Entre l’hospitalité envahissante voire dangereuse des habitants (refuser de se faire payer un verre sonne comme une insulte) pour lesquels l’eau du coin ne sert qu’à se laver (autrement dit, ils ne boivent que de la bière), les parties de pile ou face (étonnement tendues), la chasse aux kangourous (des images très dures et crues d’une vraie tuerie de kangourous), et les bastons viriles amicales, Wake in Fright explore un milieu surréaliste et dégénéré mais bel et bien réel, encore aujourd’hui.

Alors que la notion du temps est déformée (le monde semble avoir évolué sans eux), le personnage est happé par cette atmosphère moite et poussiéreuse qui suinte l’alcool et la crasse tout en étant onirique et cauchemardesque. On se croirait dans un western déglingué. Ted Kotcheff prend tout son temps pour instaurer une véritable tension, pour développer un climat ambigu car à la fois accueillant et menaçant, et pour poser une ambiance étouffante ou le bush australien, paradis se transformant en enfer, semble se refermer sur le personnage tels les barreaux d’une prison, l’emporter et le tirer vers le bas tels des sables mouvants. Le cinéaste confronte également, et implicitement, l’arrogance anglaise et l’arrogance australienne, mettant en scène une sorte de vengeance de l’Australie sur les colons anglais.

Réalisé avec soin et quelques audaces (beaucoup de plans qui imprègnent la rétine) par cet explorateur de Ted Kotcheff (dont la démarche est très journalistique), qui réalise Rambo 10 ans plus tard et dont la filmographie sous-estimée mérite d’être redécouverte, Wake in Fright met en avant les beaux paysages locaux dans un superbe cinémascope et une magnifique photographie, des images séduisantes qui contrastent avec le mode de vie local ; une constante dans le cinéma de Kotcheff, qui aime isoler ses personnages dans des milieux sauvages et les confronter à leurs instincts primitifs. La musique discrète mais sournoisement entrainante de John Scott (Randonnée pour un tueur, Full Contact, Greystoke, King Kong II, Nimitz, retour vers l'enfer…) achève de faire de Wake in Fright un film aussi envoutant que haletant.

Autour du personnage principal campé par Gary Bond (un mélange entre Robert Redford et Peter O’Toole, héros de la série Frontier et découvert dans Zoulou avec Michael Caine), une galerie de rednecks locaux parmi lesquelles se fond parfaitement Donald Pleasence, démentiel dans ce rôle de toubib alcoolique, mélancolique, cynique et cinglé, un peu à l'image du film. Fiévreux, fou, imprévisible et désabusé, Wake in Fright est une fascinante plongée dans le bush australien.

Avis de Jonathan C.

Après son rape and revenge Katalin Varga et l’expérimental et insaisissable Berberian Sound Studio, qui se déroulait dans le milieu du son dans le cinéma de genre italien des années 70 (d’où ses faux airs de giallo), l’anglais Peter Strickland étonne et décontenance de nouveau avec son troisième film étrangement intitulé The Duke of Burgundy et qui explore, non sans un humour discret, la relation sadomasochiste entre une spécialiste des papillons et sa femme de ménage.

Tout en conservant un peu de l’aspect giallo de son précédent film, Strickland convoque cette fois le cinéma ibérique des années 60 et 70 (de Jodorowsky à Jess Franco en passant par Luis Buñuel). Il met en scène une relation SM sans les clichés habituels (pas de coups de fouet, pas de douleur infligée, pas de tenues en cuir…) mais qui repose plutôt sur le principe de possession, sur la soumission et l’humiliation. On découvre une relation très calculée dans ses jeux de domination qui finissent par ennuyer l’une des deux femmes, là ou l’autre en veut plus.

Malgré le sujet sulfureux (plus ou moins déjà abordé par Steven Shainberg dans La Secrétaire), il y a peu de sexe et peu de nudité, mais une tension sexuelle pourtant palpable, une extase perpétuelle, une passion autant qu’une histoire d’amour traitée par le cinéaste avec une surprenante pudeur et une réelle sensibilité, contournant le piège de la psychanalyse de comptoir. L’intensité du film doit beaucoup aussi à ses deux actrices, qui se livrent pleinement (sans pour autant se foutre à poil)

Comme dans Berberian Sound Studio, le récit joue sur l’effet de répétition (des scènes, des motifs, des symboles…), telle une rengaine qui évolue peu à peu, ou plutôt qu’on décrypte par bribes. Dans un rythme perturbant, le récit, entêtant et envoutant, finit par mélanger la réalité et le fantasme, devient tortueux, multiplie les niveaux de lecture et vire à l’onirisme, comme dans le précédent film du réalisateur mais en tout de même plus compréhensible. The Duke of Burgundy confirme que le cinéma de Strickland est résolument sensoriel, tumultueux, hypnotique, troublant et déstabilisant.

The Duke of Burgundy marque aussi pour son esthétique superbe et surtout pour son travail bluffant sur le son (Peter Strickland est avant tout un sound designer et un musicien, il fait d’ailleurs partie d’un groupe de musique expérimentale), tant dans les détails sonores que dans les morceaux musicaux (berçants) ou les ambiances (menaçantes). Tant dans le fond que dans la forme, le cinéma de Strickland rappelle celui d’Hélène Cattet et Bruno Forzani (Strickland leur a d’ailleurs donné un coup de main sur L'Etrange Couleur des Larmes de ton Corps).

Avis de Jonathan C.

Un documentaire pour finir la journée ! Après les très bons Ray Harryhausen, le titan des effets spéciaux de Gilles Penso, Side by Side de  Christopher Kenneally et le moins attrayant du Sang sur la Neige de Julien Dunand et Gildas Houdebine, le PIFFF continue sa tradition de nous faire découvrir un documentaire par édition. Ce jeudi soir s'est donc terminé sur  Why Horror? de Nicolas Kleiman et Rob Lindsay.

Avant d'aborder ce dernier, les organisateurs nous ont proposé en plat d'entrée de découvrir 15 minutes de Creature Designers - The Frankenstein Complex d'Alexandre Poncet et Gilles Penso. Un timing qui s'ajoute aux 20 autres minutes que nous avions découvertes lors du NIFFF puisqu'il s'agit de séquences entièrement nouvelles. Et on peut vous dire que ce dernier va vous en mettre plein la vue ! Cette fois nous avons eu le droit à des images inédites et des interventions prestigieuses autour de films comme SOS Fantômes, Gremlins, Robocop ou encore Alien. C'était beau, passionnant, accrocheur (voir un Ed-209 s"animer sous nos yeux nous ferait presque verser des larmes)... en fait trop, car l'intérêt pour le film est tel qu'à côté, Why Horror? va forcément sembler bien moins attractif et surtout pauvre en contenu.

Why Horror? c'est donc l'histoire d'un fan/journaliste de cinéma, Tal Zimerman (Rue Morgue et Fangoria), qui s'interroge sur les racines profondes de sa passion pour le cinéma horrifique et part ainsi mener une enquête aux quatre coins du monde sur la raison pour laquelle les gens aiment ce cinéma. À travers son périple, il interroge des psychologues et sociologues, des fans ou quelques "stars" du milieu comme George A. Romero, Eli Roth, Takashi Shimizu ou encore John Carpenter (et il y en a d'autres sur la liste...), sans oublier la présence de maman Zimerman !

Sur le papier, les interventions annoncées, la durée conséquente du film (presque 90 minutes) et surtout le sujet promettaient un objet fortement intéressant. Dans la réalité nous serons plus mitigés. Tout d'abord, les deux réalisateurs Nicolas Kleiman et  Rob Lindsay focalisent trop leur sujet sur la personne de Tal Zimerman : on y voit le bonhomme heureux avec sa femme, son gosse, son père et sa mère et par moment cela tourne beaucoup trop au familial. Mais surtout il n'y a ici quasiment que des personnes qui aiment le cinéma horrifique. A vrai dire, seule la maman de notre protagoniste se trouve réticente sur le sujet. Et clairement, l'admiration que porte la mère pour sa progéniture empêche tout discours véritablement "contre". Ainsi, si Tal Zimerman s'interroge sur le fait qu'il fut longtemps considéré comme un marginal, il n'ira jamais interviewer des personnes qui dénoncent les films trop violents, comme il ne distinguera jamais vraiment les diverses catégories dans le genre lui-même. Si on aime le cinéma horrifique, sommes-nous aussi "fan" de slasher que de films de monstres ou encore de torture-porn ? À un moment du film, les réalisateurs s'interrogent sur la popularité soudaine pour l'horreur, en particulier pour les zombies, en outre, via le phénomène Walking Dead qui a popularisé plus que jamais nos amis morts-vivants. Pourtant l'analyse ne va jamais titiller plus loin que le "ah bah tiens, nous constatons que désormais les zombies sont populaires...". Bref, le traitement des réalisateurs sur le sujet se contente surtout de savoir s'il se passe quelque chose dans notre cerveau, si un fan d'horreur est quelqu'un qui peut avoir une vie de famille ou encore d'explorer la fascinantion qu'a l'Homme à se faire peur. Et s'il y a quelques interventions prestigieuses, on a l'impression qu'elles restent globalement à la surface des sujets.

Tout n'est pas négatif, loin de là. Tout d'abord, les nombreux extraits qui parsèment le film apportent un côté ludique. Ensuite, le fait de mentionner l'histoire du cinéma et montrer que, dès Méliès, des pointes horrifiques étaient présentes est une bonne chose, surtout pour des personnes ayant des connaissances moins profondes sur le passé du 7éme art. Comme il est toujours bon de rappeler que l'horreur se retrouve même dans les contes pour enfants (certes beaucoup le savent, mais cette petite évocation apparait nécessaire). Puis globalement tout le monde apparait comme sympathique et il se dégage en cela une certaine affection.

Why Horror? est donc une semi déception. S'il avait duré une quarantaine de minutes nous aurions dit qu'il est plutôt réussi et que la durée l'empêchait d'aborder quelques sujets, mais vu la longueur on ne peut s'empêcher de constater que des éléments sont redondants là ou d'autres sont esquissés voir inexistants, alors qu'il semblait difficile de passer outre avec un tel sujet.

Avis de Richard B.

Whyhorror?

 

Auteur : Jonathan C.
Publié le vendredi 21 novembre 2014 à 03h52

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