PIFFF 2013, Jour 2
La mort vous va si bien !

 

Ce mercredi 20 novembre se trouve être la deuxième journée du Pifff et celle-ci a commencé pour nous dès 14 heures avec la projection de Love Eternal.

Avis de Richard B : Troublé par la mort de son père, Ian Ermite est depuis ce jour un jeune garçon particulièrement solitaire. Quelques années après, alors qu'il rentrait de classe, il découvre l'une de ses camarade pendue à un arbre. Fasciné par cette image, il va se créer une sorte de fantasme macabre ou il commence à s'imaginer une amitié avec cette dernière jusqu'à ce que son corps pourrisse. Déprimé, Ian finit par s'enfermer dans sa chambre et vivre en ermite, du moins jusqu'au moment où se produit le décès de sa mère qui le détermine une bonne fois pour toutes à mettre fin à ses jours en pleine forêt. Son idée s'effondre lorsque ce dernier est interrompu par des personnes qui le devancent dans cet acte ultime. De nouveau fasciné par l'un des cadavres et en particulier sa lettre de suicide, il décide de ramener le corps chez lui afin de se créer de la compagnie...

La première approche que l'on peut avoir avec le film de Brendan Muldowney est assez rude, il faut dire qu'au début le ton particulièrement froid et lent des images accompagnées de la fascination qu'a le personnage principal pour la mort aurait tendance à démoraliser et à créer une sorte d'autodéfense et de rejet vis-à-vis du film. Mais très vite, toujours malgré lui, un lien arrive à se créer via la performance de Robert de Hoog et les thématiques abordées commencent à engendrer de la curiosité. Tirés d'une nouvelle du Japonnais Kei Ôishi (Apartment 1303), les sujets sont en effet tout aussi profonds que délicats à traiter. Et c'est avec une certaine habilité que le réalisateur irlandais nous amène à accepter de suivre une histoire aussi dérangeante que profondément humaine. Qui n'a jamais voulu exister par le regard des autres ? Qui n'a jamais eu à craindre la solitude ? Quelles sont les idées qui peuvent nous traverser lorsqu'on se sait souffrant ou que l'on doit survivre au deuil d'une personne qui nous était chère ? La solitude peut-elle nous conduire aussi à des actes à la morale douteuse (par l'exemple l'acte nécrophile) ? Le film va très loin et Brendan Muldowney n'a pas peur de nous faire gagner de la compassion pour Ian comme des moments de pure haine puisque certaines de ses actions paressent aussi naturelles que moralement très douteuses.

Le spectateur est ainsi baladé constamment entre froideur, rythme particulièrement lent, images et cadrages soignés, humour noir, compassion, dépression, romance, jusqu’aux images effarantes tournant autour de la mort tout en n'arrivant jamais à savoir vers où nous dirige l'histoire et surtout sur le fait de devoir aimer ou pas le film. Rarement des films peuvent prétendre jouer autant sur la corde raide des sentiments et Love Eternal nous amène à devoir accepter toute la complexité humaine. Quant à la conclusion, on vous laisse l'apprécier à sa juste valeur, mais on ne pouvait guère espérer mieux tant celle-ci apparait juste et semble donner un sens à toute l'oeuvre.

Pas forcément facile d'accès, très loin du film cadenassé à un registre et à vouloir caresser le spectateur dans le sens du poil, Love Eternal de Brendan Muldowney est donc le parfait exemple de ce que peut apporter le cinéma lorsqu’il est accompagné d'une personnalité, d'acteurs solides dévoués à l'histoire et d'une philosophie très loin d'être orientée gadget et qui devrait vous chambouler un temps, qui plus est de la meilleure façon possible.

Love Eternal

Le film de 19h30 en compétition officielle fut The Battery, qui nous a divisé :

Avis POUR de Jonathan C. : Avant la projection de The Battery, une amusante vidéo de présentation par le réalisateur Jeremy Gardner a mis l’ambiance et a donné le ton. The Battery est un petit film américain indépendant bricolé en deux semaines avec une poignée de dollars par une personnalité atypique, Jeremy Gardner, qui tient également le rôle principal de son film au parfum pré-apocalyptique ; le cas rappelle le superbe Bellflower, grand gagnant de la première édition du PIFFF. Jeremy Gardner y montre le périple de deux joueurs de baseball dans un monde envahi par les « infectés » (en réalité plutôt des zombies, qui marchent lentement à l’ancienne). L'un (Adam Cronheim) est de nature blasée et taciturne, s'évadant en écoutant de la musique dans ses écouteurs. L'autre (Jeremy Gardner) est au contraire grande gueule, bavard et jovial. Les deux amis s'occupent comme ils peuvent, ne cessent de bouger, et le film s'attarde autant sur les bons petits moments que sur les mauvais, enrobés par des dialogues justes et drôles. Quelques passages, d'une simplicité désarmante, dégagent même une certaine émotion (lorsque par exemple Mickey se souvient d'une de ses ex).

Avec son micro-budget, Jeremy Gardner fait le bon choix d'opter pour le minimalisme total. The Battery n’est pas un vrai film de zombies à proprement parler, puisqu'il ne se concentre pas sur la lutte contre les zombies ni sur une réflexion sociale typique du genre. Il n'y a d’ailleurs pas d'action, au mieux quelques scènes de tension, et nos deux héros losers ne croisent que 2 ou 3 survivants (qui, ironie du sort, se révèlent plus dangereux que les zombies eux-mêmes). Il s'agit plutôt, et c'est ce qui rend ce feel good-movie attachant, original et frais, d'une histoire d'amitié. Deux hommes que tout oppose et qui étaient peut-être même des rivaux en sport mais qui, à force de survivre ensemble, sont devenus amis. Toute la dernière partie se déroule en huis-clos dans une voiture encerclée par les infectés, avec à l'intérieur les deux héros coincés car n'ayant pas les clés pour démarrer ; une excellente idée, d'abord amorcée comme un gag puis qui se termine sur un long plan fixe au cours duquel s'instaurent une attente et une tension : le pote va-t-il revenir ? lui-même va-t-il avoir une idée pour s'en sortir ? d'autant plus oppressant que c'est la première fois du film que le protagoniste se retrouve seul sans son ami, ce qui créer un manque palpable et cruel qui justifie amplement la longueur du plan, jusqu'à une fin étonnement émouvante. Jusqu'alors bouffon sympathique, Jeremy Gardner s'y révèle même un très bon acteur.

Gardner compense le caractère fauché de l'entreprise par des cadrages précis et un traitement désaturée de l'image, ce qui confère à son film un esthétique très seventies. Les écouteurs d'un des personnages sont l'occasion de caser de nombreuses chansons parfaitement adaptées à l'ambiance (il y a ainsi plusieurs passages « clips »), même si l'ensemble finit par ressembler à un medley de chansons des potes. S'il risque de déplaire pour son rythme lent et la façon dont il contre les codes et les attentes des spectateurs du genre, The Battery est en tout cas singulier et hors-normes, à la fois "cool" et torturé, plus subtile qu'il n'y parait. Un faux film de zombies en mode intimiste dans un vrai film de potes.

Avis CONTRE de Richard B. : Après nous avoir introduit The Battery de manière hilarante, via une vidéo de présentation conçue exclusivement pour le Pifff, le réalisateur indépendant Jeremy Gardner nous laissait assez confiant. Enfin presque, car la méfiance demeurait dans la mesure où il s'agissait encore une fois d'un sempiternel film de zombies. Et avouons que, du moins de mon côté, j'arrive un peu à saturation tant ceux-ci deviennent le prétexte idéal aux films fauchés (et désormais aussi aux blockbusters). Conçu pour 6000 dollars (budget annoncé par le réalisateur), The Battery apparait à mes yeux comme l'exemple type du film inutile.  Pourquoi ça ? Bien simplement car on retrouve ici tout les clichés du genre avec d'un côté deux personnages qui doivent apprendre à coexister face à la situation extrême et qui finissent comme toujours par se lier d'amitié, et de l'autre des zombies comme nous en avons déjà vu mille fois, c'est à dire crétins et lents. Walking Dead étant passé par là, on nous parle aussi vaguement de clans humains, bref pas grand chose de nouveau hormis peut-être deux moments. Un dans lequel un de nos survivants se branle devant une zombie qui met bien en évidence sa charmante poitrine contre une vitre de voiture, l'autre l'idée de voir nos deux héros bloqués dans leur véhicule. Ces derniers étant entourés de morts-vivants et ayant perdu les clés, tout était parfait pour amener quelque chose d'original et un côté anxiogène. Raté, le réalisateur (aussi acteur/scénariste) préférant se filmer et se mettre en avant plutôt que de se focaliser sur l'ensemble de la scène et créer une vraie tension.

Affiche the battery

Après la diffusion en exclusivité de la bande-annonce très prometteuse de Creature Designers - The Frankenstein Complex, nouveau documentaire de l'équipe gagnante de Ray Harryhausen, le titan des effets spéciaux, la journée s'est terminée avec la projection d'un documentaire attendu, Du Sang sur la neige.

Aucun documentaire n'avait semble-t-il été consacré au mythique festival d'Avoriaz, que l'on suivait autrefois à travers Mad Movies ou Starfix, fantasmant sur des films-choc (des images gravées à vie dans nos mémoires) qui sont entrés dans la légende et ont bouleversé le cinéma fantastique et de science-fiction. Carrie, Phantom of the Paradise, Massacre à la tronçonneuse, Terminator, Robocop, Halloween : la nuit des masques, Soleil vert, La Mouche, Dead Zone, Duel, Blue Velvet, Dark Crystal, Elephant Man, Mad Max, Phantasm, Les griffes de la nuit, Réanimator, BrainDead…des films que l'on a d’ailleurs immédiatement envie de revoir en sortant de ce documentaire. De quoi rappeler que le festival d'Avoriaz a propulsé sur le devant de la scène d'immenses cinéastes comme Steven Spielberg, Paul Verhoeven, John CarpenterBrian De Palma, Peter JacksonGeorge Miller, David Cronenberg, David Lynch, etc.

Les deux réalisateurs, auxquels on devait déjà un documentaire (titré Big John) sur John Carpenter, retracent donc, de façon plus ou moins linéaire (les années défilent à l’écran), l'histoire, des origines à la chute (la filiation avec le festival de Gerardmer est rapidement établie dès les premières minutes), de cette station balnéaire devenue l'antre mystérieuse d'un cinéma interdit et paradoxalement révélé cette fois au grand public à travers les médias. En effet, et c'est d'abord ce qui surprend, le festival d'Avoriaz était avant tout une couverture médiatique, une plate-forme promotionnelle pour la station balnéaire créée par Gérard Brémond (qui finançait l'intégralité du festival), et rameutait des personnalités françaises qui n'en avaient rien à faire du cinéma de genre et le traitait même avec mépris, d'où quelques commentaires fort amusants (par exemple de Michel Blanc ou de Claude Brasseur à propos de Terminator, que défendait tout de même Claude Chabrol). Du Sang sur la neige (rien à voir avec le film du même titre de Raoul Walsh) révèle l'aspect médiatique et people du festival, le coté show (cf. le voyage improbable digne d'un carnaval pour aller à Avoriaz en train), sans cependant préciser que la salle était en réalité très petite et que le public était composé majoritairement de journalistes et de personnalités. Il n'y avait en effet quasiment pas de public, ce qui explique pourquoi il est si peu présent dans ce documentaire ; dommage que ce ne soit pas dit dans le film, puisqu'il a fallu qu'on leur pose la question après la projection pour que les réalisateurs nous révèlent cette information importante.

Cependant, leur film rend bien compte de l'ambiance festive et surréaliste qui y régnait, plongeant des célébrités françaises dans un univers violent qui ne leur convient pas du tout. Ainsi l'on voit passer Michel Blanc, Serge Gainsbourg, Jean-Pierre Cassel, Jane Birkin (qui livre cependant un beau commentaire en se souvenant du festival), Claude Brasseur, Jeanne Moreau, Leslie Caron (qui descend en flèche Massacre à la tronçonneuse), Jean Seberg, Michel Drucker, Michel Denisot…Du Sang sur la neige s'amuse grandement de cette french touch oldie animant un festival de films fantastique/SF majoritairement américain, d'où des interludes musicaux très drôles (mention au duo France Gall / Udo Kier) et des extraits de JT hilarants. Au milieu de ce gratin du cinéma français de l'époque, Paul Verhoeven, Steven Spielberg, William Friedkin, George Miller, Roman Polanski ou David Lynch ont eux aussi leur petite séquence via des images d'archives savoureuses. Le film est notamment intéressant dans ce mélange pas du tout homogène entre le point de vue français et le point de vue américain sur le cinéma fantastique/SF/horreur d'alors.

Le gros problème du Sang sur la neige, c'est que les réalisateurs Julien Dunand et Gildas Houdebine ne parviennent pas à choisir entre le film d'archives, passionnant et plein d'images aussi rares que précieuses, et le film d'analyse, beaucoup moins captivant. En effet, leur documentaire donne trop considérablement la parole à une poignée de journalistes (trop de Jean-Baptiste Thoret !) qui semblent s'accaparer le film pour parler en profondeur des grands films du festival. Ainsi le sujet n'est plus le festival d'Avoriaz, mais les films fantastiques dans l'Histoire du cinéma américain. Au lieu d'analyses déjà lues ou entendues auparavant concernant des films mythiques dont on sait déjà tout (il aurait été plus intéressants de s'attarder sur les Grand Prix moins connus du festival, comme Dream Lover, Lectures diaboliques, Darkside : les contes de la nuit noire, L'Evasion du cinéma liberté, Patrick, C'était demain ou Le Cercle infernal), et ce malgré la passion qui anime les intervenants, on aurait préféré plus d'images d'archives, d'autant plus frustrant que les réalisateurs affirment avoir sacrifié beaucoup de ces images pour pouvoir caser ces interviews de journalistes. Les propos de Lionel Chouchan, créateur du festival (et cocréateur des festivals de Deauville et de Cognac via l'agence du Public Système), sont bien plus surprenants (il livre par ailleurs une parfaite synthèse de ce qui cloche dans le cinéma de genre français, avec un exemple très drôle), riche d'anecdotes absurdes (l'arrivée de Klaus Kinski et de Werner Herzog, l'année ou aucun Grand Prix ne fut décerné car le jury autour d'Antonioni ne parvenait pas à se décider…). A côté de lui, le fantomatique Dario Argento ne fait qu'apparaître furtivement dans ce documentaire (son interview en français aurait été incompréhensible et ennuyeuse, elle fut donc coupée au montage).

Dommage donc que ce documentaire, par ailleurs esthétiquement très soigné et stylisé (génériques, typographie, musique, traitement des formats et des images…), se complait dans l'analyse critique journalistique alors qu'il se voulait, selon les réalisateurs eux-mêmes, un film d'archives. Du Sang sur la neige a le mérite de faire la lumière sur un festival culte dont on savait finalement peu de choses, et de révéler des images d'archives improbables et jubilatoires.


Article de Jonathan Charpigny et Richard Bourderionnet.

Auteur : Jonathan C.
Publié le jeudi 21 novembre 2013 à 14h00

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