Paranoïa à l'Etrange Festival
Farces bibliques, drame psychologique et pinku trash

Avec des raretés de Bunuel et Pasolini, le très attendu Take Shelter (déjà acclamé à Cannes) et le trash Horny House of Horror, la programmation de ce vendredi à l'Etrange Festival aura une nouvelle fois été pour le moins hétéroclite. Mais toujours de qualité.

 

Présenté ici par Liliana Cavani (la réalisatrice culte du fascinant Portier de nuit, égalment projeté cette journée) dans le cadre de sa carte blanche, La Ricotta est issu du film à sketchs Rogopag (1963), dont les autres segments sont réalisés par Jean-Luc Godard, Roberto Rossellini et Ugo Gregoretti. Avec son ironie mordante (cf. le texte introductif), Pier Paolo Pasolini nous emmène avec La Ricotta sur le tournage chaotique d’une version de la Passion du Christ réalisé par un cinéaste reconnu (joué par Orson Welles !). Dans ce joyeux bordel, les acteurs et figurants passent le temps (l’une fait même un striptease), l’un d’eux étant obsédé par l’idée de manger. Avec cette comédie légère et provocatrice, on est loin des plombants (quoiqu'intéressants) Salo ou les 120 journées de Sodome ou l'insupportable Théorème. Burlesque, cocasse et satirique, cet énergique La Ricotta offre quelques moments très drôles, comme l’interview du réalisateur joué par Orson Welles, les mises en scène bibliques kitsch (et en couleurs, contrairement au reste du film en noir et blanc) ou le troc du chien, sans parler de la fin délicieusement ironique (le figurant qui meurt sur sa croix). Mais l’humour tansgressif de Pasolini avec ce sketch provoquera les foudres de la censure qui, jugeant ce segment blasphématoire, interdit Rogopag (ce qui explique en partie pourquoi il est si peu connu) et condamne Pasolini à 4 mois de prison pour « outrage à la religion d’Etat », plainte ensuite retirée pour non-lieu, peut-être parce que l’Evangile selon Saint-Matthieu du cinéaste venait d’être sélectionné au Festival de Venise…

Présenté cette fois par le réalisateur indépendant Julien Temple, Simon du Désert est, en 1965, le dernier film de la période mexicaine de Luis Bunuel, après Le Journal d’une femme de chambre. Il s’attarde sur le paysan Simon (Claudio Brook, acteur de Viridiana et de L’Ange exterminateur, et Peter Cunningham dans La Grande Vadrouille !) qui, comme l’ascète syrien Siméon le Stylite alias Saint-Siméon, qui avait vécu 40 ans sur une colonne, décide de vivre en ermite sur une haute colonne afin d’expier ses pêchés. De là-haut, il constate l’hypocrisie des hommes de Dieu (cf. le coup de la femme borgne) et doit lutter contre les tentations (comme cette jolie femme qui lui expose ses seins) qui sont l’œuvre du diable. Drôle, audacieux et cynique, cet hérétique Simon du Désert est un court métrage par défaut, puisque Bunuel n’a jamais pu filmer toutes les séquences prévues. Bunuel entame un récit biblique très classique, qu’il clôture dans un grand n’importe quoi pertinent, envoyant son personnage dans un club rock à New York (!) pour une pirouette finale ironique et bien vue.


Un paisible père de famille est soudainement assailli par de violents cauchemars et des visions apocalyptiques. Il vire à la paranoïa est devient obsédé par la menace d’une tornade.
Réalisateur du superbe Shotgun Stories (déjà avec Michael Shannon), qui relatait les rivalités familiales d’un petit bled redneck de l’Amérique profonde, Jeff Nichols confirme son talent avec cet étonnant Take Shelter, qu’on peut voir comme une relecture actualisée du très beau Vivre dans la peur de Kurosawa, dans lequel un père de famille était obsédé par l’idée de la bombe atomique et voulait entrainer sa famille à l’abri loin du Japon (au Brésil). Les années 50 et 60, marquées de la Guerre Froide, étaient à la paranoïa de la menace nucléaire, tandis que les années 2000 sont ravagées par les catastrophes naturelles, dont les tornades. La métaphore de la Guerre Froide est évidemment de mise dans Take Shelter, même si ce n'est pas le sujet.
Situant de nouveau son film dans une petite bourgade paisible dont il adopte le rythme tranquille mais insidieux, toujours dans une esthétique très élégante et très posée (format 2.35, superbe photo), le réalisateur de Shotgun Stories prend son temps pour raconter son histoire, afin de rendre l’évolution psychologique crédible et surtout de créer le doute dans l’esprit du spectateur qui, tout en étant conscient de la folie du personnage (qui explose dans une intense séquence de pétage de câble pendant une soirée), se met à souhaiter secrètement que ses visions se concrétisent et qu’une tornade réelle lui donne raison. La dernière séquence, saisissante et même bouleversante (inoubliable échange de regards entre Michael Shannon et Jessica Chastain), vient semer le trouble et oriente le film dans une toute autre direction, plus surnaturelle (la folie devient prémonition, et le pauvre fou n’était peut-être qu’un visionnaire). Les surprenantes et fugaces visions de chaos (incroyables plans larges de la tornade au loin ou des oiseaux tournoyant par masses dans un ciel menaçant) et de folie (les gens deviennent fous et s’entretuent, comme dans un The Crazies) subies par le personnage sont de l’ordre du fantastique et accentuent, dans leur accumulation, l’angoisse, donnant l’impression, comme si la paranoïa du personnage était narrativement contagieuse, d’un climat de fin du monde. Jeff Nichols créer de grands moments de tension psychologique, comme l’étouffante séquence dans l’abri (Shannon y est monumental). Take Shelter évoque également, dans son atmosphère, La Dernière vague de Peter Weir.


Take Shelter, c’est aussi Michael Shannon, formidable acteur charismatique et maladif abonné aux rôles torturés, obsessionnels et névrosés (comme dans Bug, Les Noces rebelles, My son my son what have ye done de Werner Herzog ou la série Boardwalk Empire). Dans son obsession paranoïaque, le Curtis LaForche de Take Shelter renvoie au Peter Evans de l’hallucinant Bug de William Friedkin. Paradoxalement, c’est Jeff Nichols qui lui offrait son rôle le plus équilibré et serein, dans son Shotgun Stories. L’acteur, homme de théâtre acharné aux rôles de cinéma aussi rares que précieux, est une nouvelle fois impressionnant, tant dans son enfermement (s’éloignant de ses proches pour les protéger et pour se protéger, Curtis Laforche se créer lui-même une prison mentale) que dans ses pulsions, se révélant aussi inquiétant qu’émouvant. A ses cotés, la douce rousse Jessica Chastain (révélation du The Tree of Life de Malick, vue ensuite dans L’Affaire Rachel Singer) en épouse paumée et Shea Whigham (Machete, Petits suicides entre amis, Fast and Furious 4, Splinter, The Killing Room, Tigerland, Le Prix de la loyauté, Bad Lieutenant : escale à la Nouvelle-Orléan, La Défense Lincoln et Boardwalk Empire) en meilleur ami.
Take Shelter est un superbe drame psychologique paranoïaque sur les peurs qui rongent l’Amérique et sur la notion du point de vue (folie/raison). En deux films remarquables, Jeff Nichols dynamite le cinéma indépendant américain.

Horny House of Horror

Changement total de registre avec le nippon Horny House of Horror. Accompagné d’une des jolies actrices du film, le délirant Yoshihiro Nishimura (réalisateur de Tokyo Gore Police, Vampire Girl vs Frankenstein Girl, Helldriver et Mutants girls squad), grand représentant de la Sushi Typhoon, est venu présenter cet Horny House of Horror, dont il assure les effets spéciaux. Dans Horny House of Horror, trois jeune abrutis se rendent dans un salon de massages érotiques pour prendre du bon temps. Hélas pour eux et tant mieux pour nous, ils tombent dans un piège, car personne ne ressort vivant de ce salon qui est une véritable charcuterie. Entre pinku trash et cinéma de catégorie III, cet inénarrable Horny House of Horror mêle érotisme pop et gore cartoonesque, offrant notamment trois anthologiques ablations de malheureux phallus dans des séquences plus tordantes qu’autre chose (le coup du « jeu » consistant à avoir le sexe sectionné d’un coup de sabre en cas d’érection est vraiment très drôle, tout comme les dents de vagin ou le sandwich-pénis de l’introduction). Horny House of Horror affiche un féminisme outrancier et anarchiste qui se complait dans les pénis tranchés (même s’il y aura aussi un mamelon coupé au sabre), les femmes fatales dominatrices et les hommes humiliés (cf. la fille qui arrache avec ses « dents » le sexe de sa victime avant de le lui fourrer dans la bouche et de l’achever d’un coup de poing), le tout dans une imagerie très perverse et sadomasochiste.


Le sang gicle dans tous les sens (les acteurs en sont couverts), les effets spéciaux sont cheaps (cf. les faux pénis ou la pauvre fille aux yeux exorbités et aux entrailles arrachés) et répétitifs mais généreux, les idées barrées fusent, ça hurle, ça tranche, l’humour est souvent lourdingue et très ado (cf. l’interminable séquence ou les trois jeunes hommes choisissent leur fille en tâtant les culs et ou l’une des filles pète à la face d’un des garçons, qui le lui rendra un peu plus tard…) et tout cela n’a aucun sens et n’a ni queue (enfin si, en quelque sorte…) ni tête. Comme dans tout pinku, l’érotisme est soft (mais très pervers) ; les trois superbes filles, des actrices porno (Asami, Miho Arai et la sublime Saori Hara, sorte de Mylène Jampanoï nippone), sont le plus souvent nues (et il y en a pour tout les goûts : petits seins, gros seins, et entre-deux) mais il n’y a aucun plan porno et c’est tellement déjanté que ce n’est pas très sensuel ni excitant. L’intérêt ici est surtout de s’amuser.
Le film peut fatiguer dans ses excès et son humour au ras des pâquerettes, mais il s’en dégage un charme très Z, qui a le kitsch et la folie des nanars. Bref, c’est sympa parce que c’est du grand n’importe quoi. Entre catfight et baston homérique homme-femme plutôt bien foutue, le gros carnage dans la salle de réception (qui finit en champ de cadavres) réserve son lot de surprises hilarantes, surtout quand l’un des trois garçons (le génial Uno) se révèlent être un maitre karatéka et trucide l’une des filles façon Ken le Survivant, avant de se battre furieusement contre l’autre nana toute aussi dingue. Dans la croisade anti-hommes de Horny House of Horror (qui, ironiquement, est dédié à tous les hommes), nos trois héros ne sont pas épargnés. Le final contre le « manager » (un personnage excessif très drôle, dés sa première apparition) est fun aussi, même si le film est au final frustrant (que devient le big boss joué par Demo Tanaka ?). Pour les cinéphiles déviants.

Auteur : Jonathan C.
Publié le dimanche 11 septembre 2011 à 13h46

Diaporama photo : Horny House of Horror

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Commentaires sur l'article

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    Take Shelter c'est le genre de film où la fin doit être béton pour pouvoir supporter tout le propos qui précède... bon c'était pas le cas de mon point de vue et c'est bien dommage tant les qualités sont là. Mais... ah je digère tjs pas ce final trop simple
    Pikace, le 12 septembre 2011 12h44

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